Les travaux de la Cour des comptes dressent un état des lieux du financement de la branche famille à partir d'une perspective historique : celle de sa décorrélation progressive du monde du travail dont elle est issue.
La politique familiale de le France a une double origine : le monde de la fonction publique et des services publics d'une part, où des sursalaires familiaux ont été instaurés dès le XIXe siècle, et celui de l'entreprise privée d'autre part, le patronat démocrate chrétien du Nord de la France faisant appel au même dispositif pour compenser les charges familiales des ouvriers. Cette double origine a progressivement donné lieu à la mise en place, dans les années 1930, de mécanismes mutualisés de versement des sursalaires familiaux. En 1939, le code de la famille consacre la dissociation entre les notions de sursalaire et de prestations familiales, et le versement de ces dernières est étendu à tous les actifs. La sécurité sociale créée en 1945 reprend cet acquis en l'intégrant à un système global de protection sociale d'inspiration bismarckienne – et non beveridgienne – qui consiste à prendre en charge les risques dans un cadre professionnel. La famille étant certes un risque heureux, mais également une charge et une dépense supplémentaire, la sécurité sociale inclut et élargit le dispositif de prestations familiales.
Cette origine explique que la politique familiale ait été d'emblée entièrement financée par des cotisations patronales. Dans les années d'immédiat après-guerre, leur taux s'élève à 16,75 %, mais leur plafonnement les rend dégressives. L'évolution du financement de la politique familiale est ensuite marquée par une baisse régulière des cotisations familiales au bénéfice des branches maladie et vieillesse, et en même temps par leur déplafonnement progressif qui fait disparaître la dégressivité. Ce double mouvement est achevé dans les années 1980, avant que les années 1990 ne marquent un changement de paradigme. La création en 1991 de la contribution sociale généralisée, la CSG, permet de basculer 23 % des recettes de la branche sur ce nouveau prélèvement qui frappe un éventail très large de revenus. Ce changement majeur signe le début d'une réforme qui reste inaboutie dans la mesure où, lorsque la CSG a été augmentée, les nouvelles recettes ont été affectées à d'autres branches de la sécurité sociale.
Entre 1991 et 2010, la branche famille est ainsi alimentée essentiellement par deux sources : des cotisations patronales déplafonnées dont le taux reste constant à 5,4 % et une CSG dont le taux également constant est de 1,08 % sur les revenus d'activité et de 1,10 % sur les revenus du capital. La structure du financement est alors solide. Cette logique de financement à deux piliers, certes inégaux, est ensuite perturbée par la politique d'allégement des charges sociales et sa nécessaire compensation. La branche famille bénéficie ainsi, plus qu'aucune autre, des apports d'une fiscalité affectée, mais cette fiscalisation rampante tient plus des circonstances que d'une véritable cohérence.
Le financement de la branche famille repose ainsi aujourd'hui sur trois piliers : les cotisations patronales, la CSG et la fiscalité affectée.
Les cotisations, qui gardent le taux de 5,4 % et restent entièrement assises sur les salaires, représentent quelque 65 % du financement de la branche, soit 33 milliards d'euros environ.
La CSG représente un pilier fragilisé. À partir de 2010, une part de ses recettes affectées à la branche famille est en effet transférée à la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, dans le cadre des reprises organisées du déficit de la sécurité sociale. Deux contraintes organiques et constitutionnelles expliquent ce transfert : d'une part, la CADES ne pouvant plus être prolongée, l'amortissement de la dette doit impérativement être achevé avant 2025 ; d'autre part, ne peuvent être affectées à la CADES que des ressources pérennes et à base large. Plutôt que d'augmenter le taux de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, fixé à 0,5 % depuis 1996, le choix des pouvoirs publics fut de basculer sur la CADES 0,28 point de CSG. Le poids de ce prélèvement dans l'architecture de financement de la branche famille a par conséquent diminué, passant de 25 à 18 %.
La part de la fiscalité affectée a, au contraire, très fortement progressé pour représenter aujourd'hui 15 % de ses ressources, soit 8 milliards d'euros environ. Ce troisième pilier constitue un « terrain miné ». Un tableau figurant à la page 29 du rapport montre en effet l'extrême instabilité de l'affectation des taxes, leur extraordinaire diversité et leur incohérence. Jusqu'à cette année, une part des taxes sur le tabac était ainsi affectée au financement de la branche famille et non à l'assurance maladie, aberration désormais corrigée. Au-delà des incohérences, la pérennité de certaines taxes n'est pas assurée dans la mesure où leur assiette est vouée à disparaître. C'est notamment le cas des taxes affectées à la branche famille en 2010, en compensation du transfert de CSG au bénéfice de la CADES.
L'évolution récente du dispositif, fruit d'une série de décisions ponctuelles, témoigne de l'interruption du mouvement de réforme. L'abaissement du poids des cotisations patronales avait été continu jusque dans les années 1990. La mise en place de la CSG au début des années 1990 a esquissé une nouvelle voie, mais son extension au bénéfice d'autres branches n'a pas permis de la suivre. Les décisions prises depuis visent à parer à l'urgence en assurant, année après année, un équilibre ou un moindre déséquilibre de la branche, mais ne s'inscrivent plus dans une perspective de réforme. C'est pourquoi nous qualifions le financement de la branche famille de « brouillé ».
Si nous estimons ce financement fragile, c'est d'abord parce qu'étant très largement dépendant des revenus d'activité, il est particulièrement sensible à la conjoncture économique. Les cotisations patronales, qui représentent 65 % des ressources de la branche, ne sont pas les seules en cause : si l'on y ajoute l'assiette « revenus d'activité » de la CSG et la taxe sur les salaires affectées à la branche famille, on arrive à un total de plus de 80 % des ressources directement tributaires des revenus d'activité. Au lieu de consolider la branche, les évolutions de son financement l'ont ainsi au contraire rendue encore plus dépendante du contexte économique.
La fragilité du financement s'explique également par un effet de ciseaux entre la croissance des charges et celle des produits. Longtemps, la branche famille a fait figure de bon élève au sein du système de sécurité sociale, dégageant systématiquement des excédents – fruit d'une démographie constante et d'un produit intérieur brut (PIB) en progression – qu'il s'agissait alors de ne pas laisser grossir à l'excès. Les mécanismes de régulation internes à la branche y contribuaient également : depuis 1995, l'évolution des prestations et des plafonds pour les prestations sous condition de ressources est ainsi indexée non plus sur les salaires, mais sur l'inflation. Entre 1978 et 1992, le système n'a connu que deux années de déficit. Depuis 1992, en revanche, il en a connu douze. La croissance des produits s'est en effet ralentie, alors que celle des charges s'est accélérée, moins sous l'effet de la démographie – les allocations sont restées stables ou faiblement croissantes – qu'à cause de la création de nouvelles allocations extrêmement dynamiques, destinées en particulier à aider à la garde des enfants. En même temps, des transferts importants ont été opérés depuis la branche famille vers d'autres branches de la sécurité sociale, notamment vers la branche vieillesse, par le biais de l'assurance vieillesse des parents au foyer, l'AVPF, et vers le Fonds de solidarité vieillesse, par le biais des majorations de pensions pour enfants. L'effet structurel de ciseaux qui en résulte se traduit par un déficit régulier et aussi important que celui des autres branches de la sécurité sociale. Son montant – 2 600 millions d'euros en 2011 – semble a priori modeste par rapport à ceux de la branche maladie ou vieillesse, largement supérieurs. Mais rapporté aux charges de la branche, il représente 4,7 %, chiffre très proche de celui de l'assurance maladie qui dépasse légèrement 5 %.
Le problème de soutenabilité durable de la branche famille doit ainsi être l'horizon de toute réflexion sur son financement. Cette logique suppose de s'intéresser non seulement aux recettes, mais également aux dépenses de la branche, l'objectif de leur maîtrise devant s'imposer ici comme ailleurs. Dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, le RALFSS, la Cour des comptes montre ainsi que des économies peuvent être dégagées dans le domaine des prestations familiales sous condition de ressources, en particulier sur le complément de libre choix du mode de garde (CMG) de la prestation d'accueil au jeune enfant, la PAJE. Une deuxième piste de réforme porte sur l'articulation des mécanismes fiscaux et des prestations sociales au sein de la politique familiale dont le poids global, évalué à 3,8 % du PIB, excède la seule branche famille qui n'en représente que 2,8 %. Améliorer la gestion du dispositif pourrait également se révéler bénéfique : le RALFSS de septembre 2011 montre ainsi que la complexité du système des prestations familiales est source de coûts supplémentaires.
Le rapport d'étape permet de mettre l'état des lieux en perspective avec l'histoire de la branche et les tendances lourdes qui l'affectent. C'est à la lumière de cette évolution, responsable du décalage structurel entre les produits et les ressources de la branche, qu'il faut envisager la réforme possible de son financement.