Intervention de Philippe Gomes

Réunion du 9 juillet 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomes, rapporteur :

La convention dont nous sommes saisis est un accord de coopération en matière de sécurité intérieure conclu avec les Emirats arabes unis, à Abou Dabi, le 26 mai 2009. L'accord a pour objet de fournir une base juridique pour le développement d'une coopération bilatérale déjà très étoffée dans ce domaine.

Cette coopération devrait être confortée grâce à l'institutionnalisation des échanges qui existent déjà en matière opérationnelle, et grâce à la formalisation de la coopération technique, qui prend notamment la forme de stages, de visites et de missions d'expertise, au bénéfice des forces de police des Emirats.

Le projet de loi autorisant l'adoption de cet accord a été adopté par le Sénat le 18 juillet 2012. La partie émirienne l'a ratifié, pour sa part, dès le 14 décembre 2009.

Dans quel contexte cet accord s'inscrit-il ? Je ne reviendrai pas sur les principales caractéristiques des Emirats arabes unis, qui sont présentées dans mon rapport écrit. Il s'agit d'une fédération relativement jeune, fondée en 1971, lors du départ des Britanniques, relativement peu peuplée, surtout si l'on ne prend en compte que les nationaux – environ 10 % d'une population d'environ 8 millions d'habitants –, mais économiquement très dynamique, malgré un fort ralentissement de la croissance en 2009, en raison de la conjoncture internationale.

Je crois utile d'insister davantage sur le fait que la coopération dans le domaine de la sécurité intérieure, objet du présent accord, s'insère dans le cadre d'un partenariat privilégié entre la France et les Emirats arabes unis.

Au plan politique, les liens sont très étroits, comme le montre la fréquence des visites bilatérales et celle des échanges au plus niveau. Un « dialogue stratégique » franco-émirien a été mis en place pour dynamiser ce partenariat et pour favoriser des échanges de vues approfondis sur les questions régionales et internationales, objet d'une étroite concertation et de fortes convergences. La dernière réunion de ce « dialogue stratégique » s'est tenue le 3 juin dernier, à Paris.

La coopération dans le domaine de la défense constitue l'un des principaux axes structurants de la relation entre la France et les Emirats arabes unis. Cette coopération a gagné en intensité avec la signature d'un accord de défense, qui confirme notre engagement aux côtés des Emirats, et avec la décision d'y ouvrir une base militaire permanente, inaugurée en 2009 et reposant sur trois composantes – navale, terrestre et aérienne. La France est aujourd'hui le deuxième partenaire des Emirats dans le domaine de la coopération de défense.

Au plan économique, les Emirats arabes unis demeurent le premier débouché commercial français dans le Golfe. Ils absorbent en moyenne un tiers de nos exportations dans la région. Les Emirats constituent aussi une base régionale stratégique pour les entreprises françaises, qui seraient environ 600 à être implantées de façon permanente sur place, et dont le nombre croît de 10 % par an. Au sein des pays du Golfe, les Emirats sont par ailleurs les premiers investisseurs en France, avec un stock de 3,8 milliards d'euros d'investissements. La création d'un fonds commun à Mudabala, fonds souverain d'Abou Dabi, et à une filiale de la Caisse des dépôts et consignations, au mois de mars dernier, devrait permettre de réaliser des investissements conjoints dans différents secteurs d'activité.

Dans le domaine de l'éducation et de la culture, la relation bilatérale s'appuie sur deux projets structurants : d'une part, l'Université Paris Sorbonne Abou Dabi, officiellement inaugurée en 2011 ; d'autre part, le futur musée universel d'Abou Dabi, qui doit ouvrir ses portes à la fin de l'année 2015, et auquel le Louvre doit non seulement apporter son expertise et son nom, mais aussi prêter des collections, pendant une période de dix ans, afin d'étoffer la collection permanente émirienne.

Malgré leur ampleur particulière, ces deux projets, que je présente plus en détail dans mon rapport, ne doivent pas éclipser d'autres réalisations importantes, notamment l'action des cinq établissements qui forment le réseau d'enseignement français aux Emirats arabes unis, ou bien encore la présence d'une communauté française dynamique, composée d'environ 20 000 ressortissants français, lesquels sont bien intégrés professionnellement.

C'est dans ce contexte que s'insère la coopération franco-émirienne dans le domaine de la sécurité intérieure.

Cette coopération participe des liens étroits qui se sont développés entre la France et les Emirats, et elle correspond à une priorité pour notre partenaire. Les Emirats ont signé des accords de coopération avec plusieurs pays dans ce domaine, notamment l'Allemagne en 2005, la Grande-Bretagne en 2006, les Pays-Bas en 2009, et la France la même année.

Les forces de police émiriennes cherchent à remédier, par l'expertise internationale, à plusieurs difficultés structurelles : leur jeunesse et leur manque relatif d'expérience, dans la mesure où ces forces de police n'étaient constituées, jusqu'à l'indépendance, que de milices paramilitaires, encadrées par les Britanniques, et principalement vouées à assurer la sécurité des émirs ; un manque de structure fédérale, le contrôle et l'encadrement exercés à ce niveau sur les différentes forces de police des émirats étant largement virtuels, même si l'on observe quelques inflexions récentes ; un recours massif à la main d'oeuvre étrangère pour accomplir des missions régaliennes, hormis les fonctions d'encadrement ; enfin, l'absence de doctrine claire pour l'emploi des forces de police, de nombreux pays concourant à former les structures émiriennes, ce qui conduit à des méthodes et à une organisation parfois peu adaptées aux réalités locales.

Au plan opérationnel, les Emirats arabes unis affrontent plusieurs défis.

Le pays étant situé au coeur d'une zone sensible, les autorités font preuve d'une grande attention à l'égard de l'islamisme radical et d'une grande vigilance pour prévenir les risques d'attentat, dont les conséquences pourraient être majeures sur l'image du pays. Les Emirats préparent en effet « l'après-pétrole » en misant sur leur position de plateforme régionale pour les échanges, entre l'Europe et l'Occident, sur les services et sur le tourisme. Des cellules d'Al-Qaida auraient été démantelées, des personnes soupçonnées d'appartenir au mouvement « Al Islah », émanation locale des Frères musulmans égyptiens, ont été arrêtés, et des procès d'islamistes ont récemment eu lieu.

Les Emirats considèrent la lutte contre le trafic de stupéfiants comme une autre priorité, et les autorités appliquent en la matière une politique de tolérance zéro, aussi bien pour les usagers que pour les trafiquants, lesquels encourent la peine capitale. Les Emirats sont principalement un pays de consommation, et dans une bien moindre mesure un pays de transit. Les principales filières seraient pour l'essentiel tenues par des communautés originaires d'Inde, du Bangladesh ou d'Iran, la drogue provenant des pays asiatiques, souvent via le sous-continent indien.

La criminalité organisée, qui serait peu active aux Emirats arabes unis, se manifeste essentiellement sous la forme d'une délinquance économique et financière utilisant la plateforme régionale émirienne pour des opérations de blanchiment et des escroqueries complexes. Le trafic des êtres humains ne présenterait pas d'ampleur particulière aux Emirats. Il ne serait pas entre les mains de groupes criminels organisés, du moins en ce qui concerne le transit vers l'Europe de clandestins, pour l'essentiel en provenance du sous-continent indien. L'existence locale de clandestins est en revanche un fait établi. Il leur est d'ailleurs proposé régulièrement de se présenter à l'administration, afin d'être reconduits dans leur pays sans encourir de sanctions pénales.

J'en viens aux principales caractéristiques de la coopération franco-émirienne en matière de sécurité intérieure, qui est en plein développement et n'exclut aucun domaine d'expertise.

Dans le domaine de la coopération technique, 51 actions de coopération ont été réalisées en 2013, principalement sur les thématiques de la lutte antiterroriste et des interventions de contre-terrorisme, mais aussi en matière de police judiciaire et de lutte contre la criminalité organisée – trafics de stupéfiants, cybercriminalité et fausse monnaie –, de lutte contre les réseaux d'immigration irrégulière, de gestion de crise en milieu aéroportuaire et de sécurité civile. Pour l'année 2014, la programmation doit se poursuivre dans des champs tout aussi variés, avec 55 actions différentes.

En matière de terrorisme, les principales actions prévues cette année concernent la formation des groupes d'intervention et de surveillance, ainsi que la réalisation de filatures, notamment grâce à une immersion dans les unités spécialisées françaises. En matière de criminalité organisée, les principaux thèmes d'échange sont la conception d'une approche intégrée en matière de lutte contre la criminalité organisée, la délinquance financière et la cybercriminalité. Un accent particulier est mis sur la lutte contre le trafic de stupéfiants – techniques d'enquête, gestion des sources, emploi des moyens cynotechniques, ou encore travail spécifique en milieux aéroportuaire et portuaire. Dans le domaine de la lutte contre l'immigration irrégulière, il est prévu de privilégier le travail sur les réseaux spécialisés et la fraude documentaire.

Au plan opérationnel, des échanges d'information ponctuels existent avec certains services, mais la coopération reste difficile en raison du foisonnement des interlocuteurs émiriens, en l'absence de véritable encadrement au niveau fédéral, mais aussi en raison d'un formalisme important et d'une certaine lenteur. Des échanges plus soutenus ont cependant lieu avec le service de lutte contre le trafic des stupéfiants de Dubaï et avec la police judiciaire du même Emirat.

L'accord dont nous sommes saisis a pour objet de donner une base juridique à la coopération, déjà très dense, qui s'est développée entre la France et les Emirats arabes unis en matière de sécurité intérieure.

L'accord aura pour effet d'institutionnaliser davantage la coopération, ce qui est un avantage dans le contexte parfois compliqué que j'évoquais tout à l'heure. Comme l'indique l'étude d'impact jointe au projet de loi, en des termes très mesurés, « la qualité de la coopération nouée jusqu'à présent repose essentiellement sur les contacts et les relations de confiance établies par l'attaché de sécurité intérieure et son équipe avec les différentes directions de police des sept émirats ».

L'institutionnalisation de la coopération qui existe déjà avec les Emirats arabes unis et la formalisation, dans un accord, des échanges d'informations avec certains services devraient permettre de renforcer la position de notre attaché de sécurité intérieure et de faciliter ses démarches auprès des autorités émiriennes compétentes. La coopération pourrait ainsi devenir plus fluide et plus efficace avec ce pays.

Sans commenter tous les articles de l'accord, qui sont présentés dans mon rapport écrit, permettez-moi de mettre l'accent sur cinq points en particulier.

Tout d'abord, le texte dont nous sommes saisis ne s'écarte pas substantiellement d'un modèle type d'accord qui a été élaboré par le ministère de l'intérieur et par celui des affaires étrangère, en 2007, même s'il a bien sûr été adapté aux demandes de la partie émirienne, dans le cadre des négociations avec ce pays.

L'accord comporte en particulier un certain nombre de garanties habituelles – et nécessaires – en matière de sécurité intérieure. L'alinéa 3 de l'article 1er précise ainsi que l'accord est mis en oeuvre conformément aux engagements internationaux de chacune des Parties contractantes. Il s'agit notamment, pour la France, de ses engagements en matière de protection des droits de l'homme. Par ailleurs, l'application de l'accord est assortie d'une clause dite « de sauvegarde », qui permet de refuser des demandes pour plusieurs motifs, notamment la contrariété avec la législation nationale.

En matière d'échanges d'informations, le fait que les activités de coopération doivent s'effectuer dans le respect des législations nationales ne permettra pas le développement des échanges d'informations à caractère personnel, en provenance de la France, conformément à la loi modifiée du 6 janvier 1978, dite « Informatique et Libertés », et du droit de l'Union européenne. La CNIL estime en effet que les Emirats arabes unis ne disposent pas, à ce jour, d'une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel.

L'accord conclu avec les Emirats comporte des stipulations relatives à la sécurité civile, ce qui constitue un ajout par rapport à l'accord type. Cet ajout correspond à une vision plus large de la sécurité intérieure, coïncidant avec des actions de coopération déjà menées avec les Emirats arabes unis. Au regard de l'état de la coopération dans ce domaine, il a été jugé préférable de ne pas conclure un accord spécifique, mais plutôt de procéder par un simple ajout au présent accord de sécurité intérieure.

Autre différence avec d'autres accords de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure, toutes les actions menées en matière de coopération technique sont intégralement financées par la partie requérante, c'est-à-dire par les Emirats arabes unis. Au plan des échanges opérationnels, l'impact financier de la coopération devrait être nul ou très faible, car la mise en oeuvre de la coopération fait appel à des attachés de police déjà en poste dans chacune des Parties contractantes.

Au bénéfice de ces observations, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. L'accord de coopération dont nous sommes saisis a été ratifié par la partie émirienne moins de sept mois après sa conclusion, en décembre 2009. Il est temps que notre pays fasse de même.

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