Allons maintenant vers le Levant, chers collègues. Le projet de loi dont nous sommes saisis a pour objet d'autoriser l'approbation de l'accord de coopération en matière de sécurité intérieure, de sécurité civile et d'administration conclu, le 21 janvier 2010, avec le Gouvernement de la République libanaise. Le projet de loi a été adopté par le Sénat le 9 octobre 2012.
Cet accord s'inscrit dans le prolongement des relations historiquement privilégiées que la France et le Liban entretiennent dans de nombreux domaines. Avant de présenter plus en détail la coopération en matière de sécurité intérieure et de sécurité civile avec le Liban, je voudrais insister sur le fait que cet accord, en apparence très classique et très semblable à beaucoup d'autres, en la matière, revêt une portée singulière pour le Liban.
La coopération en matière de sécurité intérieure est, en effet, indissociable du soutien constant que la France apporte à ce pays pour le respect de sa souveraineté, de son intégrité, de son indépendance et de son unité, conformément à la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 2 septembre 2004, à l'initiative conjointe de la France et du Royaume-Uni, et par la suite réaffirmée à plusieurs reprises par le même Conseil de sécurité.
L'engagement de notre pays se traduit, en particulier, par sa contribution à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), créée en 1978. Le contingent français est composé d'environ 830 soldats, sur un total d'environ 10 300 au 1er janvier 2014.
La France fait aussi partie des pays ayant présenté la résolution de 2007 qui a créé le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), après l'assassinat de Rafic Hariri, ancien Premier ministre libanais.
De même, la France a joué un rôle moteur dans la création du groupe international de soutien au Liban, en septembre 2013, autour des membres permanents du Conseil de sécurité. Ce groupe de soutien doit servir de plateforme pour apporter une aide coordonnée au Liban dans trois domaines prioritaires : le soutien aux Forces armées libanaises ; l'aide aux réfugiés syriens et aux communautés libanaises qui les accueillent ; le soutien budgétaire et financier à l'Etat libanais.
Notre appui s'inscrit aussi dans le cadre de l'initiative franco-saoudienne annoncée à la fin du mois de décembre dernier. Elle doit permettre l'achat de matériel militaire français au profit des Forces armées libanaises, à hauteur de 3 milliards de dollars, financés par la partie saoudienne.
Au plan sécuritaire, la situation demeure très tendue au Liban, malgré une certaine amélioration depuis la nomination d'un gouvernement d'entente.
La proximité géographique de la crise en Syrie s'est accompagnée d'une très grave montée des tensions et de multiples poussées de violence. Une vingtaine de phases d'affrontements auraient fait plus de 200 morts et environ 1 500 blessés dans la ville de Tripoli, au Nord du pays. Le pays accueille aussi près de 1,5 million de réfugiés syriens, avec toutes les conséquences que cela implique.
Le contexte s'est partiellement amélioré depuis qu'un gouvernement d'entente, associant les principales forces politiques du pays, est parvenu à obtenir la confiance du Parlement, en mars dernier. Un « plan de sécurité » a commencé à être mis en oeuvre, de manière effective, à Tripoli, et le nouveau Gouvernement a fait de la lutte contre la violence et le terrorisme une priorité de son action.
De nouveaux attentats sont néanmoins venus fragiliser la sécurité au Liban mi-juin. Selon les premiers éléments de l'enquête, ces attentats seraient imputables aux réseaux de l'Etat islamique implantés au Liban.
Ces menaces, indissociables du contexte régional, se doublent d'autres défis.
Tout d'abord, le trafic de stupéfiants – cannabis, cocaïne ou encore héroïne – constitue un enjeu essentiel. La nature mafieuse des réseaux rend la lutte particulièrement difficile, notamment dans la Bekaa.
Ensuite, en matière de corruption, de trafic d'influence et de conflits d'intérêts, la presse libanaise se fait régulièrement l'écho d'affaires troublantes, touchant de nombreux milieux.
Dans le domaine de la sécurité civile, enfin, le Liban est exposé à de fréquents et nombreux risques naturels et industriels – feux de forêt, inondations et mouvements de terrain, pollutions industrielles, tremblements de terre. Les moyens ne sont pas suffisamment nombreux et adaptés, en particulier pour les secours aux victimes.
Dans ce contexte, quelle est la contribution de la France en matière de sécurité intérieure et de sécurité civile ?
La coopération bilatérale se poursuit à un rythme soutenu, avec 84 actions de coopération technique réalisées en 2013. Au total, 22 missions de formation et 2 missions d'audit ont pu avoir lieu au Liban, ainsi que 42 stages et 6 visites en France.
En 2014, les actions prévues doivent se dérouler suivant cinq grands axes prioritaires, lesquels garantissent une grande visibilité à la coopération entre la France et le Liban :
- la prévention et la répression du trafic de stupéfiants, notamment grâce à des stages de formation de quatre semaines en France dont bénéficient des policiers formateurs anti-drogue ;
- le renforcement de la sécurité aéroportuaire à l'aéroport Rafic Hariri, par la formation des personnels concernés ;
- l'appui aux services libanais d'intervention et de protection, avec le soutien du GIGN et du RAID, notamment au profit des « Guépards » libanais, groupe d'élite des forces mobiles ;
- l'appui à la création d'une brigade de recherche et d'intervention, sur le modèle français, au sein du département de l'information, qui est un service de renseignement, et de la direction de la police judiciaire des Forces de sécurité intérieure (FSI) ;
- la francophonie, grâce à l'enseignement du français en milieu professionnel – au sein de l'armée et des FSI.
Dans le domaine de la défense civile, un projet d'accompagnement a également vu le jour. Sa mise en oeuvre dépendra de l'avancement de la restructuration prévue dans ce secteur par les autorités libanaises.
Au plan opérationnel, l'effort de recherche du renseignement se traduit notamment, du côté français, par des contacts fréquents avec les services libanais. Ils portent notamment sur l'activité des services spécialisés contre les mouvances salafistes et les clans mafieux. Le service français de sécurité intérieure renseigne l'Ambassadeur et les services spécialisés français dans de nombreux domaines sensibles, en particulier la perception au Liban des événements qui se déroulent en Syrie.
Dans ces différents domaines, quel est l'apport de la convention conclue en 2010 et soumise à notre Commission ?
Elle a pour objet de donner une base juridique solide à la coopération franco-libanaise en matière de sécurité intérieure, de sécurité civile et d'administration. Jusqu'à présent, cette coopération ne reposait que sur un protocole très général de coopération culturelle, scientifique et technique entre la France et le Liban, signé à Paris le 14 octobre 1993.
L'article 1er de l'accord qui nous est soumis précise les domaines, très larges, dans lesquels les parties contractantes se prêtent une assistance mutuelle. Il s'agit notamment de la sécurité civile, ce qui constitue un ajout par rapport à l'accord type de coopération élaboré en 2007 en matière de sécurité intérieure.
L'article 2 demande aux Parties contractantes d'approfondir leur coopération au sein des enceintes multilatérales dont elles sont membres, et d'y envisager des initiatives. L'Union pour la Méditerranée porte ainsi des projets en matière de protection civile.
L'article 3 prévoit que les organismes chargés des missions de coopération sont mutuellement désignés par la voie diplomatique.
L'article 4 est relatif aux différentes formes que peut prendre la coopération : actions de formation, visites, échange de documentation, envoi d'équipes de soutien spécialisées, mais aussi échange d'informations.
Dans ce domaine, l'article 5 permet des échanges d'informations opérationnelles pour lutter contre la criminalité se développant sur le territoire de l'une des Parties et susceptible d'avoir un impact sur le territoire de l'autre Partie.
Ces échanges font l'objet d'un double encadrement : d'une part, les informations ne peuvent être communiquées à une tierce Partie qu'avec l'accord de la Partie qui les a transmises ; d'autre part, les échanges s'effectuent dans le respect des législations nationales. Cette stipulation ne permettra pas le développement des échanges, en provenance de la France, pour les informations à caractère personnel, conformément à la loi dite « Informatique et Libertés », de 1978, et du droit de l'Union européenne. La Commission nationale de l'informatique et des libertés estime en effet que le Liban ne dispose pas, à ce jour, d'une législation adéquate en la matière.
Conformément à l'article 6 du présent accord, le financement de la coopération est assuré par les Parties contractantes dans le respect et la limite de leurs disponibilités budgétaires. En 2013, les différentes actions menées étaient autofinancées par la partie libanaise à hauteur de 33 % et par des crédits européens à hauteur de 14 %.
L'article 7 introduit une clause habituelle de « sauvegarde », qui permet de rejeter une demande de coopération si l'une des Parties contractantes l'estime « susceptible de porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public, aux règles d'organisation et de fonctionnement de l'autorité judiciaire ou à d'autres intérêts essentiels de son Etat ».
Au bénéfice de ces différentes observations, je vous recommande, mes chers collègues, d'adopter le projet de loi. Il devrait favoriser le renforcement d'une coopération qui est déjà très dense et fructueuse, dans un domaine particulièrement important pour le Liban.