Intervention de Valérie Corre

Réunion du 9 juillet 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Corre, rapporteure de la mission d'information :

Je vous remercie de vos nombreuses interventions. Je souhaite d'abord répondre à l'intervention de Mme Marie-George Buffet. Vous avez raison de regretter que l'on se focalise trop souvent sur les situations qui posent problème et il faut souligner que, dans la majorité des cas, l'image de l'école est positive, comme le montrent les sondages de rentrée. L'école maternelle constitue à la fois le moment où l'école est la plus appréciée et celui où les parents sont en contact, au quotidien, avec les enseignants, grâce à l'existence de temps d'échanges et de contacts directs dans la classe. Mais, au fur et à mesure que les enfants grandissent, on constate un éloignement progressif des parents et de l'école. À l'école primaire, les parents laissent l'enfant à l'entrée de l'école, parfois à l'entrée de la classe lorsque cela est possible. Au collège, le contact n'est pas régulier. Au lycée enfin, il n'y a plus de contacts naturels entre les parents et l'école d'autant que les élèves concernés se soucient de préserver leur autonomie.

Nous devons dès lors faire face à une contradiction, dans la mesure où il faut à la fois pousser l'enfant vers l'autonomie – ce qui est le but de la formation – et répondre à ce besoin de contact. Il faut se demander comment ces contacts peuvent être noués, dès lors qu'ils ne sont plus naturels. Ce qui est sûr, c'est que, d'une manière générale, lorsque l'on a appris à se connaître, la discussion et les échanges s'engagent plus facilement.

La formation des enseignants et de l'ensemble des intervenants au sein de l'école est particulièrement importante. La formation initiale, incluant une formation à la réalité sociologique, est fondamentale. À cet égard, je souhaite revenir sur le mythe de la pensée démissionnaire. Tous les interlocuteurs rencontrés (enseignants, parents d'élèves, intervenants extérieurs, collectivités, etc.) ont évoqué la difficulté, pour des raisons souvent pratiques, pour certains parents d'accompagner les enfants, mais ils n'ont jamais parlé de démission.

Il faut former les enseignants et les intervenants en milieu scolaire à la réalité sociologique, afin qu'ils intègrent la diversité des modèles éducatifs et le caractère composite de l'échec scolaire. Cet effort de formation doit permettre aux enseignants de réfléchir à la réalité des enfants qu'ils ont devant eux et à leur développement psychomoteur, ce dernier sujet étant, rappelons-le, abordé, au cours de leur formation, par les jeunes titulaires du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur.

Il faut également former les enseignants aux gestes professionnels, pour leur apprendre comment se comporter face à un adulte et quels termes employer. À cet égard, les débats consistant à savoir s'il fallait « inviter » ou « convoquer » les parents à l'école montrent que les mots ont un sens. Lorsque l'on convoque quelqu'un, c'est qu'il y a un problème. Il faut donc réfléchir aux mots, aux postures, à la façon de s'adresser aux adultes et de les accueillir – le simple fait d'« inviter » ces derniers à s'assoir sur les petites chaises d'une école primaire n'est pas sans effet.

Il s'agit de permettre aux enseignants, au moment de la formation initiale, de réfléchir à ces temps d'accueil et d'échange. Cette formation doit également s'adresser à l'ensemble des personnels de l'éducation nationale et les autres personnels intervenant à l'école. De fait, la formation est la clef de voûte de l'évolution des relations entre parents et école et de la refondation de l'école.

Concernant les parents des milieux populaires, c'est au départ le sociologue Didier Lapeyronnie qui a utilisé le terme de relations « abimées ». Globalement, l'image de l'école est bonne, mais force est de constater qu'il peut exister une incompréhension sur le modèle éducatif « dominant » aujourd'hui, comme en témoignent la journée de retrait ou les débats autour de l'ABCD de l'égalité. Il faut travailler à la réconciliation de tous les acteurs.

Il est vrai aussi que le rapport « abimé » entre l'école et les familles concerne toutes les strates de la population. D'ailleurs, cette dégradation existe pour l'école, mais aussi pour tous les corps institutionnels – la justice, la politique, la police, etc. Le lien complexe entre les institutions et nos concitoyens dépasse donc la question des enfants.

Concernant la notion de coéducation, je souhaite rassurer M. Hetzel, je ne me sens pas « collectiviste » ! Je crois effectivement que cette notion de coéducation a besoin d'être explicitée. La coopération entre les différents acteurs permet d'améliorer la réussite de nos enfants. Certes, il n'existe pas d'enquête scientifique tendant à démontrer qu'une plus grande implication des parents est un facteur de réussite scolaire, même si tous les indicateurs de l'OCDE et des enquêtes internationales tendent à mettre en évidence des corrélations. En revanche, des chiffres très précis, issus d'enquêtes sur les dispositifs d'aide à la parentalité ou de l'évaluation de « la mallette des parents », montrent que la coopération entre ces deux partenaires contribue à améliorer le comportement des enfants, notamment en termes de diminution de l'absentéisme. Or cela n'est pas sans conséquences sur les résultats scolaires eux-mêmes : en effet, ces changements mettent les enfants concernés dans de bonnes conditions d'apprentissage et les aident à progresser en termes d'acquis.

Il ne faut pas être dogmatique, comme le montre le débat sur les rythmes scolaires. Cette réforme a permis, pour la première fois, de parler de ce que font les enfants en dehors de l'école. Ces temps – appelés garderie, temps périscolaire ou accueil de loisirs – existent pourtant depuis longtemps. Mais ils ont fait, cette fois-ci, l'objet d'un réel débat éducatif dans les territoires. Les difficultés rencontrées dans l'application de la réforme tiennent en outre à un manque de communication de la part des enseignants, des parents ou de la collectivité qui met la réforme en place, parce que le temps n'a pas été pris pour discuter des objectifs de la réforme, des aménagements retenus et des activités proposées lors des temps libérés. Mais ce n'est pas parce qu'il existe un problème de communication que la réforme est défaillante. Nous parlons bien entendu de la réforme des rythmes scolaires dans le rapport, qui plus est dans la partie sur les « irritants ». Je rappelle cependant qu'une mission d'information du Sénat est en train de travailler sur ce sujet. Évitons donc le dogmatisme sur cette question, et soyons convaincus qu'une meilleure coopération de tous les acteurs auprès des enfants leur permettra de progresser réellement.

Beaucoup de sujets que vous avez abordés trouvent leur solution dans le dialogue, la conduite de ce dernier constituant le postulat des propositions du rapport.

Dans vos questions, vous avez souvent évoqué les « irritants ». Il s'agit d'un terme parlant, qui rejoint les « points de friction » mentionnés par la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. A titre d'illustration, lors de notre déplacement à Gonesse, nous avons été interpellés sur le sujet de la discipline, avec, d'un côté, la volonté de l'équipe éducative d'appliquer les directives consistant à exclure le moins souvent possible les élèves, et, de l'autre, les craintes de certains parents qui s'interrogent sur un certain laisser-aller et un manque d'exigence en matière de discipline. À cette occasion, nous avons bien constaté qu'il est avant tout nécessaire de construire un climat de respect et d'écoute entre tous au sein des établissements. Je le répète : la première des préconisations revient de facto à développer un dialogue de qualité.

Les différentes façons d'aller vers les parents éloignés, et notamment celle qui consiste à se rendre à leur domicile, ont été abordées pour la première fois lors de l'audition de l'Association nationale des conseillers principaux d'éducation (CPE). La première solution consiste cependant à faire venir les parents à l'école. La solution intermédiaire est de faire intervenir des « médiateurs » dans des espaces « neutres ». Je crois en effet beaucoup à la notion de médiation entre l'école et la famille. C'est le rôle, au sein des communes, des « maisons de l'éducation », des maisons de quartier ou des centres sociaux, où chacun, école et parent, fait un pas l'un vers l'autre.

Il reste que lorsque les parents sont trop en colère, ils sont incapables d'ouvrir cette « porte ». Dans ce cas, rencontrer les parents à leur domicile peut être une solution. Les assistants sociaux scolaires, les CPE, voire même des « médiateurs école-parents », qui peuvent être des retraités de l'éducation nationale – dès lors que tous bénéficient, à l'instar des assistants sociaux scolaires, d'une formation – peuvent alors se rendre dans la famille, mais en ayant un discours et une posture adaptés et en évitant tout jugement de valeur. Ce n'est pas la première des solutions, mais il ne faut pas s'interdire cette possibilité.

Les directeurs d'école ont évidemment un rôle d'impulsion et de médiation. Ce rôle rejoint d'ailleurs la question du statut des enseignants : il faut pleinement reconnaître dans leur temps de service l'intervention auprès des parents.

Le dispositif de « la mallette des parents » permet de donner des outils aux enseignants et aux personnels d'éducation afin de créer un climat de confiance et de dialogue avec les parents. À Limeil-Brévannes, où la mallette a été mise en place à la fois au moment de l'expérimentation en éducation prioritaire et dans un établissement considéré comme ayant moins de problèmes, les CPE nous ont dit que cet outil était très utile. La mallette est donc un véritable outil, peu coûteux financièrement, mais qui demande du temps aux enseignants.

L'augmentation de crédits, que j'évoquais, n'est pas liée à la « mallette » : elle porte sur l'aide à la parentalité, dont la Caisse nationale des allocations familiales à la charge. Toutes ces politiques d'aide à la parentalité doivent d'ailleurs être pérennisées, même si leur multiplicité peut sembler constituer un handicap. En réalité, cette diversité permet d'adapter chaque outil à chaque individu. On peut ainsi mettre en place une situation de coéducation entre les acteurs, toujours avec la coopération des parents.

L'outil de formation conçu par ATD-Quart monde est extraordinaire. Il est disponible sur le site du Centre régional de documentation pédagogique (CNRDP) de Rennes et est accessible à tous.

Quant aux outils numériques, ils constituent un progrès et un facteur de rapprochement entre l'école et les familles, mais ils ne peuvent être une fin en soi. Toutes les familles n'ont pas accès à internet et les parents illettrés en sont très éloignés. Il s'agit donc d'un outil supplémentaire, mais qui ne peut être suffisant. Comme le souligne l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, d'autres dispositifs doivent être mis en place.

Nous avons été interpellés par quelques personnes auditionnées au sujet de l'illettrisme. Notre système éducatif est opaque et fait l'objet de réformes très fréquentes. Or, aucune émission de télévision, accessible à tous, ne permet d'expliquer à quoi sert l'école. D'où la préconisation de créer des programmes télévisuels sur les questions éducatives. Il y a la possibilité de diffuser ces programmes sur une chaîne web.

Pour résumer ma pensée : dialoguons dès le début de l'année et formons tous les personnels cette relation pour permettre à tous les enfants de bénéficier des meilleures conditions d'apprentissage.

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