Nous sommes à Montreuil où nous travaillons depuis vingt ans à la création de cette maison citoyenne, un projet politique et non pas compassionnel, charitable ou sanitaire. Nous ne sommes pas malades. Nous voulons changer le regard assez lamentable que la société porte sur les personnes âgées, et changer la vision qu'elles ont d'elles-mêmes et de la société.
Tout un travail de fond reste à faire pour faire évoluer les mentalités, à un moment où les baby boomers arrivent à l'âge de la retraite. Les femmes de cette génération sont différentes de celles de la mienne car elles ont eu des vies professionnelles, moins d'enfants et plus de diplômes. Ces femmes un peu jeunes ne veulent pas entrer en maison de retraite, elles ne relèvent pas de l'Association pour l'accompagnement et le maintien à domicile (APAMAD) ou d'un EHPAD.
Notre maison compte vingt-cinq appartements : quatre sont réservés à des jeunes de moins de trente ans ; les autres accueillent des femmes âgées de soixante à quatre-vingt ans. C'est un projet de vie complet. Au rez-de-chaussée, deux salles – l'une de cinquante mètres carrés, l'autre de soixante mètres carrés – sont dévolues à une « Université du savoir des vieux », l'Unisavie. Les personnes âgées sont souvent traitées comme des gens un peu démunis, même ceux qui ont toute leur tête. Nous voulons proposer des animations qui soient à leur hauteur et faire une véritable recherche sur la vieillesse car le nombre des personnes âgées de quatre-vingts à cent ans commence à augmenter d'une façon exponentielle.
Nous menons une recherche-action avec Laboratoire d'études et de recherches sur l'intervention sociale (LERIS), des chercheurs en anthropologie de l'université de Montpellier et un chercheur en sciences de l'éducation de Paris VIII, de manière à pouvoir établir de nouveaux critères pour la grande et l'extrême vieillesse. Jusqu'à présent, ces études sont restées l'apanage des milieux médicaux et des agences régionales de santé. Avec notre université du savoir des vieux et des vieilles, nous voudrions démontrer que la vieillesse n'est pas une pathologie. C'est d'autant plus nécessaire qu'un quart de la population française a déjà plus de soixante ans et que ce taux passera à un tiers en 2050. Il n'est pas possible de continuer à avoir une vision strictement sanitaire de la vieillesse.
La loi doit accompagner les projets innovants. Pendant toutes ces années passées à la création de « La maison des Babayagas », nous nous sommes heurtées aux pouvoirs publics. Certes, nous demandons des mesures dérogatoires mais il s'agit d'une formule d'avenir, une troisième voie à côté des EHPAD et des solutions de maintien à domicile à tout prix qui présentent beaucoup d'inconvénients.
L'inauguration de notre université populaire aura lieu le 13 octobre – vous y êtes chaleureusement invités. Avec l'aide du LERIS et d'une recherche lancée par Mme Delaunay à l'époque où elle était ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, nous voulons répondre à la question : qui sont ces personnes âgées qui veulent vieillir autrement ? Chez les Babayagas, nous nous définissons comme les semeuses du futur et nous voulons créer une nouvelle civilisation de la vieillesse et du vieillissement.
L'inconvénient est que la vieillesse est souvent regardée comme une gamme de marché : le vieux coûte mais il rapporte aussi énormément. Nous porterons un regard évaluateur sinon critique sur la silver economy. À Montreuil, dans ce département de la Seine-Saint-Denis qui est si riche de culture et si pauvre en argent, nous voudrions présenter un projet permettant de réaliser des économies. Pour le moment, notre maison autogérée n'a pas de services de soins ou hôtelier ; nous nous débrouillons pour tout faire.
La maison a été construite par l'OPHLM et les bailleurs sociaux. Ce sont aussi des bailleurs sociaux qui créent une maison des Babayagas à Saint Priest, à Palaiseau, à Bagneux.