Intervention de Gérard Pélisson

Réunion du 3 juillet 2014 à 16h15
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Gérard Pélisson, président de l'UFE :

Je m'exprime non seulement en tant que président de l'UFE mais aussi en tant que fondateur du groupe Accor. En 1967, nous avons lancé à deux une société qui emploie à présent 150 000 personnes dans le monde. J'ai donc dirigé successivement une microentreprise, une petite, une moyenne, puis une grande entreprise, qui est cotée depuis vingt ans au CAC 40. À mon sens, il existe manifestement un exil de ce que certains nomment une élite.

Au sein de mon groupe, le conseil d'administration a cherché un équilibre difficile entre entreprenariat et capitalisme. En six ans, trois présidents se sont succédé, dont le conseil d'administration, formé de capitalistes et de représentants de fonds internationaux, a demandé le départ. Ces présidents sont des entrepreneurs, tandis que les capitalistes, intéressés par le court terme, privilégient l'intérêt des actionnaires. Pour les premiers, la finance est au service de l'entreprise ; les seconds font l'hypothèse inverse. Quoi qu'il en soit, l'an dernier, ces anciens présidents se sont installés à l'étranger, l'un en Belgique, l'autre au Royaume-Uni, le troisième en Espagne. Ces personnalités de haut niveau ne sont peut-être pas insensibles aux arguments fiscaux, mais surtout elles ont trouvé immédiatement à l'étranger des positions intéressantes de responsables stratégiques dans des conseils d'administration. Pour la France, cela signifie que trois contribuables importants ont émigré la même année. Et je pourrais citer bien d'autres exemples.

Depuis quelques années, le climat des affaires a changé. Les 35 heures ont profondément modifié les mentalités, et entraîné l'exil de certaines « locomotives ». L'état d'esprit n'est plus le même dans les entreprises. Pendant quarante ans, j'ai géré la mienne sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela demande beaucoup d'énergie. Cela suppose aussi de ne pas avoir de soucis personnels d'ordre financier. Ma gestion a été profondément éthique. Quelqu'un m'a dit un jour que je ne payais probablement pas d'impôt parce que j'étais riche. Quelle erreur ! Je les ai toujours payés scrupuleusement, ne serait-ce que pour pouvoir dormir tranquille afin de bien m'occuper de mes affaires.

Le climat actuel est détestable. Certains le comparent à celui de 1789 ou de 1794. On renoue aussi avec l'idée de lutte des classes. J'ai voulu que mon groupe devienne l'un des premiers du monde dans l'hôtellerie et la restauration. J'y suis presque arrivé – pas tout à fait, cependant, à cause de certaines décisions politiques françaises. Paul Dubrule et moi-même avons commencé avec un hôtel en 1967. En 1983, nous avons créé Accor. C'est Accor qui, aujourd'hui, exploite ou franchise près de 4 000 hôtels mais Paul Dubrule et moi possédons moins de 1,5 % du capital. L'argent n'a jamais été notre moteur.

Je regrette qu'on ne retrouve plus aujourd'hui le climat d'entraînement, d'enthousiasme que j'ai connu jadis. Je ne recommencerais pas l'extraordinaire aventure que j'ai vécue, et ce n'est pas en raison de mon âge.

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