Intervention de Pierre de Villiers

Réunion du 9 juillet 2014 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

Je vous remercie de me donner l'occasion de faire un bilan de l'exécution budgétaire pour l'année 2013, au côté de Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement – DGA – et de Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration – SGA – et contrôleur général des armées. Cet exercice permet de rendre compte des conditions d'exécution budgétaire de l'année écoulée, mais il jette aussi un éclairage indispensable sur les conditions de la gestion en cours et sur les perspectives budgétaires pour les années suivantes.

Les armées ont fait, au cours des vingt dernières années, d'importants progrès en matière d'analyse du budget exécuté. Je m'en réjouis, car je me suis personnellement engagé sur ce sujet au début des années 1990, lorsque, sorti de l'École de guerre, je servais à l'état-major de l'armée de terre, au sein du bureau planification et finances. Comment, en effet, construire les budgets sans vision consolidée de l'exécution du dernier d'entre eux ? L'analyse de l'exercice 2013, qui constitue une charnière entre deux lois de programmation militaire – LPM –, est à cet égard particulièrement instructive ; elle a servi de fondation à la construction de la nouvelle LPM et en a déterminé les conditions d'entrée.

En guise de préambule, je veux rappeler que 2013 a été une année très remplie sur le plan opérationnel, puisque plus de 10 000 hommes et femmes de nos armées ont été simultanément engagés en opération pendant une partie de l'année. Les opérations extérieures – OPEX – de l'an dernier auront été marquées par la diminution du dispositif en Afghanistan, le lancement simultané de l'opération Serval au Mali, puis de l'opération Sangaris en République centrafricaine – RCA – en fin d'année. Le surcoût de ces opérations s'est élevé à 1,25 milliard d'euros, soit un dépassement de plus de 600 millions par rapport aux provisions.

L'exécution budgétaire pour 2013 et ses conséquences impactent directement les conditions d'entrée dans la LPM 2014-2019, déjà extrêmement tendues dans tous les domaines. Pour l'illustrer, je vous propose d'analyser le budget exécuté à travers les trois grands domaines qui le structurent : les crédits consacrés à payer le personnel – en d'autres termes la masse salariale –, les crédits de fonctionnement du ministère – notamment pour l'entraînement du personnel – et les crédits d'équipement. Je le ferai en dégageant les principaux leviers et enseignements pour l'avenir à court terme, en 2014, et à moyen terme, de 2015 à 2017.

En 2013, la masse salariale a représenté 12 milliards d'euros, sur un budget global de 31 milliards pour la mission « Défense », sur le périmètre de laquelle 7 093 postes ont été supprimés, dont 6 614 pour les armées, directions et services, soit une économie d'environ 250 millions d'euros. Cette déflation a déjà nécessité un effort considérable, qui sera encore accru en 2014, avec une déflation de 7 658 postes sur le même périmètre, dont 6 969 pour les armées, directions et services. Il est difficile d'aller au-delà, quels que soient les leviers considérés, à savoir le recrutement, l'avancement et la condition du personnel.

Le flux de recrutement annuel, qui garantit la nécessaire jeunesse du personnel militaire, se traduit par une dépense de 170 millions d'euros par an. Tarir ce flux entraînerait un vieillissement de la population incompatible avec le métier des armes et le besoin de régénération des unités combattantes. Utiliser ce levier serait dangereux, car cela aurait des effets néfastes et durables sur le plan opérationnel. Quant à l'avancement, un gel complet entraînerait un gain annuel de 32 millions d'euros, somme dérisoire au regard des conséquences morales et sociales. Enfin, la condition du personnel – mesure d'accompagnement indispensable de la réforme – représente un budget de 159 millions d'euros pour l'année 2013, dont l'essentiel a couvert des dépenses inéluctables. Je laisserai le soin au secrétaire général pour l'administration, en charge de la masse salariale du ministère, de développer ces éléments.

Le fonctionnement, auquel sont dédiés 7 milliards d'euros, se décline en deux agrégats : le fonctionnement courant et l'activité opérationnelle – autrement dit, ce qui est nécessaire à la vie quotidienne des unités et à l'entraînement des forces. Le fonctionnement courant, doté de 2,5 milliards d'euros, n'a rien à voir avec le « train de vie » : il concerne tout ce qui permet d'assurer des conditions de vie et de travail décentes. Sur ce point, nous étions déjà l'an passé à la limite de la rupture, à telle enseigne que le ministre a décidé la mise en oeuvre d'un plan d'urgence de 30 millions d'euros en fin d'année au bénéfice des bases de défense, afin de satisfaire en partie les besoins les plus élémentaires. Comment peut-on envisager d'aller plus loin en ce domaine, quand la hausse de la TVA notamment – qui représente environ 40 millions pour les armées – est prise sous enveloppe et que les coûts de l'énergie et des fluides représentent 40 % des dépenses des bases de défense ?

Quant à l'activité opérationnelle, qui comprend l'entretien programmé des matériels – EPM – et le fonctionnement directement lié à l'entraînement – carburant opérationnel, frais de déplacements liés aux exercices ou frais d'escale, par exemple –, elle constitue à juste titre l'une des priorités de la nouvelle LPM. Pour 2013, 4,5 milliards d'euros y ont été consacrés, dont près de 3,1 milliards pour l'EPM. En 2013, le niveau d'entraînement s'est situé de 15 à 20 % sous les standards de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord – OTAN. Il serait déraisonnable de poursuivre dans cette voie : revenir à un niveau satisfaisant est donc l'un des objectifs de la nouvelle LPM. En 2013, la spirale baissière de l'EPM a été enrayée grâce à un effort de 8 % par rapport à 2012. Cette stabilisation, en entrée de LPM, était la condition sine qua non pour permettre un retour, à terme, aux normes attendues. C'est de la qualité de la préparation opérationnelle qu'il s'agit. Celle-ci permet la réactivité de nos armées et garantit leur aptitude à durer, conditions de leur succès en opération et, in fine, de la liberté d'action politique. En deçà de ce plancher, nous augmentons les risques pour le combattant, en opération comme à l'entraînement. Il y va donc aussi de la protection de nos soldats.

Les équipements – c'est-à-dire les investissements hors EPM –, auxquels sont consacrés 12 milliards d'euros, concernent trois grands domaines : la dissuasion, les programmes d'armement et l'infrastructure. En 2013, la consommation des crédits dédiés à la dissuasion a été d'environ 3 milliards d'euros. Conforme à la programmation, elle n'appelle pas de commentaire de ma part.

S'agissant des programmes d'armement, environ 6 milliards d'euros répartis entre les grands programmes et ceux qui assurent la cohérence capacitaire, nous nous situons à un plancher. Laurent Collet-Billon vous donnera des précisions en la matière ; pour ma part, je veux souligner quelques éléments. Un point positif, d'abord : la quasi-totalité des programmes prévus en 2013 ont été mis en oeuvre. Je pense, par exemple, au nouveau standard F3R du Rafale, de la rénovation de l'Atlantique 2 et du missile antichar de moyenne portée – MMP.

En revanche, l'annulation de 650 millions d'euros, fin 2013, a dégradé le report de charges du programme 146 de 300 millions euros, le portant à hauteur de 2,4 milliards, sur un total de 3,45 milliards de report pour la mission « Défense ». Cela déséquilibre l'entrée en LPM ; et c'est cette annulation qui justifie l'appel des 500 millions d'euros de ressources exceptionnelles supplémentaires. Une incertitude pèse encore sur la moitié de ce montant. Toute réduction supplémentaire conduirait à décaler des programmes très attendus, dont l'arrivée a déjà été repoussée au maximum : programme Scorpion pour la protection des forces, Multi role tanker transport – MRTT – pour le ravitaillement en vol, sous-marin Barracuda ou programmes de renseignement. Aujourd'hui, ces programmes sont gelés en l'absence de garantie sur l'obtention des ressources attendues.

S'agissant enfin de l'infrastructure, elle a représenté environ 1 milliard d'euros en 2013. Ce budget me semble sous-doté compte tenu de l'arrivée des nouveaux programmes, ainsi que des dépenses liées à l'infrastructure nucléaire et aux ports de Toulon et de Brest – dépenses que nous avions plusieurs fois repoussées au cours des dernières années. La plupart de nos jeunes soldats et sous-officiers vivent, je le rappelle, dans une enceinte militaire, donc sur leur lieu de travail. Cette situation problématique est chronique. Le secrétaire général pour l'administration apportera des précisions sur cet agrégat. Les petits équipements – habillement, munitions, systèmes d'information et de communication – et les études représentent enfin un budget proche de 2 milliards d'euros.

Cette rapide revue de l'exécution 2013 révèle l'absence totale de marge de manoeuvre ; et cette situation va perdurer. Le chef des armées, le Président de la République, a pris des engagements forts, que le ministre de la Défense met en oeuvre avec détermination. Au-delà de 2013, votre vigilance sera cruciale sur les conditions d'exécution du budget 2014, fondées notamment sur des ressources exceptionnelles et des prévisions d'exports qui structurent la LPM. C'est un combat collectif que nous devons mener ; il y va de la cohérence de notre démarche vertueuse, telle que la définit le Livre blanc, la LPM, le projet « Cour d'appel 2020 » que j'assume avec les chefs d'état-major d'armées, les directions et les services.

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