On peut distinguer cinq thèmes dans les questions qui m'ont été posées : le report de charges ; l'exécution du budget 2014 et les commandes d'équipement qu'on peut imputer sur celui-ci ; les perspectives ultérieures et leur impact sur les décisions présentes ; les conséquences sur l'activité industrielle ; la structure de la DGA et, à travers elle, les relations entre le ministère de la Défense et Bercy.
Le report de charges du programme 146 s'élève à 2,4 milliards d'euros au terme de l'exercice 2013, dont ont été retranchés 650 millions d'euros. La LPM, monsieur Launay, a été construite avec la perspective, non de réduire, mais de maintenir ce report à 2 milliards : cela suppose une gestion tendue, mais tenable au vu des intérêts moratoires suscités. Par expérience, un report de charges de 1 milliard d'euros – soit un peu plus d'un mois d'exécution budgétaire – nous paraît pour ainsi dire normal ; mais 2,4 milliards, cela commence en effet à faire beaucoup, surtout qu'il est difficile de prévoir l'évolution de ce report dans les années à venir.
La trésorerie française au sein de l'OCCAr sera bientôt complètement amenuisée. Les grands groupes industriels peuvent supporter plus aisément que d'autres des non-paiements liés au report de charges – notamment par des conditions d'accès au crédit plus favorables –, mais ils ne sont ni des banques, ni des organisations de charité publique ; en d'autres termes, ils répercutent le manque à gagner en ne payant plus leurs fournisseurs. Les effets du report sont donc plus sensibles pour les entreprises de taille intermédiaire et les PME ; de plus, ce dernier touche majoritairement des industriels dont la Défense n'est pas la spécialité principale. Le civil représente 80 % des activités d'Airbus, plus de 50 % de celles de Thales et 75 % de celles de Dassault Aviation ; en réalité, seuls les entreprises DCNS et Nexter – qui ne sont pas les mieux portantes, soit dit au passage – peuvent être considérés comme des entreprises de défense à part entière.
L'exécution budgétaire de 2014 se traduit par un reflux de 350 millions d'euros et une augmentation de 500 millions, dont 250 millions pour le PIA, lui-même ciblé sur les actions du Centre national d'études spatiales – CNES – et du CEA grâce au transfert des crédits du programme 191 vers le 146. Autrement dit, les programmes de recherche duale seront en grande partie financés, à plus de 50 % via des recettes extra-budgétaires. Reste à savoir comment trouver les 250 millions d'euros restants et comment les utiliser, selon qu'ils proviendront ou non du PIA. Les ressources issues de la vente des participations de l'État ne sont affectables, je le rappelle, qu'au désendettement de l'État ou à d'autres opérations capitalistiques.
Le ralentissement des commandes en 2014 tient d'abord au manque de visibilité sur les 500 millions d'euros de compensation ; s'est également posée la question des recettes extra-budgétaires issues de la cession de fréquences de 700 MHz de la télévision numérique terrestre – TNT : aux termes de la LPM, 3,7 milliards d'euros au total, dont 1,5 milliard en 2015. Sur ce sujet, une mission associe l'Inspection générale des finances, la DGA, le Contrôle général des armées et l'Agence des participations de l'État ; sans dévoiler de grands secrets, on peut pronostiquer que les recettes ne seront pas encaissées avant 2016, et qu'elles se situeront plutôt autour de 2,4 milliards. Cela pose donc un problème de fond pour le financement des équipements. Or, en la matière, les contrats sont de très longue durée. La livraison de la dernière frégate multi-missions est prévue pour 2022, celle du premier MRTT pour fin 2018 au plus tôt et celle du véhicule blindé multi-rôles – VBMR – pour 2018 également. Une visibilité à dix ans est donc indispensable, sans parler du sous-marin Barracuda, dont le contrat est déjà notifié, pour une livraison attendue seulement en 2028. Bercy nous reproche une certaine rigidité dans la dépense ; mais les contrats sont ainsi notifiés. Quoi qu'il en soit, la question sera réexaminée lorsque nous aurons toute la visibilité voulue sur la programmation triennale et sur l'exercice 2015 ; le ministre de la Défense organisera des concertations sur ce point d'ici aux vacances d'été. La DGA souhaite bien entendu que tous les contrats prévus soient notifiés.
Si toutes les recettes issues de la vente des fréquences ne sont pas au rendez-vous, et s'il manque 1,57 milliard, de deux choses l'une : ou l'on accroît le report de charges, qui équivaudra alors à cinq mois de trésorerie – ce qui conduit n'importe quelle entreprise devant le tribunal de commerce –, ou l'on engage un nouveau PIA, dont les crédits devront alors être consommés par des opérateurs habilités. La question n'est pas encore posée, mais devra l'être, selon nous, dans le projet de loi de finances pour 2015.
Le secteur de l'armement représente aujourd'hui 165 000 emplois ; ses exportations, d'un montant de 6,5 milliards d'euros l'an dernier, devraient bientôt se situer au même niveau que la production nationale. Au reste, plus les investissements nationaux sont faibles, plus les entreprises vont chercher des marchés ailleurs : Éric Trappier l'a rappelé en termes peu diplomatiques lors d'une audition à l'Assemblée.
La relation de la DGA avec Bercy a toujours été un peu conflictuelle, monsieur Cornut-Gentille, et la question est peut-être de trouver un amortisseur. La trésorerie de l'OCCAr permet d'amortir les flux de gestion des programmes en fonction des dotations des États. Ne pourrait-on sereinement envisager une logique comparable, s'agissant de l'évolution du statut de la DGA ? Une telle réflexion n'aurait aucun effet à court terme et ne dispense pas, en tout état de cause, d'apporter des solutions budgétaires pour la fin de l'exercice 2014 et pour l'exercice 2015.
Le programme 146 dispose d'une réserve de 500 millions d'euros en crédits de paiement, et la question des OPEX n'est pas nouvelle : la DGA a donc l'habitude d'y faire face.
Nous sommes tous attachés à l'industrie nationale, et nous efforçons de la soutenir dans la mesure du possible, en particulier grâce aux crédits d'innovation ou aux études amont. Cela dit, la réglementation bruxelloise impose des contraintes de plus en plus strictes, et les pays qui s'en exonèrent sont de plus en plus souvent rattrapés par la patrouille – la République tchèque l'a été, par exemple, sur l'achat d'avions de gré à gré. Le ministre de la Défense en est conscient, puisqu'il a excipé de l'article 346 du traité de l'Union pour le programme Scorpion ; mais l'on ne peut utiliser cette procédure à chaque fois : il faut la réserver aux dossiers prioritaires.
Pour le PPT, deux groupes étaient en concurrence, le consortium mené par Renault Trucks d'une part, celui formé par le groupe alsacien Lohr – et sa filiale Soframe – et Iveco de l'autre ; c'est le second qui l'a emporté. Je rappelle au passage que le groupe Iveco emploie 10 000 personnes en France, en particulier dans la région de Limoges. Renault Trucks est implanté à Bourg-en-Bresse et il emploie également des personnes en France, mais il appartient à Volvo, groupe suédois. Bref, le critère de nationalité des entreprises doit être relativisé. Les Britanniques ont coutume de dire que tous ceux qui produisent des emplois sur leur territoire – et y paient leurs impôts – sont britanniques…