Intervention de Alain Cordier

Réunion du 8 juillet 2014 à 9h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Alain Cordier, ancien président de la CNSA :

De mémoire, en 2006 ou en 2007.

Il est important de découvrir que l'on progresse lorsque l'on reconnaît que la confrontation des points de vue est utile au sens du point d'où je vois. Un président de conseil général ne voit pas la même chose, et n'entre pas dans le sujet de la même façon qu'un représentant d'association. La question est de savoir si l'on souhaite progresser – ce qui ne veut pas dire tout régler, mais au moins identifier les divergences et repérer les convergences possibles. Cette intuition reste essentielle.

La place de l'État dans le conseil de la CNSA reste discutée. Le législateur a fait preuve d'une grande audace. Il existe deux systèmes classiques : celui où l'État est majoritaire au conseil et où son président est un représentant de l'État, et celui où le conseil ne compte aucun représentant de l'État, mais où celui-ci est néanmoins représenté par un commissaire du Gouvernement. Nous sommes ici dans un système hybride, dans lequel l'État n'a pas la majorité, bien qu'il pèse énormément puisqu'il détient environ 44 % des voix. Par ailleurs, le président du conseil n'est pas censé représenter l'État : c'est une personnalité qualifiée élue par ses pairs. Personnellement, j'ai toujours défendu l'idée que le président de la CNSA devait être à équidistance de l'État, des associations, des syndicats et des financeurs, pour essayer – lorsque je le sentais possible – de faire émerger une convergence ou d'identifier une divergence, et d'en faire une synthèse. Certains m'ont reproché de ne pas toujours être du côté de l'État ou des syndicats. Mais il me semblait que le service que je devais rendre, dans l'architecture voulue par le législateur, était d'essayer de faire émerger cette convergence, ce qui suppose de la part de l'État une intelligence particulière : lorsqu'il siège au conseil, il doit être plutôt partie prenante que tuteur.

Le législateur n'a doté ce conseil d'aucun pouvoir. Il ne s'agit ni d'un conseil d'administration, ni d'un conseil de surveillance, ni d'un conseil d'orientation. En revanche, il lui a donné la compétence de voter le budget, mais un budget décidé pour l'essentiel par le Parlement – l'ONDAM. Sur le plan juridique, c'est un peu bancal. Néanmoins, nous arrivions à nous en débrouiller en faisant un travail d'analyse, d'observation et d'orientation. Ceci fait, les associations se retiraient du jeu et l'État arrêtait le budget. Au fond, le processus était assez mécanique.

J'insisterai plus particulièrement sur la dernière intuition, qui rejoint sans doute une part de vos questions. Tout cela nous conduit progressivement à un nouveau paradigme du pilotage des politiques publiques.

Le législateur a assigné à la CNSA l'objectif de rendre compte une fois par an à travers un rapport. C'est pour moi une idée forte dans la gouvernance des politiques publiques. Il s'agit de faire le point, une fois par an, sur ce qui a fonctionné et sur ce qui n'a pas fonctionné. Nous avons besoin de cette culture de l'erreur ou de cette learning curve – courbe d'apprentissage ou d'expérience. Cela nous a permis de découvrir que nous avions d'abord besoin d'une gestion de proximité. J'ignore quel sera l'avenir institutionnel du département, mais il est impératif de conserver la capacité d'une gestion de proximité : une réponse personnalisée implique de tenir compte de considérations « loco-régionales ». Or certains départements ont une densité de médecins suffisante, et d'autres non ; de même, il y a des secteurs plus dynamiques que d'autres.

Mais nous avons aussi besoin d'un État stratège et régulateur. En ce qui me concerne, j'ai beaucoup regretté que l'État ne soit pas assez stratège. Je reste ainsi fasciné par l'épaisseur des annexes à la première convention d'objectifs et de gestion (COG) que nous avions élaborée. Cela montre que tout n'avait pas été compris du côté de l'État.

Proximité d'un côté, État stratège de l'autre, donc. Entre les deux, nous avons un opérateur d'assistance à la maîtrise d'ouvrage nationale et d'appui à la maîtrise d'oeuvre au plan local. Cet intermédiaire est subtil ; il faut en passer par des éléments de contractualisation. Il faut accepter cette complexité, car nous sommes face à un sujet complexe. Les réponses simples sont peut-être séduisantes, mais elles se révèlent vite simplistes par rapport à des situations complexes.

J'ai repris cette idée dans le rapport du « Comité des sages » que j'ai rendu au Gouvernement l'an dernier : il s'agit de réorganiser fondamentalement la gouvernance au niveau national, avec une seule direction nationale de la stratégie en santé – ce qui implique de franchir la frontière entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social.

Il y a pour moi deux points saillants dans cette aventure – qui s'est prolongée, puisque je siège au collège de la Haute Autorité de santé (HAS), où nous développons toutes ces idées.

Tout d'abord, il importe d'accepter la complexité et d'avoir une approche systémique – ce qui n'est pas facile pour une administration, qui a en général une approche très verticale. Il faut donc se doter de lieux, c'est-à-dire à la fois d'espaces et d'organigrammes, permettant de mettre en oeuvre cette approche systémique. Je sais que ce point est débattu ; certains estiment que cela revient à l'échelon politique, c'est-à-dire au ministre et à son cabinet. Certes, c'est la vocation de l'échelon politique ; mais il y répondra d'autant mieux qu'il disposera d'une administration capable de faire ce travail d'élaboration d'une vision systémique et de synthèse.

Ensuite, mon obsession est désormais le mode opératoire. Je l'ai dit, nous sommes globalement tous d'accord sur le diagnostic : c'est vers la fluidité des parcours qu'il nous faut aller. Soyons donc pragmatiques. J'ai eu la chance de diriger une entreprise privée pendant huit ans, et de la développer aux États-Unis. Je raconte souvent cette anecdote, qui m'a beaucoup marqué. La première fois que je me suis retrouvé devant des salariés américains, je leur ai fait un grand discours sur la stratégie. « Demain matin, m'ont-ils demandé au bout d'un moment, que faisons-nous ? » Encore aujourd'hui, je pense – et je le dis dans mes rapports – que le plus important est d'enclencher des décisions concrètes capables de faire basculer le paradigme. C'est ce que j'ai essayé de faire dans le rapport du « Comité des sages » l'an dernier. On peut rejeter ces propositions, mais à condition d'en réinventer d'autres.

Permettez-moi de vous donner un exemple de pragmatisme. Avant de faire une grande révolution institutionnelle, pourquoi ne pas examiner de plus près les deux propositions formulées dans l'un de nos rapports ? La première consistait à envisager une partie commune dans la composition des conseils de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et de la CNSA, afin que ces personnes vivent elles-mêmes la transversalité entre le sanitaire et le médico-social. La seconde, qui a été très débattue, au point que nous l'avons formulée sous forme d'interrogation, concernait les MDPH : au lieu de les maintenir dans un statut de groupement d'intérêt public (GIP), pourquoi ne pas reconnaître clairement un management sous l'autorité du conseil général, à condition d'avoir un conseil des acteurs et des parties prenantes suffisamment puissant pour se faire entendre ? Nous n'avions pas tranché, mais nous avions posé la question.

Dans les politiques publiques, la question clé est celle du management, de l'organisation ou des process. Comment avancer chaque jour ? Telle est en tout cas l'exigence que je retire de mon expérience.

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