Le mot de « sanctuarisation » traduit l'inquiétude profonde – et très vive – du monde médico-social : celle de se faire « manger » par le monde sanitaire. Je terminais mon mandat au moment de la discussion de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Il s'agissait notamment de savoir si les compétences des agences régionales de santé (ARS) devaient s'étendre au médico-social. Ce débat a été très vif, du fait de cette peur. Reconnaissons qu'elle n'est pas totalement irraisonnée : la tendance naturelle est bien de privilégier la « grande première » médicale plutôt que de renforcer la présence d'infirmières la nuit dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Il n'empêche que le législateur a fait le choix d'inclure le médico-social dans les ARS. Il faut donc aller au bout de ce choix : on ne peut rester au milieu du gué. Le pragmatisme peut consister à avancer ou à reculer – ce qui peut être tout aussi légitime.
Il s'agit aujourd'hui, et les travaux sur le vieillissement que nous avons conduits avec Denis Piveteau dans le cadre du HCAAM démontrent clairement cette nécessité, de mettre un peu plus de moyens dans le secteur médico-social et un peu moins dans le secteur sanitaire, et en particulier dans le domaine hospitalier. Cela étant, tout se tient. Aujourd'hui, il est de bon ton de dire qu'il faut développer la chirurgie ambulatoire. Mais si nous le faisons sans nous préoccuper de l'aval, de l'accueil à domicile ou de l'accompagnement des patients, il y a peu de chances qu'elle se développe vraiment. Ce qui est important, c'est donc d'aller au bout de la logique. C'est ce que nous avons fait dans le rapport du « Comité des sages », en proposant d'un côté une vraie autorité administrative, la direction générale de la stratégie nationale de santé, capable de piloter à la fois la CNAMTS, la CNSA, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), et de l'autre une vraie capacité d'autorité au niveau régional, avec une réelle fongibilité. L'objectif doit être celui des équipes de soins de santé primaires, du médico-social et de l'organisation des process hospitaliers de telle manière qu'ils ne soient que la réponse technique dont nous avons besoin à un moment donné. Cela suppose à la fois une capacité de gestion et une transversalité dans les organigrammes des ARS. Force est en effet de constater qu'il y a une grande verticalité dans leur organisation. Il faut la repenser pour faire vivre la transversalité et franchir la frontière entre le médico-social et le sanitaire. Je le répète, c'est une question de confiance, car la méfiance est grande du côté du secteur médico-social. Mais, à l'évidence, renforcer la présence soignante un peu qualifiée la nuit dans les EHPAD évitera bien des recours aux urgences hospitalières, de même que renforcer celle d'auxiliaires de vie à domicile évitera un certain nombre de chutes et de fractures du col de fémur – avec tout ce qui s'ensuit. Nous avons intégré des éléments chiffrés à notre réflexion. Pour aller au bout de la logique, il faut accepter de lever un tabou, c'est-à-dire de s'interroger sur les modes de rémunération et de tarification, qui incitent à la verticalité et non à la transversalité. J'avais préconisé dans le rapport du « Comité des sages » de réunir, comme cela s'est fait dans beaucoup d'États américains, l'ensemble des acteurs pendant plusieurs mois pour réfléchir à la façon d'inclure des incitations à la transversalité dans nos modes de rémunération et de tarification. C'est au moins aussi crucial que les systèmes d'information. On ne peut en vouloir aux acteurs, qui vont être jugés – y compris financièrement – dans leur verticalité, de ne pas travailler dans la transversalité.
J'en viens aux fameux excédents de la CNSA. Fort heureusement, nous avons bénéficié ici du soutien des pouvoirs publics. Nous avions compris que ces excédents étaient de faux excédents. À l'époque, il s'agissait surtout de créer des places. Cela ne se fait pas d'un seul coup, d'où un décalage entre l'octroi des crédits et la réalisation. Nous avions alors obtenu des ministères concernés de pouvoir réutiliser ces excédents dans des dépenses d'investissement. Cela a été un levier important, d'autant que comme pour les PRIAC, que j'ai évoqués tout à l'heure, nous avions fait approuver par le conseil des critères de choix sur l'investissement. Il nous semblait en effet nécessaire, pour la clarté et la transparence, de nous donner ces critères de choix en termes d'investissement, permettant à l'administration de prendre les bonnes décisions à la fois au plan local et au plan national. Denis Piveteau revenait ensuite devant le conseil pour rendre compte, c'est-à-dire pour expliquer comment le budget avait été réparti au regard de ces critères. Non seulement c'était très astucieux, mais cela a permis d'améliorer des situations concrètes et de faire progresser la culture collective. Il faut cesser de penser que, parce que l'on met un budget, on répond à tous les besoins. Il y a des besoins ; il faut les identifier, se donner des critères de choix et assumer ces critères.