Je souhaite saisir l'occasion qui m'est donnée pour indiquer qu'il s'agit de ma première mission d'information. À ce titre, je tiens à remercier mon groupe mais aussi le président de la Commission – que j'ai un peu harcelé mais la question était importante à mes yeux et je pense qu'il fallait la porter à la connaissance de nos collègues ici présents. Je remercie également mon collègue René Dosière, qui connaît bien les questions relatives à l'outre-mer. Malgré nos sensibilités politiques différentes, nous avons rédigé ce rapport à l'unisson. C'est bien la preuve que dans certaines circonstances, nous savons faire la part des choses et nous placer au-dessus de ces différences.
Il y a un peu plus de sept ans, le Parlement adoptait une vaste réforme du cadre institutionnel et statutaire de l'outre-mer. Parmi les différentes dispositions de la loi organique du 21 février 2007 figurait l'attribution du statut de collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, alors qu'elles étaient auparavant – comme vous le savez – des communes rattachées au département de Guadeloupe.
Les populations de Saint-Martin et Saint-Barthélemy s'étaient prononcées dès décembre 2003 en faveur d'une telle évolution.
La création d'une mission d'information sur la collectivité de Saint-Martin, qui résulte d'une proposition du groupe UMP, ne traduit cependant pas seulement la volonté d'évaluer le cadre statutaire mais aussi celle de prendre en compte les difficultés auxquelles la collectivité est confrontée. Il était également nécessaire d'examiner ses relations avec Sint-Maarten, la partie néerlandaise de l'île – puisque celle-ci est divisée en deux – ainsi que d'évaluer l'impact de son statut de région ultrapériphérique au sein de l'Union européenne.
C'est dans cette perspective d'ensemble que se sont inscrits les travaux de la mission d'information créée le 15 janvier dernier, composée de deux rapporteurs, mon collègue René Dosière et moi-même.
Nous avons procédé à l'audition d'une vingtaine de personnes à Paris et avons effectué un déplacement à Saint-Martin – en votre compagnie, Monsieur le président – qui nous a permis d'entendre l'ensemble des acteurs institutionnels, ainsi que les représentants socio-économiques et les responsables des collectivités et entités voisines (Sint-Maarten, Anguilla et Saint-Barthélemy). Nous nous sommes également rendus à La Haye pour aborder avec les autorités néerlandaises la question des relations avec Sint-Maarten.
Il ressort de nos travaux que le cadre institutionnel et statutaire de Saint-Martin est dans l'ensemble satisfaisant. Il assure en effet le bon fonctionnement des institutions. La collectivité dispose de compétences étendues puisqu'elle s'est substituée à la commune, au département et à la région et peut fixer elle-même les règles dans certains domaines, tels que la fiscalité, le tourisme, la circulation routière, l'urbanisme et l'énergie.
En revanche, nous avons pu constater que la mise en oeuvre de ses compétences se heurtait à différentes difficultés.
En effet, la marge d'action de la collectivité en matière de politiques publiques se trouve très limitée en raison d'un déficit budgétaire structurel.
Cette situation s'explique par plusieurs facteurs :
– la perte de différentes recettes à la suite du changement statutaire : il s'agit de l'octroi de mer et des avances mensuelles sur le produit voté des impositions locales ;
– une évolution exponentielle des dépenses liées au revenu de solidarité active (RSA), qui atteignent actuellement 16 millions d'euros par an ;
– des recettes fiscales insuffisantes, en raison de la suppression de certains impôts ou de la réduction de leurs taux depuis que la collectivité dispose de la compétence fiscale mais aussi des difficultés des opérations d'assiette, de recouvrement et de contrôle qui relèvent toujours de l'État.
Les difficultés financières de Saint-Martin ont conduit à la signature en décembre 2012 d'un protocole d'accompagnement financier entre l'État et la collectivité, prévoyant un prêt de l'Agence française de développement (AFD) de 25 millions d'euros et une avance remboursable de l'État de 18 millions d'euros. La situation reste cependant préoccupante : il nous a été indiqué que le déficit de trésorerie de la collectivité s'élevait, au mois de février dernier, à 35 millions d'euros.
Ces différents constats nous ont amenés à écarter l'hypothèse d'une révision du statut – hormis quelques ajustements visant à renforcer la cohérence de la gouvernance – car celui-ci n'est pas en cause : il s'agit plutôt de créer un cadre propice à l'affirmation d'une stratégie permettant à Saint-Martin de rattraper son retard de développement. Dans cette perspective, nous avons identifié trois axes.
Premier axe : assurer un exercice plus efficace des compétences de la collectivité avec l'appui de l'État
Dans le rapport, nous formulons différentes propositions afin que l'État comme la collectivité assument pleinement leurs responsabilités.
S'agissant de l'État, nous proposons notamment de procéder à un « toilettage » des textes en vigueur à Saint-Martin afin de garantir l'applicabilité des normes, la sécurité juridique des procédures et la précision des compétences transférées à la collectivité ; il conviendrait également de renforcer les effectifs de la préfecture déléguée – on aurait pu aller un peu plus loin et demander un préfet de plein exercice.
Il nous paraît également essentiel d'améliorer la collaboration entre l'État et la collectivité dans le domaine fiscal, afin de résoudre les difficultés des opérations d'assiette, de recouvrement et de contrôle.
Nous proposons aussi différentes mesures pour développer l'attractivité de la fonction publique et la formation des agents de la collectivité.
Compte tenu de la situation préoccupante de Saint-Martin dans ce domaine, il convient de renforcer la politique de lutte contre la délinquance, notamment par l'augmentation des crédits de la politique de prévention et des moyens de la justice.
Enfin, sous réserve de la décision attendue du tribunal administratif de Paris, saisi par la collectivité, nous sommes favorables à un réexamen de l'évaluation et de la compensation des charges transférées à la collectivité, cette évaluation ayant conduit à la fixation en 2011 d'une dotation globale de compensation négative, de l'ordre de 600 000 euros, qui pèse sur le budget de la collectivité.
S'agissant maintenant de la collectivité, nous recommandons l'établissement d'une véritable stratégie de développement, s'appuyant notamment sur une évolution de la gouvernance en matière d'action économique (par la création d'une agence de développement), sur une évaluation systématique de l'impact des mesures fiscales et sur une meilleure utilisation des possibilités d'adaptation des normes.
Le deuxième axe, c'est bâtir un véritable partenariat de co-développement avec Sint-Maarten.
La coexistence avec Sint-Maarten ne va pas sans difficultés, du fait des différences de normes, de monnaie, de système de protection sociale ou encore de statut européen entre deux territoires très interdépendants – notamment parce qu'en pratique aucune frontière matérialisée ne les sépare. De ce point de vue, nous étions et nous sommes l'Europe avant l'Europe !
Certes, il existe une coopération entre les deux parties de l'île, qui trouve notamment sa traduction dans des accords entre la France et les Pays-Bas, mais celle-ci rencontre des obstacles, comme en témoignent les délais nécessaires à la ratification de certains de ces accords – en matière de coopération policière par exemple – ou le manque d'effectivité d'accords déjà ratifiés – par exemple, en matière douanière.
La mission propose donc différentes initiatives visant à relancer cette coopération, en particulier la mise en oeuvre d'un échange d'informations pour lutter contre les fraudes relatives à la perception du RSA par des résidents de Saint-Martin employés à Sint-Maarten.
Au plan institutionnel, nous recommandons la création d'un « Congrès de Saint-Martin » – que j'appellerai également « United Congress French and Dutch Saint-Martin » parce que nous sommes une île sur laquelle l'anglais est parlé de chaque côté, cette institution devant réunir les représentants des deux collectivités pour exercer conjointement certaines compétences dans des domaines utiles à la coopération.
Troisième et dernier axe : nouer avec l'Union européenne des relations compatibles avec l'exigence d'une meilleure insertion régionale.
Actuellement, le statut européen de Saint-Martin est celui d'une région ultrapériphérique (ou RUP), intégrée à l'Union européenne. À ce titre, Saint-Martin bénéficie de crédits des fonds structurels européens (près de 70 millions d'euros, tous fonds confondus, sont prévus pour la programmation 2014-2020). Elle doit par ailleurs appliquer l'ensemble des normes européennes, ce qui peut se révéler problématique par rapport à Sint-Maarten, qui a un statut de pays et territoire d'outre-mer (plus communément appelé PTOM), associé à l'Union européenne sans y être intégré.
Nous estimons que l'exploitation des possibilités de dérogations aux normes européennes existant en faveur des RUP permettrait d'ores et déjà une meilleure prise en compte des spécificités de Saint-Martin.
Au-delà, nous pensons qu'une réflexion devrait être menée sur les avantages et les inconvénients d'un passage au statut de PTOM afin que la collectivité puisse arrêter un choix en 2018, compte tenu de l'ouverture d'une nouvelle période de programmation des fonds européens en 2021.
L'avenir de Saint-Martin est ouvert, et nous souhaitons que cet avenir lui permette d'affirmer pleinement sa singularité.