Le cadre juridique régissant les élections locales a été profondément modifié par la loi organique et la loi du 17 mai 2013.
Un peu plus d'une année après la promulgation de ces deux textes, sur la suggestion de notre collègue Guillaume Larrivé, co-rapporteur pour la mise en application, nous nous sommes attachés à contrôler et à évaluer les conditions de leur mise en oeuvre, en application de l'article 145-7 du Règlement de notre Assemblée.
Notre premier élément d'évaluation a concerné la publication des décrets d'application prévus. En dehors des décrets relatifs au redécoupage des cantons, qui ont tous été publiés avant le 1er mars 2014 et sur lesquels je reviendrai, ces deux lois n'appelaient qu'un seul décret d'application : il s'agit du décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013. Toutes les mesures réglementaires d'application des lois du 17 mai 2013 ont donc bien été prises.
Notre deuxième élément d'évaluation a porté sur l'application des nouvelles règles prévues pour les élections municipales, à partir des enseignements que les élections des 23 et 30 mars derniers ont permis de tirer.
Dans 59 % des 6 465 communes comptant de 1 000 à 3 499 habitants, dans lesquelles le scrutin majoritaire de liste paritaire avec représentation proportionnelle a remplacé l'ancien système majoritaire plurinominal avec possibilité de panachage, les élections de mars 2014 ont vu concourir au moins deux listes. Une seule commune, Gironde-sur-Dropt, commune comptant 1 136 habitants en Gironde, a été confrontée à l'absence de liste. Toutefois, l'organisation d'une élection partielle le 5 mai 2014 a finalement suscité des vocations, avec le dépôt de trois listes ayant permis l'élection d'un conseil municipal. Au total, 21 186 listes ont été enregistrées dans les 9 734 communes de plus de 1 000 habitants, chiffre en progression par rapport à 2008, ce qui représente 926 068 candidatures enregistrées.
Au-delà de l'intérêt des Français pour la démocratie locale et de la vitalité de l'engagement citoyen dont ces chiffres attestent, il me semble donc possible d'affirmer, à la lueur de ces éléments, que les craintes exprimées par certains de nos collègues lors des débats, s'agissant de la capacité à former des listes paritaires, ou du risque de politisation d'un scrutin qui n'a pas forcément cette dimension dans les communes peu peuplées, ne se sont pas avérées fondées.
Nous nous sommes aussi intéressés au bilan de l'élection, pour la première fois au suffrage universel direct, des conseillers communautaires. Il s'agissait en effet là d'une des autres innovations importantes des lois du 17 mai 2013.
Si le nouveau mécanisme du fléchage ne semble pas avoir posé de difficulté particulière, il apparaît nécessaire que certaines précisions soient apportées sur deux sujets connexes.
L'article 22 de la loi a en effet rationalisé la définition des fonctions de direction au sein d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) dont les titulaires sont, de ce fait, inéligibles aux élections municipales organisées dans leur ressort. Cependant, selon divers témoignages portés à notre connaissance, l'élargissement du champ des inéligibilités semble avoir parfois fait l'objet d'une interprétation très extensive de la part de l'autorité préfectorale. Ainsi, certains agents publics occupant des fonctions non explicitement ciblées par ces dispositions auraient été contraints de renoncer à leur engagement citoyen à l'occasion de la séquence électorale de mars 2014. Le rapport préconise donc la publication d'une circulaire rappelant et déclinant ces principes, pour contribuer à leur application homogène sur l'ensemble du territoire de la République.
Les modalités de remplacement des conseillers communautaires uniques élus dans les communes de plus de 1 000 habitants doivent aussi être clarifiées. L'article L. 273-10 du code électoral qui prévoit les modalités de remplacement en cas de vacance d'un siège de conseiller communautaire, modifié à l'initiative du Sénat, vient en effet contredire l'article L. 273-9 du même code. Si cela ne soulève pas de difficultés pratiques, cette forme d'incohérence aboutit à un résultat inverse aux objectifs de parité recherchés. Aussi, à l'initiative de son rapporteur, notre collègue Sébastien Denaja, un article additionnel a-t-il été inséré dans le projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, actuellement en cours d'examen, afin de prévoir que, lorsqu'un seul siège de conseiller communautaire est attribué à la commune, le remplaçant du conseiller communautaire démissionnaire est le suivant de liste, nécessairement de sexe différent. Cet amendement permet d'en revenir à l'intention qui nous avait alors animés.
Pour conclure sur la mise en oeuvre du volet communal et intercommunal de ces lois, le rapport précise que le contentieux des scrutins des 23 et 30 mars derniers est demeuré stable, comparativement aux précédentes élections municipales : 4 853 recours ont été déposés devant les tribunaux administratifs.
J'en viens maintenant au volet départemental des lois du 17 mai 2013. Comme chacun peut aisément en comprendre les raisons, notre évaluation n'a pu porter que sur les modalités de mise en oeuvre du nouveau découpage cantonal.
L'article 46 de la loi a fixé les règles applicables à cette opération de redécoupage. La délimitation des cantons doit respecter trois exigences : la continuité territoriale, l'insertion dans un seul et même canton de toute commune de moins de 3 500 habitants et la définition du territoire de chaque canton « sur des bases essentiellement démographiques ». Il prévoit toutefois qu'il peut être apporté à ces trois règles « des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d'autres impératifs d'intérêt général ». Au cours des débats parlementaires, beaucoup de nos collègues se sont essayés à préciser et élargir ces possibles tempéraments apportés à la stricte logique démographique. Comme je l'avais pressenti à l'époque lors de nos échanges, le Conseil constitutionnel a déclaré tous ces ajouts contraires à la Constitution dans sa décision du 16 mai 2013.
L'ensemble des décrets en Conseil d'État portant nouvelle délimitation des cantons ont été publiés avant le 1er mars 2014. Postérieurement, deux décrets, l'un du 19 mars, l'autre du 13 mai, ont corrigé certaines erreurs matérielles.
Conformément à l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, les conseils généraux ont été consultés sur les projets de décret portant nouvelle délimitation des cantons. Sur les 98 conseils généraux, 41 ont émis un avis favorable, tandis que 57 ont rendu un avis défavorable. Les projets de décret ont ensuite été soumis pour avis au Conseil d'État, en formation consultative. Sur les 98 projets, 66 ont fait l'objet de propositions de modification du Conseil d'État, qui ont systématiquement été suivies par le gouvernement.
Sur les 2 054 cantons ainsi découpés, seuls 29 (soit 1,4 %) sont en « exception démographique », c'est-à-dire que leur population excède l'écart de plus ou moins 20 % par rapport à la population moyenne des cantons du département. Je rappelle que cet écart à la moyenne, qui a lui aussi fait l'objet de nombreux débats lors de l'examen de ces textes, ne figure pas dans la version finale de la loi. Il s'agit néanmoins d'une contrainte constante de la jurisprudence constitutionnelle en la matière, réaffirmée avec de plus en plus de fermeté depuis plus de 25 ans.
Les décrets en Conseil d'État portant délimitation des cantons ont fait l'objet d'une importante série de recours. Le ministère de l'Intérieur a reçu plus d'un millier de recours gracieux. Au 18 juin 2014, aucun n'avait donné lieu à une suite favorable aux requérants. Au 9 juillet 2014, le Conseil d'État a, quant à lui, enregistré 2 558 recours contentieux. Les principales critiques émises portent sur le caractère estimé partisan du nouveau découpage, ainsi que sur les atteintes qui seraient portées à la ruralité, en raison de la très vaste superficie de certains cantons et du grand nombre de communes dans certains d'entre eux.
Certains ont, par ailleurs, mis en cause la double compétence – à la fois consultative et contentieuse – du Conseil d'État à l'égard des décrets délimitant les cantons, au motif qu'elle pourrait être de nature à faire douter de son impartialité, notamment au regard de la Convention européenne des droits de l'homme. Il convient toutefois de signaler que le Conseil d'État a rejeté le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) formée à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre un décret délimitant les cantons de la Gironde, qui contestait la constitutionnalité de cette double compétence.
Au 9 juillet 2014, 981 requêtes avaient déjà été traitées et toutes rejetées, 58 sous forme de décisions rendues par des formations collégiales et 923 sous forme d'ordonnances découlant d'une décision prise sur le fond.
À ce stade, je veux simplement mentionner plusieurs décisions significatives du Conseil d'État.
En premier lieu, dans la décision « Hyest » du 21 mai 2014, le Conseil d'État juge que le nouveau découpage cantonal n'est pas tenu de coïncider avec les périmètres d'autres circonscriptions électorales ou de subdivisions administratives. Nous n'avions effectivement pas inscrit ces contraintes dans la loi.
En deuxième lieu, dans la décision « Aserdel » du 26 mai 2014, le Conseil d'État rejette un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 6 février 2014, qui a prévu que le découpage cantonal s'appuie sur les chiffres de population authentifiés fin 2012.
En troisième lieu, dans une décision « Commune de Dieuze » du 4 juin 2014, relative au département de la Moselle, le Conseil d'État apporte des précisions quant à l'intensité de son contrôle des décrets délimitant les cantons : le rattachement d'une commune à un canton plutôt qu'à un autre fait l'objet d'un contrôle restreint, consistant à vérifier l'absence d' « erreur manifeste d'appréciation » ; le moyen tiré d'un écart important entre la population d'un nouveau canton et la population moyenne du département, alors même qu'il est inférieur à 20 % – en l'espèce, plus de 19 % –, est examiné par le Conseil d'État, qui contrôle les justifications de cet écart et vérifie que celles-ci ne revêtent pas un « caractère arbitraire ».
Enfin, dans une décision du 27 juin 2014, le Conseil d'État considère que la règle législative selon laquelle aucun redécoupage des circonscriptions électorales ne peut avoir lieu dans l'année précédant le scrutin n'entache pas d'illégalité un nouveau décret de délimitation des cantons, rendu nécessaire par l'éventuelle annulation contentieuse d'un premier décret par le Conseil d'État.
Ainsi, sans présumer de l'issue de l'ensemble des contentieux restant à traiter, il ne semble pas imprudent de considérer que peu d'entre eux sont voués à prospérer.
Pour terminer cette présentation d'un rapport qui se veut essentiellement factuel, puisque tel est l'objet de ce type de travail, je rappellerai que le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi qui prévoyait de laisser vacant jusqu'au prochain renouvellement général du conseil départemental un siège qui ne pourrait plus être pourvu ni par le titulaire élu, ni par son suppléant de même sexe. L'article 9 du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, en cours de discussion dans l'hémicycle dès aujourd'hui, a pour objet de proposer un dispositif de nature à régler cette difficulté, en prévoyant que le siège vacant sera pourvu grâce à l'organisation d'une élection départementale partielle, qui se déroulera alors au scrutin uninominal et sera ouverte aux candidats des deux sexes.