Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du 16 juillet 2014 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé, co-rapporteur d'application :

Les lois du 17 mai 2013 s'inscrivent dans la longue liste des lois électorales votées hier, débattues aujourd'hui ou préparées demain par l'actuelle majorité.

Au-delà des aspects techniques de l'application de la loi que le rapporteur a exposés, je ferai deux séries de remarques.

Quelques mots, d'abord, sur l'application des dispositions relatives aux élections des conseils municipaux et des conseils communautaires. Je souhaite vous faire part d'une interrogation, s'agissant des modalités d'élection des exécutifs des communes et des intercommunalités.

Ces lois de 2013, d'une part, n'ont pas modifié le mode d'élection du maire, qui est élu, comme chacun le sait ici, par les conseillers municipaux et non pas par les électeurs eux-mêmes, contrairement à ce que nos concitoyens croient le plus souvent.

Les lois de 2013, d'autre part, ont entendu permettre aux citoyens de choisir un peu plus directement que par le passé les élus siégeant au sein des intercommunalités ; mais elle ne leur donne pas le droit de choisir eux-mêmes le président de l'intercommunalité, qui est élu par les conseillers communautaires. Certains observateurs ont pu noter, en avril dernier, que ce mode de désignation laisse une certaine part à des tractations de couloirs et à des échanges sur l'attribution de vice-présidences permettant parfois l'obtention d'indemnités. C'est une réalité qui a parfois pu aboutir, dans certaines communautés urbaines ou certaines communautés d'agglomération, à l'élection d'un président dont la sensibilité politique ne semble pas être celle de la majorité des électeurs de l'intercommunalité.

Il me semble qu'il serait plus démocratique, c'est-à-dire plus lisible, plus clair, plus transparent, que les maires et les présidents d'intercommunalité soient élus, demain ou après-demain, au suffrage universel direct. Cette préconisation vaut également pour Paris : contrairement au mode de scrutin actuel, les Parisiens devraient pouvoir élire directement leur maire.

C'est une première réflexion que je souhaitais, très librement, soumettre à notre Commission.

J'en viens maintenant aux dispositions applicables aux régions et aux départements, c'est-à-dire au coeur des lois du 17 mai 2013. Disons les choses comme elles sont : ces lois sont mort-nées.

Je ferai, à cet égard, trois observations.

Premièrement, la modification du calendrier électoral, décidée par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013, est déjà caduque puisque le Gouvernement propose, dans un projet de loi débattu cette semaine dans l'hémicycle, de reporter à décembre 2015 les élections départementales et régionales qui avaient déjà été reportées de mars 2014 à mars 2015.

Je regrette, pour ma part, cet ajustement permanent du calendrier électoral, décidé par la majorité du moment, qui fixe les dates des élections à sa guise.

D'autres majorités l'ont fait dans le passé, je le sais, mais il me semble que, dans une démocratie avancée, de telles pratiques devraient être évitées. Il conviendrait de prévoir qu'une modification du calendrier électoral nécessite une approbation à la majorité qualifiée, par exemple une majorité des trois cinquièmes des membres de l'Assemblée nationale.

Deuxièmement, en abrogeant les dispositions de la loi du 16 décembre 2010 qui créaient les conseillers territoriaux, la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 a eu pour principal objet de mettre fin au rapprochement des régions et des départements, qui aurait dû intervenir dès mars 2014.

Cette loi a entendu rétablir, ainsi, une sorte d'étanchéité institutionnelle entre les régions et les départements. Le Gouvernement nous invite pourtant, désormais, à voter des textes organisant l'absorption progressive des départements par les régions. La cohérence de cette orientation nouvelle avec celle retenue voici quelques mois par la loi de 2013 n'apparaît pas spontanément à l'esprit : vue de Sirius, la logique d'ensemble n'est pas évidente à percevoir ; il est à craindre qu'il en aille de même pour nos concitoyens.

Troisièmement, les lois du 17 mai 2013 organisent un scrutin départemental qui ne peut qu'aggraver la défiance de nos concitoyens à l'endroit de la vie politique.

La mise en place du nouveau mode de scrutin binominal paritaire et le redécoupage suscitent une opposition très vive dans nos territoires. 57 des 98 conseils généraux concernés par une nouvelle délimitation des cantons, soit 58 % d'entre eux, ont voté contre la proposition de redécoupage présentée par le Gouvernement – dont 39 conseils généraux de droite et 18 conseils généraux de gauche.

Les décrets de redécoupage sont massivement contestés : plus d'un millier de recours gracieux ont été reçus par le Gouvernement, qui y a répondu de façon extrêmement succincte, et 2 558 recours contentieux ont été adressés au Conseil d'État. Ce dernier a choisi de procéder très rapidement à l'examen de ces recours, ce dont témoigne le grand nombre de décisions rendues sous forme d'ordonnance ou par une sous-section jugeant seule : on est parfois proche d'une forme d' « abattage », qui ne permet pas réellement d'aller au fond des sujets.

En outre, la loi de 2013, telle qu'elle a été promulguée après son passage au Conseil constitutionnel, a laissé au Gouvernement une très large marge de manoeuvre pour procéder à ce redécoupage selon des considérations d'opportunité qui échappent à tout contrôle juridictionnel effectif dès lors que les équilibres démographiques sont, en apparence, respectés.

Une analyse des écarts à la moyenne départementale dans différents départements démontre en effet que, lorsque c'était possible, le Gouvernement a cherché à augmenter le nombre des cantons susceptibles de voter à gauche, qu'il s'agisse de cantons urbains ou de cantons ruraux, comme l'a excellemment démontré l'étude publiée en mars dernier par notre collègue François Sauvadet, député bourguignon, sous le titre Livre noir sur le redécoupage des cantons de France ou encore les travaux réalisés par nos collègues Pierre Morel-A-L'Huissier et Dominique Bussereau.

Je ne prendrai qu'un seul exemple, en comparant le Gard (dont le président du conseil général est membre du Parti socialiste (PS)) et le Morbihan (dont le président du conseil général est membre de l'Union pour un mouvement populaire (UMP)). Le Gouvernement y a fait des choix d'écarts à la moyenne contraire : la préservation des zones rurales ne l'a préoccupé que lorsque celles-ci lui sont supposées favorables.

Ainsi, la majorité des cantons ruraux du Gard, majoritairement à gauche, ont un écart à la moyenne de – 15 %. À l'inverse, les cantons ruraux du Morbihan, qui sont majoritairement à droite, ont un écart qui dépasse de 10 % la moyenne départementale.

Autre « heureux hasard », les cantons urbains de Nîmes, majoritairement à droite, dépassent tous la moyenne départementale d'environ + 15 %, tandis que ceux de Lorient, majoritairement à gauche, sont inférieurs de – 13 % à la moyenne.

On pourrait citer à l'envi d'autres exemples de redécoupages de ce type, favorables à l'actuelle majorité.

Cet exercice de redécoupage est d'autant plus contestable qu'il aboutira à faire élire des assemblées départementales dont le rôle doit être « dévitalisé », ainsi que l'a annoncé M. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la Réforme territoriale.

Je conclurai ces quelques remarques en partageant avec vous ce que le sénateur socialiste de la Haute-Saône, Yves Krattinger a déclaré lors de son audition : « la réforme votée en 2013 n'a plus aucun sens. Les candidats au conseil départemental, en 2015, pourront dire : "je n'ai pas de programme puisque mon programme c'est d'être un syndic de liquidation." C'est une impasse. L'opinion publique est désorientée. Qui ira voter ? »

Cette remarque, en forme de réquisitoire, me semble un excellent résumé de ces lois mal pensées, mal appliquées et, au total, mort-nées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion