Intervention de Thierry Guillois

Réunion du 3 juillet 2014 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Thierry Guillois :

Il y a bien longtemps que le secteur associatif n'a pas suscité autant d'intérêt et de travaux de la part du Parlement. En moins de deux ans, plusieurs rapports ont été remis, notamment celui de Mme Valérie Rabault et de MM. Yves Blein, Jérôme Guedj et Régis Juanico sur l'impact de la mise en oeuvre du crédit d'impôt compétitivité emploi sur la fiscalité du secteur privé non lucratif, et celui du Sénat sur l'aide à domicile, présenté hier. Il faut également saluer le projet de loi relative à l'économie sociale et solidaire, ainsi que le travail que vous engagez dans la présente commission d'enquête.

Je tiens donc à vous exprimer toute ma gratitude. Jusqu'à présent, on nous tenait plutôt des propos très généraux sur le poids des associations en chiffre d'affaires et en nombre de salariés, sur les perspectives ouvertes en matière de développement du salariat, etc. Peu nombreux étaient ceux qui s'intéressaient aux difficultés du secteur. Or celles-ci sont le reflet des difficultés que traverse la société française depuis plusieurs années.

En tant que président de la commission juridique et fiscale du HCVA, j'ai dirigé les travaux qui on mené à la publication du rapport sur le financement privé des associations que Mme Valérie Fourneyron nous avait commandé. Sans répéter ce que viennent de vous dire Mme Viviane Tchernonog et M. Jean-Pierre Vercamer, je souhaite appeler votre attention sur les grandes tendances qui affectent le secteur. Je souscris entièrement à ce qui vient d'être dit sur le crowdfunding : derrière ces dispositifs se cachent bien souvent des opérateurs privés à but lucratif, et le gain n'est pas toujours à la hauteur des espoirs suscités par des personnes qui manient très bien la communication ! Plus généralement, si l'on n'y prend garde, le mouvement de bascule qui s'opère actuellement vers une recherche de nouveaux financements privés par tous les moyens conduira le secteur dans une impasse économique et financière. Beaucoup d'associations dépendant de l'aide publique pour accomplir une mission d'intérêt général ne peuvent déjà plus exercer pleinement leur activité. On le voit par exemple en matière d'aide à domicile : le recul du pouvoir d'achat d'un très grand nombre de familles fait plonger le secteur.

Comment parvenir à maintenir le modèle économique associatif sans le faire basculer dans le champ du marché et de ses instruments ? Le projet de loi relative à l'économie sociale et solidaire essaie de donner une nouvelle actualité aux titres participatifs et associatifs dont M. Vercamer vantait tout à l'heure les mérites. Or ce texte soulève beaucoup d'interrogations. Les banquiers estimaient que le risque qu'ils prennent avec les titres associatifs est insuffisamment rémunéré. Le ministère de l'économie et des finances les a fort bien entendus et ouvre la possibilité d'une meilleure rémunération.

Aujourd'hui, l'ESFIN-IDES, filiale du Crédit coopératif, n'a que deux lignes de titres associatifs, alors que cet établissement a pour vocation de souscrire des titres associatifs en très grand nombre !

Lors de réunions avec des agents du Trésor, nous avons cherché des solutions. Il a finalement été décidé de permettre par la loi un supplément de rémunération pour ces titres, ce qui porte leur rémunération totale à 7 % environ, soit le taux du marché obligataire + 2,5 % + 2,5 %. Alors que, comme le rappelait M. Vercarmer, une association est une entreprise qui doit pouvoir payer ses salaires, se doter d'un minimum de matériel, recruter des personnels compétents, investir, comment imaginer qu'elle puisse, demain, rémunérer des titres à 6 ou 7 % ? C'est tout simplement impossible !

Compte tenu de la restriction constatée des crédits publics, nous redoutons beaucoup une inflexion vers une logique d'instruments de marché, qu'il s'agisse des titres, du crowdfunding ou, plus simplement, de la recherche de nouveaux débouchés ou de l'augmentation des prix des prestations. Dès lors, la question de la concurrence se pose de façon aiguë.

Jusque dans les années 1980, les associations ne se trouvaient pas sur des marchés concurrentiels. Lors du grand essor associatif de l'après-guerre – mouvements de jeunesse et d'éducation populaire, professionnalisation du secteur de la santé et du secteur médico-social grâce à la sécurité sociale, développement du tourisme consécutif aux lois de 1936, etc. –, on ne se posait pas la question. On était en pleine reconstruction, l'argent public ne manquait pas, les modifications concernaient surtout l'extension du champ d'action du secteur, par exemple, aux droits des immigrés, aux droits des femmes, etc.

Le mouvement de bascule commence quelques années après les deux crises pétrolières. Se développent alors un nombre croissant d'associations d'insertion économique et de développement local. On oublie un peu, et je le regrette, ce qui a permis à beaucoup d'entre nous, formés à l'école de l'éducation populaire – ou confessionnelle, du reste – de devenir ce qu'ils sont. Cette formation de l'adolescent trouve bien souvent sa traduction dans un pratique politique, institutionnelle, militante, bénévole.

À partir de 1980, il faut à la fois parer au plus pressé et répondre à toutes les obligations réglementaires et légales que Bruxelles et Paris nous font tomber dessus. Les associations doivent recruter de plus en plus de professionnels pour constituer des dossiers à l'intention de la Commission européenne, notamment. Certes, à la faveur de la décentralisation, les départements, les communes et les régions ont compensé l'érosion continue des crédits d'État. La tendance s'inverse toutefois en 2011, comme Mme Tchernonog vous l'a expliqué : la manne globale des aides publiques diminue.

Je le répète, cette évolution peut se révéler désastreuse car nous en sommes réduits à adopter un fonctionnement de marché qui n'est pas le nôtre. J'en veux pour preuve deux exemples.

D'abord celui des établissements d'accueil pour personnes âgées. Sans doute certains d'entre vous ont-ils été administrateurs ou présidents d'une maison de retraite communale. Il y a vingt ou trente ans, ces établissements accueillaient tous les publics, ce qui leur permettait de faire leur propre mutualisation afin de recevoir des personnes relevant de l'aide sociale et n'ayant pas les moyens de payer le même prix que les personnes plus aisées. Entretemps, cette dernière catégorie a été attraite par la concurrence : les Jardins d'Arcadie, les Hespérides, etc. Dans la même période, en effet, l'hôtellerie a effectué un redéploiement, voyant dans les personnes âgées un débouché que son activité classique ne lui offrait plus.

Depuis, les associations se sont regroupées, restructurées, mais elles doivent à la fois gérer la pénurie, appliquer toutes les nouvelles réglementations sur le handicap et la dépendance et accueillir des personnes qui n'ont pas le moyen de payer le juste prix de la prestation fournie.

Le deuxième exemple est celui de l'aide à domicile, où les associations sont confrontées à la concurrence soit de petites entreprises, soit d'entreprises plus importantes offrant des prestations de jardinage, de restauration, d'accompagnement de personnes âges. Or le secteur lucratif écrème ce qui est intéressant pour lui et laisse aux ADMR (Aides à domicile en milieu rural), à l'UNA (Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles) ou à d'autres des publics qui n'ont pas les moyens de payer une aide de 6 ou 7 heures par semaine.

Étant donné l'importance de l'enjeu, nous avons souhaité nous faire notre idée de la situation de chaque secteur. Nous avons ainsi reçu les représentants du tourisme associatif non fiscalisé – ou ce qu'il en reste –, du secteur sanitaire et médico-social, des secteurs sportif et culturel, ainsi que de celui de l'éducation populaire.

Je regrette qu'un amendement de M. Yves Blein au projet de loi de finances rectificative, voté par votre Assemblée dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, aboutisse –contre l'intention de son auteur, cela ne fait pas de doute – à assujettir au versement transport la quasi-totalité du secteur médical et médico-social. L'UNIOPSS (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) et la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne) évaluent le coût de cette taxe supplémentaire à environ 300 millions d'euros par an. Comme Mme Marisol Touraine l'a elle-même reconnu, les agences régionales de santé, les caisses d'assurance maladie et les caisses d'assurance vieillesse ne pourront évidemment pas assumer cette nouvelle charge. Le mouvement associatif s'emploie à alerter le Sénat pour qu'il modifie ce texte, car l'enjeu est considérable. Jusqu'à présent, le Gouvernement s'était toujours engagé à sanctuariser le périmètre de l'exonération actuelle.

Le secteur du sport, quant à lui, est menacé par une bombe à retardement. Aujourd'hui, très peu d'associations sont propriétaires de leurs équipements : ce sont les collectivités qui les mettent à leur disposition à titre gracieux. Or une disposition du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire tend à rendre obligatoire l'inscription de la valorisation de ces mises à disposition à la fois dans les comptes des communes et dans ceux des associations. Ce n'est pas à vous que j'apprendrai que l'amortissement d'un stade sur une année, divisé par les tranches horaires affectées aux différents clubs, peut représenter des sommes colossales en face desquelles, bien évidemment, l'association n'a aucune recette à inscrire ! En outre, les collectivités ne sont plus à même de rénover les équipements sportifs comme elles le faisaient il y a dix ou vingt ans. Comment le secteur du sport pourra-t-il surmonter ces difficultés, alors que l'on continuera à lui demander d'amener les jeunes à la pratique sportive et de les former à différents niveaux ?

Permettez-moi maintenant d'exposer les propositions de notre rapport, articulées autour de trois axes.

Le premier est celui du développement des activités privées des associations. Dans le sauve-qui-peut actuel en matière de financements publics, nous sommes contraints de nous retourner vers la seule ouverture qui s'offre à nous. Sachant que le mécénat est en régression d'un point par an en moyenne depuis 2006 et que les associations ne peuvent plus jouer beaucoup sur les cotisations, il ne leur reste plus que la vente de prestations. Je vous ai dit ce que je pensais de cette option. En outre, si les associations vendent davantage de prestations ou en augmentent le prix, elles se heurtent à la fiscalité.

Par parenthèse, j'ai participé aux négociations qui ont conduit à l'instruction fiscale de 1998, celle qui a permis de pacifier les relations entre les associations, la concurrence commerciale et les pouvoirs publics. Or, dans ce texte, le critère de distinction entre activités lucratives et non lucratives n'est pas l'utilité sociale, mais la concurrence. En d'autres termes, on est d'utilité sociale parce que l'on ne concurrence personne et parce que l'on s'adresse à des publics qui n'intéressent pas le secteur lucratif. Je considère qu'il faut inverser cette logique de marché et tenir compte de l'apport des associations à la vie de la société. Au moment où nous abordons de nouveau cette question avec l'administration fiscale, nous avons besoin de votre soutien.

Le deuxième axe est la consolidation des fonds propres. J'ai déjà parlé du titre associatif. Le projet de loi relative à l'économie sociale et solidaire comprend également une disposition qui devrait apporter une bouffée d'oxygène : la possibilité, pour toutes les associations, de percevoir des revenus locatifs, donc d'avoir des immeubles de rapport. Nous suggérons par ailleurs la création de foncières éthiques pour l'accueil d'urgence des personnes en difficulté ou sans abri. Enfin, le projet de loi reprend notre proposition tendant à favoriser les fusions et regroupements d'associations.

Le troisième axe est la sécurisation des mécanismes d'appel à la générosité publique. Nous avons veillé à ce que le projet de loi de finances rectificative ne diminue pas à nouveau les réductions et déductions existantes, nous y veillerons lorsque le projet de budget pour 2015 arrivera en discussion.

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