Intervention de François Rebsamen

Réunion du 9 juillet 2014 à 11h00
Commission des affaires sociales

François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social :

Mme Iborra et M. Gille ont évoqué l'extension de la garantie jeunes. Sachez que l'évaluation est intégrée dans le dispositif lui-même. Les premières remontées dont nous disposons, qui concernent notamment Drancy, où le dispositif est actuellement expérimenté, sont positives. Nous allons procéder à une évaluation pour accompagner cette réforme d'ampleur. À titre personnel, il me semblait très ambitieux de passer de 10 000 à 50 000 bénéficiaires en une seule fois, mais la demande était pressante. Bien entendu, cela impliquera une forte mobilisation sur le terrain.

S'agissant du chômage de longue durée, de nombreux facteurs interviennent dans son traitement, qui ne se limitent pas à l'accompagnement financier, même si celui-ci reste nécessaire. Après une étude de droit comparé, nous avons constaté que certains pays également confrontés à ce problème assuraient mieux que nous le retour des chômeurs de longue durée dans l'emploi, moyennant un accompagnement ou un suivi renforcé immédiat ; cela n'existe pas aujourd'hui à Pôle emploi. Nous avons décidé d'étendre l'accompagnement renforcé de Pôle emploi à 80 000 demandeurs d'emploi particulièrement éloignés de l'emploi, car c'est ce qui peut être réalisé tout de suite. Mille conseillers vont être dédiés au suivi de ces 80 000 demandeurs d'emploi. On peut attendre de cet effort de personnalisation et d'accompagnement un retour rapide dans l'emploi.

Pour ce qui est du transfert de la compétence de l'apprentissage aux régions, je présidais hier une table ronde à laquelle participaient certains de leurs représentants. Je tiens à dire qu'il n'y a pas de recentralisation ; il y a même un transfert aux régions d'une partie stabilisée de la taxe d'apprentissage. L'effort de 200 millions d'euros consenti en faveur de l'apprentissage permettra aussi de stabiliser et de consolider la part de la taxe affectée aux centres de formation des apprentis (CFA). Cette stabilisation est nécessaire, j'en conviens.

Les centres des relations avec les entreprises et de la formation permanente (CREFOP) vont se mettre en place – les décrets seront publiés en juillet. Ces réunions quadripartites permettront de travailler les cartes de formation et de définir avec les employeurs, qui sont parties prenantes, les formations adaptées. Vous savez la réussite du plan de 100 000 « formations prioritaires pour l'emploi » lancé l'an dernier. Nous étions à 47 000 formations à la fin du mois de juin ; l'objectif de 100 000 pourra donc être tenu cette année. Nous aurons ainsi une meilleure adéquation entre les demandes et les offres d'emplois, au plus près du terrain. Nous attendons beaucoup de ces réunions quadripartites pour le développement et la stabilisation de l'apprentissage.

M. Cherpion a dit que nous étions revenus à de meilleurs sentiments vis-à-vis de l'apprentissage, mais il ne s'agit pas de cela. Le sujet rassemble toutes les familles politiques, tous les Français et toutes les entreprises. Curieusement, toutes les entreprises sont favorables à l'apprentissage, mais seules 4 % d'entre elles prennent des apprentis en alternance. Je vous renvoie à l'étude qui a été réalisée par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et France Stratégie sur les métiers de 2022. Vous constaterez qu'il y a des secteurs entiers où il n'y a pas du tout d'apprentissage, et que ce sont précisément ceux qui vont être créateurs d'emplois dans les dix années qui viennent – 800 000 emplois seraient en jeu. De nombreux métiers ne sont pas concernés par l'apprentissage aujourd'hui. L'étude montre que tant que nous n'arriverons pas à les ouvrir à l'apprentissage, les effets d'annonces et les objectifs chiffrés ne serviront à rien. Il faut certes stabiliser le nombre d'apprentis, apporter des aides financières, et il ne faut plus – et c'est une nécessité absolue – changer les règles. Mais il faut aussi encourager celles et ceux qui n'ont pas encore recours à l'apprentissage, d'où la prime de 1 000 euros au premier apprenti dans les branches qui auront signé des accords, qui devrait permettre d'étendre l'apprentissage à de nouveaux métiers.

Les chiffres que vous avez avancés sur la baisse du nombre de contrats d'apprentissage sont justes. Environ 410 000 jeunes sont aujourd'hui en apprentissage, sous des formes diverses, mais la baisse du nombre de contrats est incontestable – elle est de l'ordre de 8 %. Néanmoins, j'observe qu'il y a toujours une amélioration au deuxième semestre. Vous le savez, puisque vous nous dites que la rentrée se joue maintenant – ce qui est vrai.

Les raisons de cette baisse sont multiples. Elles sont d'abord économiques. L'analyse des chiffres des contrats d'apprentissage sur les dix dernières années montre que les baisses sont souvent liées à un ralentissement de l'activité économique.

On peut aussi se demander si l'apprentissage n'a pas été confronté à la concurrence des emplois d'avenir, par exemple. C'est une question que je pose ; je n'ai pas les éléments de réponse. On parle de contrats d'apprentissage, mais d'emplois d'avenir. Or beaucoup de familles préfèrent un emploi à un contrat : la terminologie a son importance.

Enfin, il est nécessaire de faire un effort financier pour stabiliser la taxe d'apprentissage et en fixer les parts. Cet effort sera tourné vers les entreprises. Restent deux pistes que je n'ai pas évoquées. La première est la mobilisation de fonds européens, à hauteur de 100 millions d'euros. Par-delà la pénibilité de certains métiers, la mobilité et les difficultés de logement sont souvent des freins à l'apprentissage. Cent millions d'euros de fonds européens vont donc être ciblés sur la résolution de ces difficultés ; nous prévoyons notamment des aides au permis de conduire. Un autre frein, que M. Delatte a évoqué, est la qualité des CFA. C'est pourquoi, dans le programme d'investissements d'avenir (PIA), 80 à 100 millions d'euros sont fléchés vers la modernisation et la rénovation des lieux d'accueil des apprentis, tant il est vrai que certains CFA font honte à notre pays.

M. Cavard a évoqué le compte pénibilité et les déclarations du Premier ministre. Celui-ci n'a fait que répondre au patronat, et aussi aux parlementaires. Je pourrais vous donner la liste de tous ceux – ils sont plus de cent – qui m'ont écrit pour me demander de prendre en compte les difficultés d'application du compte pénibilité, après avoir été eux-mêmes saisis par les fédérations, notamment du bâtiment et des travaux publics (BTP) dans leurs départements. Des secteurs entiers nous ont expliqué que le dispositif n'était pas applicable en l'état dans les petites et moyennes entreprises, dont il faut bien reconnaître que les pratiques relèvent souvent de l'improvisation en matière de comptabilité et de ressources humaines. Nous avons donc préféré, en accord avec les organisations syndicales, contrairement à ce qui est dit, mettre le dispositif en oeuvre dès le 1er janvier 2015, conformément à la loi, pour les seuls facteurs facilement identifiables, et travailler à sa simplification.

Les difficultés d'application du compte pénibilité dans ces secteurs et dans les PME sont connues de tous. Le dispositif, qui est une avancée sociale, va être mis en place. Il ne s'agit pas de nier la pénibilité, mais de permettre aux salariés qui travaillent dans des secteurs difficiles de bénéficier d'une réduction de la durée de leur carrière, grâce aux points inscrits sur leur compte pénibilité, ce qui suppose que cela soit facilement mesurable. Les grandes organisations syndicales avaient proposé, par exemple, un traitement par métiers. Mais en souhaitant être plus précis, nous avons complexifié le dispositif. Il nous appartient maintenant de le simplifier. Ce sera notre travail. Nous essayons de donner du sens au mouvement, monsieur Cavard.

J'en viens aux emplois d'avenir. Quelque 135 000 ou 136 000 ont été signés, pour un objectif de 150 000 en régime de croisière. Les contrats d'avenir supplémentaires que j'ai obtenus incluent les renouvellements, monsieur Gille. J'observe que la montée en puissance des emplois d'avenir avait eu lieu au dernier semestre de l'année 2013.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'observatoire et le suivi du CICE. Conformément à une demande forte portée par plusieurs organisations syndicales, dont certaines n'ont pas participé à toute la conférence sociale, l'idée est de disposer d'une évaluation du CICE, mais aussi du Pacte de responsabilité et de solidarité – ce qui est plus délicat, dans la mesure où celui-ci n'a pas encore été mis en oeuvre. Ce sera un observatoire des contreparties mesurables, c'est-à-dire de l'ensemble des aides publiques accordées aux entreprises. Le travail de la Cour des comptes n'est, pour l'instant, pas validé pour ce qui concerne les conséquences en termes d'emplois. Les créations d'emplois font l'objet d'estimations diverses. Mais nous allons bientôt pouvoir avancer.

Je remercie Mme Orliac de son soutien. Sur le Pacte de responsabilité et de solidarité, il y a eu des relevés de conclusions et un suivi. Nous allons en parler dans le cadre de l'observatoire qui va se mettre en place. Comme je l'ai dit, celui-ci s'intéressera bien à ce pacte.

La question des seuils sociaux revient souvent, que ce soit pour m'aider ou pour me mettre en difficulté. Je ne parle pas des seuils sociaux comme « porte d'entrée » à une négociation sur la nécessaire modernisation de la représentation et de l'information des salariés dans les entreprises – dont les partenaires sociaux doivent discuter.

Je rappelle que le seuil de vingt a été gommé par des dispositions fiscales. Les seuils sont le fruit de notre histoire, qui s'est constituée en strates, en seuils et en quotas. Le résultat est compliqué pour les entreprises comme pour les salariés. Pour les salariés, puisque dans un certain nombre d'entreprises, il n'existe aucun système de représentation ni d'information. Pour les entreprises, qui ne doivent pas seulement mettre en place un comité d'entreprise, ce qui n'est certes pas un handicap, dès lors qu'elles passent par exemple de quarante-huit à cinquante-deux salariés. Tout cela mérite d'être débattu entre les partenaires sociaux. Ne peut-on, par exemple, simplifier les trente-quatre impositions « nouvelles » qu'impose le passage à cinquante salariés ? Les partenaires sociaux en discuteront. Je ne prends aucune décision avant eux. Nous le devons à Gérard Larcher, puisque cela figure désormais dans l'article L. 1, au chapitre préliminaire, du code du travail – qui n'avait pas été allégé à cette occasion, mais alourdi.

Il me semble anormal, par exemple, que les entreprises de plus de 1 000 salariés n'aient pas d'administrateurs salariés dans leurs conseils d'administration. Tout cela doit donc être débattu. Il faut transformer le « donnant-donnant » du dialogue social, c'est-à-dire respect et réciprocité, par du « gagnant-gagnant ». C'est ce que je souhaite, et c'est dans cet esprit que je vais organiser des rencontres bilatérales pour établir ce que pourrait être le document d'orientation que j'aurai à soumettre aux partenaires sociaux.

La proposition de loi de M. Denys Robiliard relative aux pouvoirs de l'inspection du travail sera discutée dès que possible. Or l'ordre du jour est chargé ; il y a beaucoup d'amendements sur le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, dont vous débattez en deuxième lecture. Nous ne pouvons pas tout faire en même temps.

La lutte contre les discriminations est une priorité qui a été au coeur des tables rondes hier. Les discriminations liées à la couleur de la peau, à la consonance du nom, à l'adresse des personnes ou à un handicap physique sont insupportables et abîment notre cohésion sociale. L'ensemble des partenaires sociaux partage donc la volonté d'avancer sur ce sujet. Vous trouverez d'ailleurs des pistes de réflexion dans la feuille de route.

Je rejoins ce que vous avez dit les uns et les autres : oui, l'apprentissage est une voie d'excellence, et il y a des efforts à faire dans la fonction publique. On compte aujourd'hui 700 apprentis dans la fonction publique de l'État ; l'apprentissage commence à se développer dans la fonction publique territoriale. Nous pourrions aller plus loin dans ce développement en consentant des « avantages » à ceux qui assument le tutorat ou la maîtrise de l'apprentissage. Cela peut valoir aussi pour la fonction publique de l'État et pour le secteur privé. Il faut renforcer et valoriser le rôle du maître d'apprentissage. Dans la fonction publique territoriale, cela pourrait se faire par des gains ou par une progression de carrière plus rapide – par exemple, la diminution d'un trimestre de la durée requise pour un avancement d'échelon. Dans la fonction publique de l'État, la faiblesse de l'apprentissage s'explique aussi par certaines réglementations ou l'usage de machines dangereuses ; nous allons les revisiter. L'objectif est d'arriver à 10 000 apprentis dans la fonction publique de l'État à la rentrée 2016. Si nous y parvenons avant, tant mieux !

Des critiques ont été formulées sur la modification du forfait social. Disons que l'UMP a porté le taux de 0 % à 8 %, et le parti socialiste de 8 % à 20 %. L'opposition a créé le forfait, nous l'avons augmenté. J'observe qu'en la matière, il y a souvent une continuité dans l'action publique dont on ne peut pas toujours se féliciter. En l'espèce, cela rapporte tout de même quelque 2,7 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien. J'ai installé, l'autre jour, le Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement et de l'actionnariat salarié (COPIESAS). Des parlementaires y siègent ; certains sont connus pour leur compétence sur le sujet. Sous réserve de validation juridique, l'idée est de moduler le forfait social à la baisse pour les nouveaux types d'épargne salariale.

Mme Pinville et Mme Bulteau ont soulevé la question des dispositifs pour les travailleurs handicapés. Vous trouverez des éléments de réponse dans la feuille de route, avec des dispositifs spécifiques pour aider les personnes handicapées à trouver leur place dans le monde du travail, notamment le développement des structures et des dispositifs d'insertion par l'activité économique (IAE), le renforcement de l'accès aux droits, la lutte contre l'illettrisme et autres.

Vous avez eu raison de rappeler que les femmes seniors subissent parfois une double peine. S'agissant précisément des seniors, il y a nécessité non seulement de les maintenir dans l'emploi, avec le contrat de générations, mais aussi de les faire revenir dans l'emploi – ce qui se révèle particulièrement difficile pour les femmes.

Vous avez évoqué les Maisons de l'emploi. Personnellement, j'ai regretté que le Gouvernement modifie le dispositif. J'étais élu local au moment de son lancement par M. Borloo, et j'avais joué le jeu. Le problème est que, sous le gouvernement suivant, on a commencé à tailler dans les crédits de ces Maisons de l'emploi ; les suivants ont continué. Pour ma part, j'aurais préféré les affecter différemment : il y a des Maisons de l'emploi qui marchent, qu'il faut conserver, et d'autres qui fonctionnent moins bien, qu'il vaudrait mieux supprimer. Pour l'heure, j'ai obtenu le maintien des dispositifs par rapport à l'année précédente, autrement dit une stabilisation dans la baisse.

J'en viens au temps partiel. Oui, je vous proposerai une modification de la loi pour sécuriser à la fois les entreprises et les salariés, afin d'éviter la saisine des tribunaux pour des conflits liés aux contrats de travail. Cette modification ne touchera pas à l'essence de la loi, qui a été validée par les organisations syndicales et patronales – même si ces dernières l'ont aujourd'hui oublié, comme cela arrive parfois.

J'ai entendu ce que nous a dit Mme Orphé. Je connais la situation des départements et des territoires d'outre-mer, et celle de La Réunion, que vous avez évoquée de manière plus spécifique. Je vais étudier votre proposition d'organiser une conférence sociale pour l'outre-mer et la soumettre à Mme Pau-Langevin ; c'est une perspective que je n'écarte pas. J'avais justement en tête hier, au moment de la table ronde, la situation des départements d'outre-mer, dont chacun présente d'ailleurs des spécificités qui lui sont propres.

J'ai essayé d'être exhaustif dans mes réponses. De toute façon, vous trouverez dans la feuille de route l'essentiel des propositions détaillées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion