Intervention de Jean-Philippe Girard

Réunion du 16 juillet 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Jean-Philippe Girard, président de l'Association nationale des industries alimentaires, ANIA :

Rappelons que le secteur agroalimentaire est le pilier économique de la France : l'industrie alimentaire proprement dite génère 160 milliards, mais 330 milliards en y incluant les commerces de détail et l'agriculture, et même 520 milliards en y ajoutant nos clients. C'est cet ensemble qui est en danger, car la destruction de valeur ajoutée détruit l'investissement et l'emploi.

L'emploi, dans la filière, c'est 500 000 personnes dans l'industrie stricto sensu, 800 000 avec les commerces de détail, 1,3 million en ajoutant l'agriculture, et plus de 2 millions avec la grande distribution.

La filière alimentaire, c'est aussi 12 000 entreprises réparties sur tout le territoire, dont 97 % de PME. L'ANIA n'opposera jamais les grands groupes et les PME : chacune à leur manière, elles contribuent à la structuration et à l'avenir des territoires.

Avec ces données, nous avons un choix à faire : souhaite-t-on, avec un juste prix, assurer à l'agriculteur un juste revenu et à l'entreprise la possibilité de dégager une marge lui permettant d'investir, d'embaucher et de se développer ? La crainte exprimée par Olivier Andrault au regard de l'inflation des prix n'est plus d'actualité : le schéma qui nous menace aujourd'hui, c'est la déflation et la destruction – d'emplois, de valeur et d'investissement. En 2014, notre secteur a perdu une entreprise par jour, et 6 000 emplois y ont été détruits.

Face à cette situation, l'enjeu est de passer de la confrontation à la co-construction avec nos clients, à la compréhension des valeurs. Olivier Andrault a fait de 2008 une année marqueur, qui a connu une volatilité des matières premières totalement inédite, tous secteurs confondus. Dirigeant moi-même, en Côte d'Or, une entreprise employant 250 salariés et exportant à plus de 50 %, j'ai toujours un pied dans cette réalité. Alors qu'il y a trente ans, le cours du blé variait très peu d'une année sur l'autre, aujourd'hui, il va falloir s'habituer à une plus une grande volatilité des matières premières.

Nos relations avec l'amont se construisent, s'organisent en fonction de ce constat, mais la grande distribution doit aussi en tenir compte. Sur le marché du poisson, la situation est hallucinante : certaines espèces ont progressé de 10 % à 20 %, mais nos clients n'acceptent pas de hausse au-dessus de 5 %. C'est impossible à tenir !

Tous les métiers ne sont pas touchés de la même manière, et il faut appréhender le problème par filières et dans le détail.

En définitive, nous sommes confrontés à une inflation des coûts et à une déflation des prix, une situation intenable pour nos entreprises. Beaucoup d'entre elles vont s'écrouler si nos clients ne se montrent pas plus à l'écoute, tout en respectant, bien sûr, le consommateur qui n'a pas de pouvoir d'achat. La croissance a toujours tiré la consommation et la consommation la croissance. Mais dans un contexte de croissance molle, ce n'est que par la reconstruction de nos modèles qu'on s'en sortira. C'est ce que j'appelle la co-construction, dans laquelle le consommateur a sa place.

La guerre des prix n'est pas qu'une expression, c'est une réalité. Je me dois de vous dire que ce sont nos 12 000 entreprises qui la financent, contraintes et forcées, menacées même de déréférencement. À peine sortons-nous de négociation que nous sommes déjà en compensation de marge. C'est intenable pour nos entreprises !

Avant qu'il ne soit trop tard, permettez-moi d'alerter la grande distribution sur trois points. En 2013, l'inflation alimentaire de la France a été de 1,2 %, contre 3,7 % en Allemagne et 3,6 % en Angleterre. Nos entreprises ne peuvent pas s'en sortir dans ces conditions. Le « prix juste » signifie un juste revenu pour l'agriculteur, une marge qui permette à l'industrie alimentaire de vivre, de recruter, d'investir et d'exporter, mais aussi une juste marge pour la distribution qui en a besoin également pour vivre, et ce dans le respect du dernier maillon de la chaîne qu'est le consommateur. Je ne vois aucun intérêt à élever les prix à la consommation : on y perdrait en ventes, en volumes et donc en développement. On est capable aujourd'hui d'articuler un bon prix, un juste prix pour nos clients.

Le défi majeur aujourd'hui, c'est de nourrir la planète. La France a de véritables savoir-faire dans le domaine de la production végétale et animale, ainsi que dans les filières. Je forme le voeu que nous puissions aller encore plus loin avec la grande distribution. Puisqu'elle réussit très bien à l'export, et que l'agriculture et le secteur alimentaire réussissent aussi, pourquoi ne pas travailler ensemble dans ce domaine ? Je suis sûr que nos querelles sur le marché intérieur s'en trouveraient apaisées.

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