Intervention de Michel-Édouard Leclerc

Réunion du 16 juillet 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Michel-Édouard Leclerc, président des centres Leclerc :

Il faut arrêter de s'aveugler : nous vivons une crise. Hier, elle frappait les plus démunis ; aujourd'hui, les classes moyennes sont également atteintes et restreignent leurs dépenses. Il s'agit d'ailleurs d'un phénomène européen. À nous, entrepreneurs, de nous adapter. Que l'on soit producteur, distributeur ou prestataire de services, la crise du pouvoir d'achat s'impose à nous.

Aux mois de septembre et octobre 2013, pour la première fois de ma vie, j'ai constaté des chutes de ventes en volume. Ni les crises pétrolières ni les crises cycliques dans l'agriculture n'avaient eu cet effet : dans nos magasins, le panier moyen a baissé non seulement en valeur, mais aussi en volume ; 38 % de nos clients viennent avec un catalogue publicitaire ; 2 millions de personnes établissent une pré-liste de courses et font des comparatifs entre drives et enseignes – Cdiscount ou Amazon, selon les produits.

On peut dire ce qu'on veut des comparateurs : ils ne font que refléter les comportements que les Français ont dû adopter. L'augmentation des impôts, la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, les prélèvements de l'État sur les fonds de participation et d'intéressement ont eu des conséquences sur les revenus des salariés, et nous le voyons dans nos magasins. Nous réalisons désormais nos meilleurs chiffres d'affaires durant les jours qui suivent le versement des allocations et la distribution des salaires.

Si je conviens de la difficulté de gérer cette crise, et plus encore pour ceux qui se trouvent en amont du marché, permettez-moi de vous rappeler que la baisse des prix intervient en France après trente ans d'augmentation. Pour une fois, le retournement est en faveur des consommateurs, et c'est une aubaine pour eux aujourd'hui.

Que cela plaise ou non, c'est la consommation qui tire la croissance et non l'investissement, d'autant que le secteur recherche et développement est paralysé par le manque de perspectives économiques. Or la consommation est en panne. Pour rester présentes sur le marché, nos entreprises sont conduites à développer des stratégies, ce qui attise naturellement la concurrence entre producteurs européens et entre industriels. Je ne parle pas des petits producteurs, mais des grandes entreprises comme Herta, Fleury Michon, Sodebo, Procter, Unilever, Lactalis, Danone ou Nestlé, qui fournissent 80 % des produits que nous vendons dans nos hypermarchés. Il existe des tensions non seulement entre les industriels – et la distribution en profite –, mais également entre les distributeurs. Après avoir longtemps vitupéré Leclerc et ses prix bas, ils en découvrent les vertus et essaient, chacun à sa manière, de rejoindre le front des prix bas, qui en pervertissant la publicité comparative, qui en surinvestissant les opérations de promotion.

Le message publicitaire en est brouillé, j'en conviens, mais nos concurrents ont expliqué dans nos journaux professionnels que c'était le but recherché. Je suis d'accord pour améliorer la publicité et l'information auprès des consommateurs. D'ailleurs, le groupe Leclerc recherche actuellement d'autres formes de publicité et étudie la mise en place de comparateurs plus clairs.

En revanche, si le but de cette discussion est de nous demander d'augmenter les prix, je ne suis pas d'accord. Une augmentation des prix ne contribuerait pas à maintenir la consommation ; d'ailleurs les consommateurs ne l'accepteraient pas. Si, dans certains secteurs, la baisse de prix est trop destructrice, il appartient aux producteurs, avant de se tourner vers l'État ou vers les professions en aval, de compenser la destruction en créant de la valeur à travers la transformation, le marketing, l'innovation. C'est le travail de tout entrepreneur digne de ce nom.

La situation est très difficile ; il y a de la casse et il y en aura encore. Je suis prêt, je le dis au président de l'ANIA, au dialogue et à la concertation, à envisager des démarches de colabellisation et de sélection des meilleures pratiques. Par contre, je suis opposé à la suppression de la publicité comparative demandée par ceux-là même qui l'avaient introduite – de la part de libéraux, on croit rêver ! Ce qui insupporte Carrefour, c'est que Leclerc s'en serve. Il est vrai que, à l'origine, j'étais contre.

Les industriels sont opposés aux clauses de révision de prix, qui n'existaient pas dans la première loi de modernisation de l'économie. Alors que la FNSEA et l'ANIA étaient aussi contre les clauses de revoyure, elles ont demandé que la loi Hamon sur la consommation en prévoie ; et maintenant que les marchés se retournent, elles voudraient que ces clauses s'appliquent uniquement à la hausse !

Sortons de ces gesticulations et traitons les dossiers avec discernement. D'abord, travaillons à conserver les volumes. Dans les centres Leclerc, la marge a baissé de 0,8 point depuis le début de l'année, avec pour conséquence que le résultat net avant impôt de nos adhérents sera cette année de 1,2 contre 1,7 l'année dernière. Mais nous considérons qu'il s'agit d'un investissement nécessaire pour conserver les volumes et maintenir la relation de nos clients avec notre enseigne, quitte à procéder à des réajustements par la suite. Telle est notre priorité.

Vous avez raison, un risque important pèse sur les marges, et plus encore pour ceux qui se trouvent en amont. C'est pourquoi nous tenons à traiter la négociation de manière dissociée entre les PME et les producteurs régionaux, d'une part, et les grandes multinationales, qui réalisent 7 à 9 % de résultat net, d'autre part. Nous avons accepté des PME des hausses que nous avons refusées aux multinationales – elles demandaient 4,9 % ! Dans le contexte général de l'inflation, si nous avions accepté, c'est bel et bien le consommateur français qui aurait été le dindon de la farce. Nous avons donc bien joué notre rôle.

Je le dis solennellement : la distribution diverse et concurrentielle est le dernier rempart contre la récession. Au Portugal, en Grèce, en Italie et en Espagne, la distribution enregistre une baisse de 15 à 20 % de ses ventes, et les industriels n'en sont plus à débattre comme nous le faisons aujourd'hui. Les seuls groupes qui ont résisté sont l'italien Esselunga – le Leclerc de l'Italie – ainsi que l'espagnol Mercadona qui a investi dans des marques de distributeur caractérisées par un excellent rapport qualité-prix.

En France, différentes stratégies coexistent. Monoprix a choisi de vendre cher aux bobos et cela fonctionne bien, mais c'est un modèle qui ne convient pas pour Landerneau ou Royan. Leclerc reste sur une ligne de prix sans pour autant verser dans la paupérisation de l'offre : dans nos magasins, les premiers prix ne représentent que 4,8 % des produits de grande consommation (PGC) ; tout en maintenant des prix bas sur chaque gamme, nous essayons de recréer de la valeur avec les produits régionaux, les marques fortes de nos PME et les marques de distributeurs.

Chacun doit prendre ses responsabilités. La situation est difficile. Aidons-nous et dialoguons autant que possible, mais un entrepreneur se doit d'assumer certains risques sans toujours se tourner vers le législateur. L'encre de la loi Hamon est à peine sèche que vous voudriez y revenir !

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