Intervention de Michel- édouard Leclerc

Réunion du 16 juillet 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Michel- édouard Leclerc :

Je suis l'un des plus vieux routiers de ce genre de débat. Il y a trente-cinq ans, j'accompagnais mon père et les sujets étaient les mêmes. Je m'en suis lassé, c'est vrai. J'hésitais à venir, je vous l'ai dit. D'autant que j'avais pris soin, depuis l'avant dernier salon de l'agriculture, de ne pas cristalliser certaines revendications. Je suis finalement venu par reconnaissance de la qualité du travail parlementaire.

Fort de mon expérience, j'ai envie de vous dire que pour réussir à travailler ensemble, il faut en finir avec les stéréotypes. Vous n'aimez pas que l'on vous désigne comme les élus ou les politiques sans faire la part de vos sensibilités. Il en va de même pour nous : la « grande distribution » n'existe pas, et il n'y a pas, d'un côté, les gentils producteurs et, de l'autre, les méchants distributeurs. Nous ne pouvons pas passer notre temps à nous en défendre. Face à la marée, mieux vaut dégager.

Nous avons fait de nos enseignes les entreprises les plus populaires de France. Je vous rappelle que Leclerc, Intermarché, Carrefour, Auchan font partie des dix marques françaises les plus populaires, malgré les attaques. Les gens ne sont pas idiots : ils vont là où se trouve leur intérêt. Nous avons plein de défauts mais nous n'en avons pas le monopole.

J'imagine que la conclusion sera laissée au consommateur, décideur et arbitre suprême. De nombreuses choses ont été dites que je partage. Je vous pose une simple question : croyez-vous vraiment que le pouvoir d'achat des Français va augmenter dans les deux ans qui viennent, quelle que soit la qualité des mesures prises par le Gouvernement ou des propositions de l'opposition ? Que nenni ! Face à ce constat, Jacques Creyssel l'a dit, nous sommes dans l'obligation de nous adapter. S'adapter, pour un entrepreneur qui se revendique comme tel, avec une responsabilité sociale, cela signifie prendre en main la situation au lieu de renvoyer la responsabilité sur son voisin. C'est là que la différenciation des stratégies est importante.

Lorsqu'il est arrivé à la tête de Carrefour, Georges Plassat a décidé de remettre l'entreprise sur les rails de la politique de prix qu'elle avait abandonnée depuis cinq ans. Il ne voulait pas laisser ce leadership à Leclerc, et les résultats sont là, avec un frémissement réel du chiffre d'affaires.

Nous voyons partout des exemples de ces stratégies différenciées : Air France développe le low cost, alors que son PDG affirmait, il y a cinq ans, que le low cost n'affecterait pas l'entreprise ; Renault relance la Dacia ; dans tous les secteurs, les producteurs, les industriels, les manufacturiers, les prestataires de services lancent des offres pour rebondir ou pour avoir un coup d'avance. Il en est de même dans l'agro-alimentaire : Savéol a pris le marketing des produits agricoles à bras-le-corps, permettant ainsi à l'entreprise de redémarrer et de dégager des marges. Dans les entreprises, il n'y a pas les bons et les mauvais ; il y a des stratégies qui s'avèrent gagnantes, d'autres perdantes. Parfois aussi, il y a de l'inertie.

Le monde de la production est composé de deux catégories d'acteurs qui ne se battent pas avec les mêmes armes face à la crise : d'une part, les producteurs de matière brute ou peu transformée qui sont à la merci des aléas des cours ; d'autre part, les producteurs qui transforment de telle sorte que le coût de la matière première ne représente qu'une part de la valeur pour le consommateur. Ceux-là ont une capacité de péréquation que revendiquent l'industriel agroalimentaire et le distributeur. Beaucoup d'agriculteurs continuent à produire de la matière brute, c'est le drame de l'agriculture française.

Leclerc a décidé de ne pas faire d'intégration. Nous n'achèterons rien de plus que l'abattoir que nous possédons déjà. Au départ, l'actionnariat de cet abattoir comptait des producteurs. Ils sont partis et ils ont eu tort : ils auraient gagné de l'argent. Nous devons convaincre les producteurs de matière brute que leur métier est de faire du marketing et de transformer, à l'instar de ce qu'ont fait les viticulteurs. Aujourd'hui, on ne vend plus de vin ; on vend des labels, des appellations d'origine contrôlée, des étiquettes. Nos rayons vins sont devenus des caves qui valorisent les étiquettes des producteurs, si bien que peu de gens sont aujourd'hui dépendants d'un hypothétique cours du vin. Le rôle de la distribution n'est pas de faire du mécénat vis-à-vis de l'agriculture mais de valoriser les efforts des producteurs.

De ce point de vue, je rejoins M. Creyssel : il faut différencier, dans la négociation commerciale, la PME de la grande entreprise internationale. Nous pouvons aider plus facilement des entreprises de nos territoires que Coca-Cola ou Unilever, qui n'ont d'ailleurs que faire de nos préconisations.

Je suis d'accord pour faire preuve de discernement dans la détermination du prix. J'en conviens aussi, pour certaines productions, la baisse des prix n'augmentera pas les ventes. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Nous sommes sur un marché, régi par des lois, face à des industriels. Vous ne prenez pas en compte le fait que la première concurrence subie par le producteur est la concurrence entre les industriels. La cartellisation de la FNSEA et de l'ANIA devrait vous interroger. C'est quand même l'alliance du matou et de la souris ! C'est incroyable que cela ne vous fasse pas réagir.

Je le concède, le distributeur est gagnant dans la concurrence à laquelle se livrent les industriels. Il faut dissocier la PME, dont les moyens ne lui permettent pas de prendre part à la compétition, des grandes entreprises.

Si les discussions ont pour but de faire remonter les prix, nous ne l'accepterons pas. Écrivez au Premier ministre, faites supprimer les comparateurs. Nous n'avons déjà pas le droit de faire la publicité des promotions à la télévision, ni de signaler les 5 % de rabais sur les livres ailleurs qu'en magasin. Pour faire des campagnes sur les fruits et légumes, il faut demander l'autorisation à la fédération. Voilà le pays dans lequel nous sommes !

Je réponds positivement aux demandes de dialogue, mais les discussions ne doivent pas être focalisées sur le prix : c'est le consommateur qui détermine le prix de vente. Travaillons sur le marketing, la valorisation des produits.

Je n'ai pas répondu à la sollicitation de M. Benoit en faveur du label « Viande de porc français » parce que je considérais que la manière la plus intelligente de vendre le porc français en Bretagne était de le faire sous l'appellation « Cochon de Bretagne ».

L'un d'entre vous m'a proposé de racheter son exploitation. Je n'achèterai pas de terres, mais Xavier Beulin, lui, en achète. Alors qu'on demande au distributeur de contribuer à la compensation de marge de l'agriculteur, on oublie de dire que les céréales sont très présentes dans les intrants pour les éleveurs. M. Beulin avait proposé une cotisation des céréaliers pour soutenir les éleveurs laitiers. Il n'en est plus question. J'ai proposé, l'année dernière, une aide structurelle qu'il a refusée. J'ai été le premier à signer l'accord avec le médiateur, mais je ne sais pas quel en a été le résultat pour les producteurs.

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