Vous avez raison, monsieur le président. Pour autant, on achète peut-être plus une Captur qu'une Renault.
Un point nous distingue du monde du loisir, du cinéma ou de la musique : nos jeux ont des durées de vie très différentes et certains, destinés au marché de la console, peuvent se vendre à de très nombreux exemplaires. Ubisoft a fait sensation dans un salon professionnel aux États-Unis avec ses derniers titres, et un peu plus tôt, son jeu Watch Dogs a généré des centaines de millions d'euros de recettes lors de son lancement. En outre, un peu comme dans l'industrie des logiciels, d'autres opus, Watch Dogs 2, Watch Dogs 3, peuvent assurer une récurrence de revenus et une perspective potentiellement très différente des autres secteurs du loisir. Enfin, nous avons un bel exemple dans le domaine du jeu en ligne : Ankama, une très belle société de Roubaix, qui a créé 450 emplois dans une ancienne filature au coeur de la ville, a produit un jeu, Dofus, qui tourne depuis plus de dix ans.
Nos entreprises se situent entre la culture et la technologie. Ce peut être d'ailleurs une de nos drames : nous sommes souvent trop « culture » quand nous parlons à l'écosystème numérique, qu'il s'agisse de notre ministre de tutelle ou des institutions, ou de nos collègues des start ups du numérique ; et nous sommes trop « technologies et numérique », pour les gens du monde de la culture, dont notre ministre de tutelle. C'est une de nos spécificités. Mais ce que je voudrais que vous reteniez surtout, c'est le niveau de croissance de ce marché – de 16 à 51 milliards d'euros, soit 280 % d'augmentation des ventes en dix ans – que peu de secteurs connaissent.
Il est également important de souligner que c'est un secteur stratégique pour les grands acteurs du monde du numérique. En effet, aujourd'hui, par exemple, Google et Apple font l'essentiel de leurs profits sur téléphone mobile avec du jeu vidéo. Apple est même devenu l'un des premiers acteurs, si ce n'est le premier acteur, du jeu vidéo dans le monde. On dit que Sony reste viable grâce à sa Play Station. Microsoft a également investi massivement dans ce domaine. Les premières années de croissance de Facebook auraient été aussi liées aux jeux vidéo.
Dans l'écosystème électronique, informatique, web, numérique en général, le jeu vidéo a une place très forte. La France y est reconnue pour son savoir-faire, son expertise et elle a été récompensée par de nombreux prix. Quantic Dream a été primé aux BAFTA, le jeu Dishonored de la société Arcanes a été élu le meilleur jeu de l'année 2012, Criminal Case de Pretty Simple meilleur jeu Facebook dans le monde entier en 2013. Sans oublier Watch Dogs et Assassin's Creed d'Ubisoft qui sont des succès internationaux.
Nous avons donc de belles entreprises et un marché en croissance. Mais le paradoxe est que nous enregistrons depuis quinze ans un exil très soutenu et continu de nos collaborateurs. À la fin des années 1990, notre secteur comptait environ 25 000 salariés. Ce chiffre a été divisé par deux depuis, alors que le marché augmentait de 280 %. On peut se demander pourquoi. Vous comprenez maintenant pourquoi nous souhaitions vous apporter notre témoignage.
C'est un secteur relativement jeune. Nos formations, qui touchent aussi bien au numérique qu'au culturel, sont excellentes. Une partie de nos forces est constituée d'ingénieurs, les mêmes que ceux qui vont travailler dans des entreprises de technologie. L'autre partie vient des écoles d'animation – Gobelins, Sup Info Com, etc. – ou du cinéma et de la musique. Nos talents sont extrêmement appréciés dans le monde entier. On trouve, dans la Silicon Valley, en Chine, au Canada, des Français dans tous les personnels clé des entreprises du monde des jeux vidéo.