Intervention de Michel Heinrich

Réunion du 18 octobre 2012 à 11h00
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Heinrich, rapporteur :

L'objet de notre rapport était de comparer les politiques sociales des différents pays européens. Après une partie transversale consacrée notamment aux problématiques liées à la pauvreté, nous avions choisi de centrer notre propos sur les politiques de l'emploi et, plus précisément, sur l'accès et le retour à l'emploi, ainsi que sur la conciliation de la vie familiale avec l'activité professionnelle, avec un focus sur les familles monoparentales.

Notre rapport mettait en exergue le fait qu'un accompagnement intensif et personnalisé du demandeur d'emploi permettait un retour à l'emploi beaucoup plus rapide. Nous constatons qu'un certain nombre de nos préconisations ont été retenues. Le Gouvernement a ainsi annoncé une augmentation substantielle des moyens de Pôle emploi, via une convention tripartite prévoyant la création de 2000 équivalents temps plein (ETP) pour 2014 et l'inscription, dans le projet de loi de finances pour 2013, d'une hausse de 2000 du nombre d'ETP et de 8 % de la dotation à Pôle emploi.

Nous nous félicitons de cette décision, car, comparativement aux autres pays européens, la faiblesse des effectifs de notre opérateur national était patente. Toutefois, nous aurions souhaité que cette augmentation soit réversible, et que les moyens de Pôle emploi puissent être adaptés à la conjoncture. Nous avions été impressionnés par l'exemple du Royaume-Uni qui, en période de crise, avait immédiatement procédé à l'embauche de 15 000 personnes, sous forme de contrats à durée déterminée (CDD). La convention collective de Pôle emploi limitant les CDD ne nous semble pas répondre à l'enjeu de la réactivité, d'autant plus que l'on ignore si des redéploiements d'effectifs vers les régions les plus touchées sont possibles. En outre, on ne connaît pas encore le nombre exact de conseillers qui seront concrètement déployés sur le terrain au service des demandeurs d'emploi.

L'une de nos principales préoccupations était de rapprocher Pôle emploi des usagers et des territoires. Nous observons des signes encourageants allant dans ce sens ; Jean Bassères, le directeur général de Pôle emploi, a confirmé que, suite à l'instruction de janvier 2012, des comités de liaison avaient été reconstitués dans chaque département, et des travaux conjoints menés avec les associations de chômeurs afin de simplifier les courriers.

Il reste des efforts à faire pour simplifier le millefeuille territorial. Nous avions constaté que la France disposait d'une gouvernance singulière en comparaison des autres pays, et que cela constituait pour elle un véritable handicap ; nous comptons huit structures d'accompagnement vers l'emploi quand l'Allemagne en a quatre et le Royaume-Uni deux ! Nous avions observé qu'il n'existait pas de synergie entre les acteurs de l'emploi, ceux de l'entreprise et ceux de la formation professionnelle, et que la coordination entre les acteurs de l'insertion professionnelle et ceux de l'insertion sociale, pourtant essentielle pour les bénéficiaires du RSA, était insuffisante – ce cloisonnement étant un problème quasi culturel.

Les réponses de Pôle emploi et du Gouvernement vont plutôt dans le bon sens. La convention tripartite entre Pôle emploi, l'État et l'Unedic de janvier 2012 prévoit le rapprochement de Pôle emploi, d'une part de l'usager, d'autre part des territoires. Nous préconisions l'octroi de marges de manoeuvre aux responsables locaux et la territorialisation des offres de service, et cela a été pris en compte. Le directeur général de Pôle emploi envisage de mettre en place pour ses conseillers des enveloppes fongibles entre prestations et formations dans les agences, avec une évaluation a posteriori. Pôle emploi a définitivement renoncé au métier unique. L'acte III de la décentralisation devrait permettre une clarification du millefeuille en faisant des régions les pilotes des politiques de l'emploi, de formation et de développement économique. À l'échelon des bassins d'emplois, les services publics pour l'emploi (SPEL) devraient associer les élus locaux ; cela se fait déjà en Rhône-Alpes.

Nous resterons attentifs à ce que ces annonces se traduisent concrètement par une amélioration de la situation des usagers, et que le parcours de ceux-ci entre les différents guichets soit simplifié.

Nous avions recommandé d'intensifier les contacts avec tous les demandeurs d'emploi, grâce notamment à l'augmentation des effectifs. Pôle emploi a opté pour une approche plus souple : remplacer le « suivi mensuel personnalisé » (SMP), jugé irréalisable, par une offre de services différenciée. Pôle emploi propose aujourd'hui un accompagnement renforcé pour les chômeurs les plus éloignés du marché du travail – à raison de soixante-dix demandeurs d'emploi maximum par conseiller, cela concernerait, d'après nos calculs, 609 000 personnes au total. La majorité des demandeurs d'emploi bénéficient quant à eux d'un accompagnement guidé. Troisième niveau du dispositif, le suivi et l'appui à la recherche d'emploi via un service totalement dématérialisé sont proposés aux plus autonomes, sur la base du volontariat.

Cette nouvelle stratégie n'est pas aussi ambitieuse que celle que nous préconisions, mais c'est peut-être une façon pragmatique d'agir face à la crise et de tenir compte des besoins différents des demandeurs d'emploi. Cependant, comme nous ne disposons d'aucune information relative à la part respective des demandeurs d'emploi concernés par chaque type d'accompagnement, nous ne pouvons pas évaluer la crédibilité de la nouvelle offre de service. Comment seront sélectionnés les 609 000 bénéficiaires de l'accompagnement renforcé ? Quelle part des usagers de Pôle emploi serait prête à accepter un service totalement dématérialisé ? Quelles seront les conséquences sur le parcours de recherche d'emploi des chômeurs concernés ?

Nous pensons qu'il faut éviter que l'accompagnement dit « renforcé » soit réservé aux seuls chômeurs de longue durée, au détriment de ceux qui pourraient éviter cette situation grâce à une prise en charge adaptée – notamment les parents isolés. C'est pourquoi nous souhaitons que cette nouvelle stratégie fasse l'objet d'une évaluation régulière et que le Parlement soit informé des résultats.

L'approche globale que nous préconisions est désormais un souci partagé par tous. Elle nécessite de la coordination entre les acteurs, des aides et des prestations pertinentes, un diagnostic efficace, de la réactivité et de la souplesse.

D'abord, il convient de lutter contre les freins au retour à l'emploi, donc de mobiliser les aides à la reprise d'activité, avec plus de souplesse. Or, si les enveloppes budgétaires semblent maintenues dans l'immédiat, leur fléchage vers les publics les plus éloignés de remploi pourrait être contre-productif. Nous souhaiterions que l'on donne plus de marges de manoeuvre aux conseillers et aux travailleurs sociaux pour l'attribution des aides, quitte à évaluer a posteriori leur gestion.

Ensuite, l'action des acteurs concernés doit être mieux coordonnée. Afin de favoriser le rapprochement des acteurs de l'insertion sociale et professionnelle à l'échelon local, nous préconisons, entre autres, une formation commune aux conseillers de Pôle emploi et aux travailleurs sociaux. Le directeur général de Pôle emploi a fait de ce rapprochement une priorité, mais les relations avec les conseils généraux restent contrastées ; or, aucune amélioration ne sera possible sans le concours de ceux-ci. C'est pourquoi nous souhaitons que les collaborations entre les conseils généraux, Pôle emploi et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) fassent l'objet d'un diagnostic précis et que celui-ci soit rendu public. Il serait bon que la Conférence nationale contre la pauvreté et l'exclusion sociale dégage des pistes opérationnelles afin que l'on compare les politiques menées par les différents départements et que chacun puisse s'inspirer des bonnes pratiques.

Les contrats aidés permettent, en situation de crise, de lutter contre les effets à long terme du chômage pour les personnes structurellement éloignées du marché du travail et servent de tremplin aux chômeurs de longue durée. Nous souhaitions que l'on mette fin à leur instabilité juridique et financière et qu'ils soient mieux ciblés, de manière à éviter les « effets d'aubaine ».

Le Gouvernement affirme que le problème a été identifié et que les contrats aidés seront désormais ciblés sur les personnes les plus éloignées de l'emploi. Les publics prioritaires resteront identiques, afin d'améliorer la stabilité et la lisibilité du dispositif pour les employeurs, les bénéficiaires et les prescripteurs. L'enveloppe consacrée aux contrats aidés sera reconduite par rapport à 2012 ; 340 000 contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE) et 50 000 contrats initiative emploi (CIE) sont prévus par le projet de loi de finances pour 2013 et la répartition infra-annuelle sera lissée afin d'éviter tout phénomène de « stop-and-go ». Le Gouvernement s'est fixé pour objectif de porter à neuf mois la durée moyenne des CAE en 2013, contre 6 mois en 2011 et 7 mois en 2012. Enfin, le suivi des bénéficiaires a été mis en place pour les nouveaux emplois d'avenir et pourrait être étendu aux autres contrats aidés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion