Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 21 juillet 2014 à 21h30
Réforme ferroviaire - nomination des dirigeants de la sncf — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, chers collègues, nous arrivons au terme de la discussion de ce texte avec le sentiment que ce projet de loi représente, en fin de compte, une occasion manquée de faire du système ferroviaire français un grand service public, et de mettre enfin au bilan de ce Gouvernement une avancée sociale de portée historique.

Quinze après la création de RFF, et après dix années de gouvernement de droite, beaucoup, parmi les agents du service public, les élus et nos concitoyens, attendaient effectivement que l’on renforce un grand service public, et pour cela, qu’on leur parle d’investissement public, de réponse aux besoins d’aménagement du territoire, de transition énergétique. Dans le dialogue très ouvert que vous avez conduit en amont, monsieur le secrétaire d’État, vous aviez donné des signes encourageants en ce sens, en parlant de groupe public ferroviaire, de réunification de la famille cheminote, de retour de l’État-stratège, d’intégration, d’unification du réseau. Les députés du Front de gauche ont mis tout en oeuvre pour vous accompagner – voire même vous pousser ! – dans cette voie.

Vous vous êtes cependant arrêté au milieu du gué. Nous avons pourtant tout fait pour que vous ouvriez les vannes, mais vous n’avez laissé passer qu’un mince filet d’eau. Tout d’abord, ce texte ne va pas au bout de la réunification du système ferroviaire, en créant un seul EPIC. Alors que l’objet premier de ce projet de loi était de réunir à nouveau la SNCF et RFF, l’exploitation et l’infrastructure, la roue et le rail, vous créez une troisième entité, dont la fonction sera d’assurer la coordination entre les deux entreprises. Nous en connaissons les raisons : pour que cette architecture obtienne l’aval de la Commission européenne, vous avez dû garantir que la holding de tête n’empiéterait pas sur les fonctions dévolues à SNCF Réseau, et que SNCF Mobilités ne pourrait pas exercer d’influence sur les décisions tenant au réseau. Autrement dit, Bruxelles exigeait – et a obtenu – que la réunification n’en soit pas une, et n’entrave pas la bonne marche de l’ouverture à la concurrence.

Certes, le projet de loi met fin à la séparation stricte des activités qui prévalait depuis la création de RFF. Vous conviendrez cependant, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que ce projet de loi ne mettra pas fin à l’émiettement des activités, qui sont de plus en plus autonomes, ni à la multiplication des filiales, ni à la généralisation de la sous-traitance, ni à l’abandon du fret.

Certes, le débat parlementaire aura permis d’enregistrer des avancées, pour garantir une plus grande unité économique, sociale et technique du nouveau groupe ferroviaire public. Les trois EPIC auront un caractère indissociable et solidaire. Ils disposeront d’un comité central de groupe, et mutualiseront certaines fonctions sociales.

Là aussi, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, vous conviendrez que ce projet de loi ne solidifie que superficiellement le groupe du ferroviaire, et surtout pas assez pour lui permettre de faire face aux conditions de la concurrence annoncée par le quatrième paquet ferroviaire. Nous savons en effet de longue date que concurrence et service public ne font jamais bon ménage. Nous en avons fait l’expérience dans une grande variété de domaines. L’atterrissage n’est jamais à la hauteur de l’envolée, tout au moins pour l’usager : je ne parle pas des aspects financiers.

Le transport ferroviaire est à l’évidence un des secteurs où la privatisation n’a jamais démontré la moindre utilité, ce qui explique, d’ailleurs, que la plupart des pays ont opté pour un service public du transport ferroviaire. La question essentielle est la suivante : devons-nous nous plier aux injonctions libérales et favoriser l’implantation de nouveaux acteurs qui ne s’installeront que sur les lignes les plus profitables, au détriment de l’opérateur historique qui devra assurer le service sur les lignes qui ont le plus faible trafic ? Surtout, quel bénéfice les usagers en retireront-ils en termes de tarifs, de qualité de service, de sécurité ?

La privatisation du transport de fret ferroviaire depuis 2003 offre un terrible exemple des dégâts occasionnés par l’ouverture du rail à la concurrence. En dix ans, la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises a été divisée par deux. Elle ne représente plus que 9,6 % du transport de marchandises, contre 83,6 % pour la route, avec toutes les nuisances sociales et environnementales que cela induit. En cause, une concentration de l’activité sur les seuls segments les plus rentables, qui a elle-même entraîné la disparition de 5 000 emplois depuis 2008, et la fermeture de la quasi-totalité des gares de triage. L’ouverture à la concurrence du transport de marchandises a conduit ainsi à sa dégradation, au détriment de l’intérêt général en matière d’aménagement du territoire et de transition écologique.

Nous sommes pour notre part convaincus – et c’est, pour l’essentiel, ce qui nous sépare de vous – qu’il est non seulement nécessaire, mais possible de faire reculer Bruxelles. La concurrence, la loi du marché et le démantèlement des services publics ne peuvent être l’horizon de la construction européenne. J’apprécie votre réaction, monsieur le ministre : vous êtes sensible à cette analyse, même si vous ne la partagez pas.

Nous regrettons donc que vous n’ayez pas entendu, ni dans notre assemblée, ni au Sénat, nos propositions visant à pousser les feux de la réunification de la famille ferroviaire, une vraie réunification, quitte à engager un bras de fer et à établir un rapport de forces au niveau européen. Cela ne veut pas dire que vous n’ayez rien fait, monsieur le ministre !

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