Permettez-moi d'abord, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, de vous remercier pour votre invitation. Je voudrais par ailleurs saluer le travail accompli par Mme Martinel et M. Kert dans le cadre du comité de suivi, ainsi que le rapport rédigé par M. Travert en tant que rapporteur budgétaire des crédits de l'audiovisuel public pour 2014 et qui a nourri notre réflexion. Je salue enfin les deux rapporteurs de la mission, Romain Laleix, adjoint au chef du bureau du secteur de l'audiovisuel public au sein de la direction générale des médias et des industries culturelles, la DGMIC, qui n'a pas pu être présent aujourd'hui, et M. Jean-Marc Dubois, directeur du développement de France 3, ainsi que M. Thomas Corona, chargé de mission, qui nous a accompagnés au cours des nombreuses auditions que nous avons conduites en régions.
Vous mesurez mieux que personne à quel point l'avenir de l'offre régionale de France 3 est un enjeu pour le service public. L'enjeu est d'abord politique : dans un moment où la demande de lien social se fait plus forte, la télévision publique de proximité peut et doit contribuer à réconcilier nos concitoyens avec les institutions. Dans la perspective de la prochaine réforme territoriale, la télévision publique régionale peut être un outil précieux pour diffuser le débat public, tant au sein des régions qu'au niveau national. L'enjeu est d'importance également pour l'entreprise France Télévisions elle-même, tant l'offre régionale est pour elle un élément structurant, un véritable marqueur de service public, qui doit faire l'objet d'une stratégie claire dans un contexte économique de plus en plus contraint. Notre mission avait également pour objectif d'anticiper l'impact de l'évolution des usages, notamment numériques, sur l'offre de proximité. Voilà les enjeux qui ont défini le cadre de notre mission.
Je rappelle que le réseau régional de France 3 emploie plus de 3 400 équivalents temps plein. Le coût de grille de l'offre régionale s'est élevé en 2013 à 360 millions d'euros, soit la moitié du coût de grille global de France 3. Ce sont au total 24 000 heures de programmes qui sont diffusées sur l'ensemble du territoire, même si l'offre régionale ne couvre que 10 % du volume des programmes auquel chaque téléspectateur peut accéder. Le problème est qu'à l'exception des journaux télévisés, ces programmes régionaux peinent à trouver leur public, avec une part d'audience de 4,2 %.
L'offre régionale de France 3 ne manque cependant pas d'atouts permettant d'envisager l'avenir avec optimisme. Le réseau bénéficie d'abord d'un maillage exceptionnel du territoire, avec 116 implantations au total, dont vingt-quatre antennes régionales de proximité, vingt rédactions locales excentrées et 67 bureaux d'information de proximité, les BIP. L'offre régionale bénéficie surtout de la compétence d'équipes, notamment de ses 1 400 journalistes, au professionnalisme reconnu et jouissant d'une excellente connaissance des régions. C'est sans doute ce qui explique les excellents résultats des éditions régionales, qui représentent 15,4 % de part d'audience. Ce sont eux qui permettent à France 3 d'être, avec 9,5 % de part d'audience, au quatrième rang des grandes chaînes généralistes.
Nous avons voulu travailler – c'est l'originalité de la démarche de notre mission – à partir des attentes des publics en matière d'offre régionale, car ce sont elles qui fondent la légitimité de la chaîne. C'est pourquoi nous avons, conjointement avec France Télévisions, commandé à l'institut Médiamétrie une étude visant à cerner la perception qu'a le public français de France 3 et ce qu'il en attend. L'étude s'est attachée plus particulièrement à corréler les usages de consommation des téléspectateurs avec l'évolution des bassins de vie. Nous avons dans ce domaine bénéficié des lumières du géographe Jacques Lévy, membre du comité de suivi. Selon cet expert, le processus d'urbanisation de notre pays étant désormais arrivé à son terme, les territoires peuvent être caractérisés par leur « gradient d'urbanité », soit leur plus ou moins grande proximité par rapport aux grands pôles urbains.
Cette étude a permis de dégager plusieurs grandes tendances. On constate tout d'abord un fort attachement à la double dimension, nationale et régionale, de l'offre de programmes de France 3, qu'il s'agisse de fictions, d'émissions telles que Les Carnets de Julie ou Midi en France, ou des journaux télévisés.
Deuxième grande tendance, les publics des grandes métropoles et de leurs banlieues sont très demandeurs de services de proximité. Les téléspectateurs vivant en périphérie des centres métropolitains, éloignés de la plupart des services publics, sont plus particulièrement attachés aux thématiques liées à la formation et à l'emploi et plus largement à tout ce qui concourt au renforcement du lien social et favorise l'accès aux services publics.
Dans les régions à forte identité, caractérisée notamment par la pratique d'une langue régionale, nous avons sans surprise constaté l'attachement des publics à la mise en valeur de la richesse et de la diversité culturelles de leur territoire ou des initiatives économiques, sociales et environnementales dont il est le cadre.
Ces diverses attentes appellent des programmes spécifiques, que ceux-ci soient diffusés sur les antennes de France 3 ou sur les supports numériques s'agissant des publics les plus jeunes. Sur la base de cette analyse et d'une étude approfondie de l'offre existante, nous avons dégagé plusieurs pistes pour faire évoluer l'offre régionale de France 3.
Si on s'en tient aux bonnes audiences des éditions régionales des sessions d'information de France 3, et au fait que celles-ci mobilisent 80 % des personnels travaillant pour l'offre régionale, la solution qui vient spontanément à l'esprit est de recentrer l'offre régionale de France 3 autour du « tout information ». Nous n'avons cependant pas retenu ce choix car il nous semble réduire excessivement le périmètre des missions de France 3, au détriment notamment de la création. En outre, il laisserait sans réponse les attentes des publics qu'aucun acteur privé n'est en mesure de satisfaire.
La deuxième orientation possible est le déploiement d'un réseau de chaînes régionales complémentaires à l'offre de France 3 « nationale », sur le modèle de Via Stella. Nous n'avons pas retenu cette stratégie, en raison, non seulement de son coût, mais surtout parce qu'elle ne correspond pas à une demande qui serait observable sur l'ensemble du territoire.
La troisième orientation possible, celle que je soumets à votre attention, est d'assumer clairement la double identité de France 3. On observe en effet qu'aucun des choix stratégiques qui ont présidé jusqu'ici aux évolutions de France 3, qu'ils aient été décentralisateurs ou, plus souvent, pour des raisons de moyens, centralisateurs, n'est parvenu à tirer parti du caractère unique de cette chaîne, à la fois régionale et nationale, et à faire dialoguer ces deux dimensions de manière féconde. C'est pourtant ce que le public attend : que France 3 assume cette spécificité qu'aucune autre chaîne du paysage audiovisuel français n'est en mesure de lui offrir – les chaînes concurrentes ne peuvent pas jouer la carte des régions sans tomber dans le folklore condescendant de la « carte postale ».
Parvenir à faire converger ces deux dimensions et à développer les riches potentialités de ces regards croisés suppose une collaboration étroite entre les équipes régionales et les équipes nationales, alors qu'aujourd'hui on a plutôt l'impression que France 3 tourne le dos à ses équipes régionales. Alors qu'il faudrait renforcer l'offre régionale à l'antenne, les horaires actuels de diffusion et de rediffusion des programmes régionaux ne permettent pas la constitution d'une véritable offre régionale de proximité.
À partir de cette analyse, mais aussi des compétences des équipes régionales, il faut rapprocher les programmes régionaux des attentes du public : c'est l'ardente obligation du local et du service. Il faut intégrer ce type d'offre dans une grille cohérente et lisible, harmonisée avec les programmes nationaux, afin de lui assurer la meilleure exposition. C'est d'ailleurs ce modèle qui a présidé à la refondation réussie de France Bleu, dans une démarche méthodique de coopération entre les régions et le niveau national. C'est ce qu'exprime le titre de mon rapport : « France 3 sans les régions n'a pas de sens, les régions sans France 3 n'ont pas de force ».
Nos propositions concernent autant les supports numériques que l'antenne. En ce qui concerne le numérique, nous préconisons une augmentation de près de 25 % de l'offre actuelle. Il faut renforcer l'offre régionale numérique de France 3 afin de pouvoir constituer un fil d'information régionale réactif, sur une plage horaire étendue, et qui fasse référence en termes d'information de proximité.
Nous proposons également de développer l'offre d'information de service attendue par les publics et de permettre l'accès systématique, en direct et en différé, aux programmes régionaux, notamment ceux en langue régionale.
France 3 et ses sites devraient devenir une vaste agora numérique, lieu de débat, de partage et de découverte assurant l'expression de toutes les initiatives des territoires. La mission préconise par ailleurs de poser la première pierre de l'arche numérique souhaitée par le Président de la République à l'occasion des quarante ans de la Maison de la radio. Dans cette perspective, le territoire régional pourrait être le terrain d'une expérimentation entre France 3, France bleu et l'INA.
S'agissant de l'offre régionale sur l'antenne, il est grand temps de définir une stratégie commune qui ne se limite pas aux considérations quantitatives. En effet les contrats d'objectifs et de moyens appréhendent la question de l'offre régionale sous l'angle unique du volume horaire de diffusion, alors que, comme vous l'avez souligné, monsieur Travert, ces volumes de diffusion sont souvent assurés par des rediffusions. C'est pourquoi il conviendrait de privilégier une approche qualitative.
La partition éditoriale en quatre pôles devrait disparaître, au bénéfice d'une offre générale correspondant au plus près au bassin de vie. Il convient d'accroître la réactivité de l'atout maître qu'est l'information en s'inspirant des expériences réussies dans ce domaine. L'information régionale ne doit pas se limiter à parler de ce qui ne va pas ; elle doit aussi accompagner les acteurs locaux, faire état des initiatives des territoires, favoriser le débat et surtout sortir de ses murs. Cela supposerait pour le réseau la production de près de 1 500 heures annuelles de programmes supplémentaires.
La responsabilité de définir une stratégie éditoriale en matière de documentaires devrait être partagée entre les antennes régionales et la direction nationale afin de dégager une ligne éditoriale propre à France 3 et d'améliorer leur financement unitaire.
Le renforcement du caractère régional des programmes nationaux à travers des émissions comme Midi en France ou Les Carnets de Julie devrait être poursuivi. On pourrait enfin envisager de déconcentrer en régions la production de certains programmes nationaux, sur le modèle de la production de Plus belle la vie.
Plus largement, le réseau régional de France 3 devrait s'adapter aux évolutions des bassins de vie. Quant aux zones de diffusion, elles devraient être redéfinies en fonction du redécoupage régional prévu par la future réforme territoriale.
La mission envisage enfin la possibilité de lancer des expériences d'offres régionales de complément, en coopération avec les collectivités locales et les antennes locales volontaires, dans les cas où l'identité régionale – c'est le cas de la Bretagne par exemple – ou la taille de la métropole le justifierait.
En tout état de cause, la rénovation de l'offre régionale de France 3 suppose le concours de tous et une forte implication des équipes dans l'évolution de leurs pratiques professionnelles. Dans le contexte économique contraint qui est le nôtre, un tel enrichissement de l'offre régionale ne peut être que le fruit d'une politique volontariste. Il requiert de France Télévisions un véritable choix stratégique en faveur de ses antennes régionales et un positionnement éditorial clair qui traduise fortement la double identité, régionale et nationale, de France 3. Il suppose enfin un vrai soutien de l'État et de tous les acteurs qui concourent à l'audiovisuel public. Je pense que dans la situation actuelle, toute autre orientation aboutirait à l'affaiblissement et à la marginalisation progressive de l'offre régionale, au point de mettre en péril l'existence même de France 3.