Intervention de Anne Brucy

Réunion du 16 juillet 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Anne Brucy :

Traiter les langues régionales comme des pièces de musée est rébarbatif et entraîne très peu d'adeptes. Or, il existe une manière moderne de traiter les langues régionales à la télévision, en les inscrivant dans l'actualité, dans l'air du temps. Il est tout à fait possible, sans jouer avec les volumes, d'inscrire dans l'offre de petits rendez-vous qui font des clins d'yeux à la langue et la rajeunissent – ce qui répond à la demande de nombreux téléspectateurs –, tout en invitant à se rendre sur les plateformes numériques évoquées tout à l'heure. Outre la Bretagne, il faut mentionner aussi les nouveaux périmètres qui se dessinent notamment autour des questions transfrontalières.

L'offre numérique régionale est considérée comme une priorité au sein de France Télévisions mais, malgré des évolutions, trop peu de personnes y travaillent encore. Des compléments financiers seront donc nécessaires pour répondre à cette priorité. L'offre numérique est aujourd'hui essentiellement consacrée au prolongement de l'offre télévisuelle et de l'offre d'information. Par rapport à l'offre de la presse quotidienne régionale (PQR), le nombre d'informations et de pages consultées indique cependant qu'il reste beaucoup à faire pour être compétitifs. À cet égard, des collaborations peuvent être envisagées avec France Bleu et, à la différence de la PQR, nous disposons d'images, indispensables sur le Net.

La capacité à faire évoluer les équipes de France 3 passe par un double réflexe : ces équipes doivent faire leurs reportages et, grâce à des moyens de transmission rapides et légers, envoyer des photos ou des éléments qui seront traités par des équipes dédiées situées au sein des rédactions. Les contenus destinés à l'antenne ou au Net doivent se nourrir réciproquement et doivent permettre à la fois une présence permanente sur le Net et des rendez-vous plus fixes à la télévision.

France 3 doit donc offrir une agora numérique proposant des hyperliens avec l'ensemble des initiatives menées dans les régions, ainsi que des captations de concerts permettant à des groupes de jeunes de se retrouver dans une expression partagée. France 3 doit jouer son rôle de dénicheur de talents qui pourront remonter à l'antenne, moyennant un traitement particulier. Elle doit aussi proposer une offre numérique qui s'adresse aux 69 % d'audience qu'évoquait M. Rogemont – aux jeunes, certes, mais aussi aux moins jeunes – car la fracture numérique n'est pas celle qui est traditionnellement décrite et l'on observe aussi une forte augmentation des ventes de tablettes aux moins jeunes.

Le rapport comporte effectivement une recommandation invitant à faire des expériences, sur des canaux dédiés, avec des télévisions locales et des collectivités territoriales. Une autre proposition tend à montrer les formes que peut prendre la collaboration avec une télévision locale. Ainsi, à Grenoble, les équipes ont pu se répartir entre les différentes phases d'une course et en couvrir ainsi l'intégralité, ce qui aurait été impossible séparément. Ces collaborations permettent aussi des coproductions et des échanges de programmes avec les télévisions locales et France 3.

Monsieur Kert, toute l'histoire de France 3 n'a été faite que de révolutions et aucun cap n'a été tenu à long terme, ce qui n'a pas été sans susciter une certaine lassitude de la part des équipes. Par comparaison avec les chaînes privées – comme TF1, qui a tenu un même cap de sa création en 1987 jusqu'au départ de M. Patrick Le Lay –, le service public de l'audiovisuel a connu des révolutions quasi-permanentes, les alternances des présidents de France Télévisions étant elles-mêmes en alternance avec les gouvernements et faisant se succéder vent de dos et vent de face. Ainsi, nous avons connu en 1989 un projet de sociétés d'économie mixte, puis le projet de télévision numérique régionale (TNR), le projet Proxima et la dernière réforme : à force de changer de cap, on est déboussolé.

La révolution que je propose consiste à avoir un cap fixe et un objectif à long terme – ce qui revient tout de même à renverser la table. Cette approche s'accompagnera d'une augmentation de la production en régions, ainsi que de la production numérique. Je souhaite que, pour une fois, France 3 ne tourne plus le dos à ses régions, que les gens travaillent ensemble et qu'une harmonisation se fasse, afin que France 3 puisse multiplier ses capacités d'intervention, au lieu de les diviser par des guerres picrocholines teintés de mépris. La suppression par Paris de l'émission que vous évoquiez, monsieur Reiss, est un procédé qui doit céder la place à une volonté partagée de mettre en avant l'offre régionale sur l'antenne de France 3.

Sur le plan financier, France Télévisions doit, dans le cadre de la péréquation des moyens, fixer des priorités à l'offre régionale de France 3 et l'État doit pouvoir accompagner cette évolution destinée, à terme, à devenir pérenne. Je souhaite contribuer à faire émerger des prises de positions claires pour cette chaîne, qui est l'élément de différenciation du service public et dont il serait dommage d'appauvrir l'offre.

La chaîne de complément proposée pour l'Île-de-France procède de la réflexion menée notamment avec Jacques Lévy sur le constat d'une urbanisation achevée : les personnes qui vivent à une centaine de kilomètres de Paris continuent à dépendre de Paris. Ces « invisibles », éloignés des grandes métropoles, doivent néanmoins avoir accès à ce que propose le service public. Ils doivent pouvoir s'y reconnaître – car on ne les voit jamais à la télévision – et échapper au système centre-périphérie. Pourquoi, lorsqu'on habite en banlieue ou en grande périphérie, aller à l'Opéra de Paris alors qu'on trouve dans la banlieue des opéras et des théâtres dignes de ce nom ? Il s'agit donc de créer des liens entre toutes ces populations qui, se situant essentiellement dans le système centre-périphérie, doivent pouvoir être interconnectées et avoir conscience d'une existence partagée, même si elles ne se connaissent pas les unes les autres. Je souhaite donc qu'une expérimentation puisse être menée sur le Grand Paris et, d'une manière générale, sur les grandes agglomérations.

Je rappelle enfin que le rapport est destiné à accompagner, à partir de 2015, la rédaction du prochain contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions, qui sera signé par le nouveau président désigné par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Il a donc vocation à être un élément d'orientation pour l'offre régionale de France 3 et il a bien sûr été adressé au CSA, qui en a pris connaissance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion