Intervention de Patrice Carvalho

Séance en hémicycle du 22 juillet 2014 à 21h30
Infrastructures de recharge de véhicules électriques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme nous l’avons souligné en première lecture, cette proposition de loi nous satisfait dans son esprit. Elle s’inscrit en effet dans le prolongement de l’action et des initiatives prises par des constructeurs, des consommateurs et des élus afin de minimiser l’impact du transport routier sur notre environnement.

L’encombrement des voies de circulation, l’augmentation des gaz à effet de serre, la hausse du prix du carburant et l’émission de particules nocives militent pour la transition vers les véhicules électriques. Or, l’absence de points de recharge constitue actuellement l’un des principaux freins au développement du parc de ces véhicules.

Lors du Grenelle de l’environnement, la création de 400 000 bornes de recharge avait été annoncée. Aujourd’hui, les usagers français ne disposent que de 8 000 bornes pour les 40 000 voitures électriques en circulation, la plupart de ces bornes étant publiques et installées par les communes. Accélérer la mise sur pied des bornes de recharge électriques et doubler leur nombre à court terme pour permettre aux automobilistes d’en disposer au travail comme à la maison est une mesure que nous ne pouvons que saluer. Imposer que tout nouveau bâtiment à usage industriel équipé de places de parking soit doté du précâblage permettant de recharger les voitures électriques va également dans le bon sens. Cette mesure complète utilement les dispositions qui concernent déjà les bureaux et les immeubles neufs.

Le décollage du marché de la voiture électrique représente un enjeu majeur pour la transition écologique et énergétique, ainsi qu’un enjeu industriel. Aujourd’hui, la moyenne des émissions du parc automobile français est encore de 176 grammes de dioxyde de carbone par kilomètre. Le véhicule électrique peut donc jouer un rôle majeur dans le recul de ces émissions.

Jusqu’à une période récente, le Gouvernement n’envisageait pas la création d’un opérateur national d’infrastructures de recharge pour installer un réseau de bornes qui viendrait compléter celui qui a été mis en place à l’initiative des collectivités territoriales. Il arguait alors du fait que les collectivités devaient rester seules compétentes en la matière, au motif – qui n’est pas déterminant – qu’elles seules connaissent les flux des trajets entre domicile et lieu de travail sur leur territoire.

La volonté affirmée de permettre à l’État de jouer un rôle pour garantir l’égal accès de tous à ces équipements est un progrès, qui crédibilise l’annonce faite en 2012 d’un effort en faveur du plan de soutien à la filière automobile.

Cependant, certains aspects de cette proposition de loi, qui s’inscrit par ailleurs dans le droit fil des préconisations de Bruxelles, posent problème. Le texte prévoit par exemple que l’État pourra déployer ces infrastructures de recharge soit pour son propre compte, soit par l’intermédiaire d’un opérateur national dans lequel il détiendra directement ou indirectement une participation. La participation dans l’opérateur national pourra être détenue par le biais d’un établissement public comme l’ADEME ou, plus indirectement, par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations. Le seul critère actuellement prévu pour assurer un contrôle sur l’opérateur est la participation de l’État au capital, par voie directe ou indirecte. Le projet de l’opérateur devra également être validé par les ministres chargés de l’énergie et de l’environnement.

Ces éléments, si positifs soient-ils, ne constituent pas à nos yeux une garantie de contrôle suffisante. Nous aurions souhaité que la loi soit plus claire quant au cahier des charges imposé au futur opérateur, Nous avons tous été échaudés par le scandale d’Ecomouv’. Comment dès lors ne pas se montrer vigilants au sujet de ces formes de partenariat public-privé et de la garantie de préservation des intérêts de l’État comme de nos concitoyens ? Certes, il s’agit d’un marché limité puisque vous estimez le besoin de financement de ces équipements à hauteur de 200 millions d’euros, mais c’est pour nous une question de principe.

Par ailleurs, eu égard à la taille des entreprises qui ont fait part de leur intérêt – Bolloré ou EDF et Nissan –, il est clair que seuls les grands opérateurs privés seront en mesure de se porter candidats, S’agissant d’un réseau dont la mise en oeuvre n’est pas extrêmement complexe, il aurait été utile, à notre sens, de faire une place à des entreprises plus petites, sans les placer dans une situation de sous-traitance.

En outre, si la proposition de loi associe les collectivités territoriales, puisque leurs organes délibérants devront se prononcer sur la délivrance des titres d’occupation du domaine public, aucune garantie n’est apportée quant aux éléments de politique tarifaire qui s’appliqueront pour l’exploitation de ces bornes. Comment seront fixés les tarifs d’exploitation ? Quelles seront les conditions de vente d’électricité à ces opérateurs ? Sommes-nous en mesure de solliciter des tarifs préférentiels ? Quel contrôle public pourra s’exercer sur l’opérateur ? À ce stade, aucune de ces questions n’a obtenu de réponse suffisamment précise. Peut-être pourrez-vous nous apporter de nouveaux éléments, madame la secrétaire d’État ?

En première lecture, vous nous avez assuré que le Gouvernement veillerait à l’équilibre global du dispositif pour faire en sorte « que le tarif soit à peu près le même sur tout le territoire », et surtout pour que « tout le territoire soit à peu près maillé ». Cela fait beaucoup d’« à peu près » !

Autre zone d’ombre : le maillage proprement dit. Il sera national, nous dit-on, mais comment sera-t-il constitué dans chaque région ? Si l’on peut penser que les autoroutes et les zones les plus densément peuplées seront rentables, et donc rapidement équipées, quelles obligations précises pèseront sur le ou les opérateurs pour que ne subsistent pas de zones blanches ? Là encore, nous manquons d’éléments.

Nous nous retrouvons une fois de plus dans une situation où il s’agit de faire confiance au privé pour remplir une mission d’intérêt général. Nous craignons malheureusement, car nous le savons d’expérience, qu’en l’absence d’obligations précises pesant sur les futurs opérateurs, ceux-ci n’iront implanter des bornes que là où la rentabilité est assurée.

Une autre question se pose : quel sera le niveau de rétribution des opérateurs ? Là encore, l’exemple d’Ecomouv’ invite à la méfiance. Si l’on souhaite enfin que la voiture électrique ne soit pas seulement une seconde voiture réservée aux déplacements urbains des ménages aisés, l’existence de bornes de recharge rapide sur l’ensemble du territoire est indispensable.

Le débat sur l’avenir du véhicule électrique reste cependant ouvert. La recherche dans le domaine des véhicules propres évolue vite et d’innombrables questions se posent, comme celle de la consommation des bornes de recharge rapide en termes d’intensité – cette question ne manquerait pas de se poser si le véhicule électrique devait être, dans un proche avenir, victime de son succès.

Tout en restant conscients de ses limites, nous voterons donc ce texte avant tout parce qu’il témoigne à nos yeux d’un certain volontarisme, à quelques mois du débat sur la transition énergétique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion