Intervention de Hélène Duchêne

Réunion du 9 juillet 2014 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Hélène Duchêne, directrice des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement au ministère des affaires étrangères et du développement international :

En 2008, j'ai participé au sommet de Bucarest en ma qualité de représentante permanente adjointe de la France auprès du Conseil de l'Atlantique Nord. Je me rappelle fort bien que la rédaction de la partie, délicate, consacrée à l'élargissement du communiqué final avait été volontairement laissée aux chefs d'État, et il est vrai que le texte peut donner corps à certaines attentes. Au prochain sommet de l'OTAN, qui se tiendra début septembre à Newport, au Pays de Galles, les choses seront plus claires. Ce sommet aura une importance particulière car l'Alliance atlantique est à un moment charnière de son histoire : l'OTAN, qui a été conçue comme une alliance militaire, voit s'achever sa principale opération avec le désengagement d'Afghanistan. Initialement, le sommet de Newport tendait à définir son nouvel avenir : il s'agit de passer d'une Alliance déployée en opération à une Alliance réactive, prête à intervenir en cas de besoin pour la sécurité collective et la gestion de crise. Aussi bien, avant le déclenchement de la crise ukrainienne, une série de mesures était déjà préparée, sur l'interopérabilité notamment ; puisque l'Alliance a fait travailler les armées ensemble, au bénéfice de tous et donc aussi de la défense européenne, le sommet de Newport devrait confirmer la nécessité de préserver les acquis de ce travail en commun entre Européens et entre Européens et les Américains et les Canadiens, et de développer encore les capacités d'interopérabilité et de renseignement.

Mais la crise ukrainienne a recentré l'Alliance sur l'article 5 du Traité, c'est à dire la défense collective. La France a toujours souhaité le maintien de la solidarité, un exercice compliqué par le fait que les Alliés ne font pas tous la même analyse de la menace russe. Pour nous, l'OTAN étant une alliance militaire fondée sur une clause d'assistance mutuelle, une solidarité véritable doit se manifester si la crise ukrainienne a une incidence pour les Alliés orientaux dans leur perception de leurs intérêts de sécurité. Aussi avons-nous adopté des mesures de réassurance dès le début de la crise : nous avons déployé des Awacs en Pologne et en Roumanie, et certains de nos avions assurent la police de l'espace aérien des Pays baltes. En résumé, le sommet de Newport sera l'occasion de faire le point sur les opérations en cours, notamment en Afghanistan ; il marquera aussi l'aboutissement de la réflexion sur la position de l'OTAN au regard des évolutions en Ukraine et des pays situés aux portes de l'Union européenne. Le sommet de Newport devrait adopter un plan d'action pour la réactivité.

Mais la France, qui tient à se montrer solidaire, a d'autres engagements militaires, particulièrement en Afrique, et elle considère qu'il faut penser au partage du fardeau ; or, on le sait, outre les États-Unis, seuls quelques pays européens portent l'effort de défense. Il est souhaitable que certains pays de l'Union européenne renforcent leur effort de défense, non seulement en le portant à 2 % de leur PIB mais aussi en investissant davantage dans la recherche et l'équipement, une armée bien équipée et moderne étant plus efficace qu'une armée pléthorique.

Un autre élément important pour nous est la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne. Avec notre retour dans le commandement intégré, nous sommes sans doute lavés du soupçon de vouloir faire la défense européenne contre l'OTAN – défense européenne que nous voulons voir avancer. Aussi, nous souhaitons que le sommet de Newport reconnaisse la contribution des Européens à la sécurité collective et à la défense européenne.

J'en viens aux trois pays que vous avez spécifiquement évoqués, et pour commencer à l'Ukraine. Nous avons dit dès le début que la solution de la crise ne serait pas militaire. Aussi, si nous avons souhaité que l'OTAN prenne les mesures de réassurance propres à contribuer à la sécurité des Alliés, nous ne voulions pas que l'Alliance prenne une position qui contribuerait à l'escalade. Notre position n'a pas varié. Nous avons aussi rappelé que la Russie est un partenaire stratégique indispensable et que la sécurité de l'espace européen se définit avec elle. Concrètement, la crise ukrainienne a eu pour conséquence la suspension de la – modeste – coopération militaire entre l'OTAN et la Russie, mais le dialogue politique a été maintenu.

L'Ukraine n'est plus candidate à l'OTAN. Lorsqu'elle l'était, sa candidature a suscité beaucoup d'hésitations au sein de l'Alliance atlantique. Toutefois, le communiqué final du sommet de Bucarest évoquait pour l'Ukraine, qui participait déjà au Partenariat pour la paix, la perspective d'un plan d'action pour l'adhésion. La question ne se pose plus depuis que le 1er juillet 2010 la Rada a opté pour le statut « hors-blocs ».

La commission OTAN-Ukraine se réunira en marge du sommet de Newport. À la suite de la crise, quelques mesures de soutien ont été arrêtées en juin dernier par les ministres des affaires étrangères de l'Alliance : l'envoi d'experts civils dans le domaine des infrastructures critiques, le renforcement du bureau de liaison de l'OTAN à Kiev par des contributions nationales, et le resserrement de la coopération pour réformer la défense.

La France a manifesté sa solidarité à l'Ukraine à titre bilatéral en envoyant des gilets pare-balles, et dans le cadre de l'Alliance atlantique, par une rhétorique prudente pour ne pas favoriser une escalade. Nous usons de toute notre force de conviction pour persuader nos interlocuteurs que la solution à la crise sera politique et nous oeuvrons en ce sens par de nombreuses démarches diplomatiques, dont la récente réunion de Berlin est une illustration. Il faut encourager Ukrainiens et Russes à travailler ensemble, et ne certainement pas jeter de l'huile sur le feu.

Il ressort des discours du président Poutine que, pour la Russie, l'OTAN est un chiffon rouge ; pour lui, imaginer la flotte russe stationnée dans un pays membre de l'Alliance n'est pas acceptable. Pour la Russie, deux alliances se faisaient face et, depuis que le Pacte de Varsovie a disparu, l'Alliance atlantique avance progressivement. Les relations entre l'OTAN et la Russie sont assises sur l'Acte fondateur de 1997, et personne ne doit avoir de droit de regard sur l'élargissement de l'OTAN. La porte de l'OTAN reste ouverte à l'Ukraine, qui n'est plus candidate pour l'heure – mais cela peut changer.

La Géorgie est candidate depuis plusieurs années à un plan d'action pour l'adhésion (MAP), autrement dit à un statut de candidat officiel. Pour éviter la répétition, à Newport, des tensions constatées lors du sommet de Bucarest, il avait été décidé que la réunion, les 24 et 25 juin, des ministres des affaires étrangères des pays de l'OTAN statuerait sur la question de l'élargissement de l'Alliance à quatre pays potentiellement candidats, dont la Géorgie avec un MAP. Les ministres ayant décidé que le prochain Sommet ne serait pas celui de l'élargissement, la Géorgie ne sera pas invitée à signer un MAP. Mais pour saluer les efforts géorgiens et remercier la Géorgie de sa contribution substantielle à la force internationale d'assistance à la sécurité en Afghanistan et à la force de l'Union européenne en Centrafrique, où elle a dépêché une compagnie, il a été convenu que la Géorgie bénéficierait de mesures d'assistance, de soutien à son outil de défense de de renforcement du dialogue politique, tous éléments qui contribueront à la rapprocher de l'OTAN.

La situation de la Moldavie est différente. Le pays est certes membre du Partenariat pour la paix, mais il est constitutionnellement neutre, et donc « hors blocs ». Mais comme la Moldavie est particulièrement exposée au cours de la crise en Ukraine, des mesures d'accompagnement ont été décidées en sa faveur, qui se traduiront par un éventuel renforcement du bureau de liaison de l'OTAN à Chișinău.

Sur le fond, la France a plaidé en faveur d'une vision réaliste de l'élargissement de l'OTAN. Accepter un pays au sein de l'Alliance, c'est lui donner une garantie de sécurité et être prêt à l'exercer. On doit donc être responsable.

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