Intervention de Benjamin Ferras

Réunion du 17 juillet 2014 à 11h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Benjamin Ferras, inspecteur des affaires sociales à l'Inspection générale des affaires sociales, IGAS :

Les éléments que je vais vous exposer sont issus des travaux du Haut conseil du financement de la protection sociale, réalisés en février dernier avec le concours des administrations que vous avez auditionnées, alors que tous les arbitrages portant sur la solution technique à retenir n'avaient pas encore été rendus. Il s'agissait de comparer les dispositifs du CICE et de l'allégement général en termes de gestion et de champ d'application et d'envisager les modalités d'un rapprochement éventuel. Plusieurs scénarios ont été envisagés : celui qui consiste à développer le CICE et à supprimer l'allégement général et, à l'inverse, celui qui consiste à développer l'allégement général et à supprimer le CICE. Vous m'entendez aujourd'hui en tant que membre que l'IGAS, mais je précise que seul le rapport public engage les membres du Haut conseil.

Vous m'avez adressé trois questions portant sur la comparaison entre le CICE et l'allégement général, je vais m'efforcer d'y répondre.

La première différence entre les deux dispositifs réside dans le fait qu'ils donnent lieu à des réductions de prélèvements ne s'effectuant pas au même rythme : elles sont annuelles pour le CICE, mensuelles ou trimestrielles pour l'allégement général, ce qui n'est pas sans incidences en termes de trésorerie pour les entreprises. Le dispositif du CICE prévoit un système de remboursement anticipé pour certains redevables, ainsi que la possibilité de cession ou de nantissement, qui ont un impact budgétaire très fort sur certains éléments de la loi de finances. À titre d'exemple, pour un salaire versé en janvier 2013, le redevable à l'impôt sur les sociétés ne recourant pas au dispositif de cession ou de nantissement mais bénéficiant du CICE à la date de dépôt de sa déclaration ne percevra qu'en mai 2014 la réduction à laquelle il peut prétendre, alors que cette réduction sera effectuée dès février 2013 pour le bénéficiaire de l'allégement général. Un cas d'école, permettant de situer la borne haute du dispositif, est celui d'une entreprise qui, non éligible au dispositif de remboursement anticipé et n'ayant pas opté pour la cession ou le nantissement, présenterait systématiquement un solde créditeur à l'impôt sur les sociétés (IS) ou à l'impôt sur le revenu (IR): pour un salaire versé en 2013, cette entreprise ne bénéficierait d'un remboursement qu'au terme de trois exercices fiscaux, c'est-à-dire qu'elle recevrait en 2017 de la part de l'administration fiscale un virement correspondant à l'ensemble des crédits stockés en 2014, 2015 et 2016.

Les deux dispositifs aboutissent à une prise en compte fiscale totalement différente. Alors que le CICE joue directement sur le résultat de l'entreprise, l'allégement général conduit, toutes choses égales par ailleurs, à augmenter les assiettes de l'IR, de l'IS et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, avec un effet retour évalué à 20 % à 25 % de recettes supplémentaires pour le seul IS. Ensuite, l'effet des deux dispositifs sur les comptes des entreprises et sur les comptes publics est à analyser sur deux années distinctes – N pour l'allégement général et N + 1 pour le CICE. Enfin, on aboutit à des impacts budgétaires différents – pour la présentation « loi de finances », et non dans le cadre de la comptabilité consolidée au sens du traité de Maastricht.

Sur les comptes des entreprises, le CICE et l'allégement général ont également des conséquences très différentes. L'allégement général est un dispositif de droits constatés, avec une comptabilisation « au fil de l'eau » dans les comptes des entreprises et des organismes sociaux ; il est financé par des recettes fiscales affectées définitivement aux régimes concernés, et les effets se font sentir dès l'exercice de mise en oeuvre : autrement dit, l'allégement mis en place durant l'exercice N trouve une traduction budgétaire en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale dès cet exercice N. En revanche, pour ce qui est du CICE, on a une comptabilisation en année N pour les entreprises mais en N + 1 en comptabilité nationale et en loi de finances.

D'un point de vue budgétaire, la chronique que l'on peut établir pour les trois ans à venir en prenant en compte le passage du taux de 4 % à 6 % en 2014 et l'intégration progressive des remboursements fait apparaître des minorations de recettes – dues à la diminution des recettes d'impôt et aux remboursements effectués au bénéfice des redevables éligibles – de 9,76 milliards d'euros pour 2014, 15,76 milliards d'euros pour 2015 et 17,3 milliards d'euros pour 2016, pour un coût économique annuel évalué à un peu plus de 20 milliards d'euros.

Les champs d'application du CICE et de l'allégement général sont par nature différents: peuvent prétendre au CICE les redevables de l'IS ou de l'IR pour tout ou partie de leur activité – il s'agit d'un crédit d'impôt – et à l'allégement général, les employeurs au titre de leurs salariés affiliés obligatoirement à l'assurance chômage ainsi que des catégories complémentaires relevant de certains régimes spéciaux. En revanche, sont exclus du bénéfice des deux avantages l'État et les collectivités territoriales, les travailleurs indépendants pour leurs cotisations dues à titre personnel, ainsi que les particuliers employeurs – mais pas les sociétés de service à la personne qui, elles, peuvent bénéficier de l'un ou l'autre des dispositifs. Par ailleurs, le CICE induit des différences de traitement entre les structures à but lucratif et les structures à but non lucratif, ces dernières ne bénéficiant pas du CICE car n'étant par principe pas soumise à l'impôt sur les bénéfices ; un rapport parlementaire a d'ailleurs traité de ce sujet.

Enfin, le CICE et l'allégement général obéissent à des modalités différentes en termes de cumul et de conditionnalité. Le CICE peut être cumulé avec tout allégement social ou avantage fiscal ; compte tenu de son objet, il fait l'objet d'un dispositif de suivi spécifique destiné à s'assurer de la destination des fonds dégagés via le crédit d'impôt. Quant à l'allégement général, son application est exclusive de tout autre dispositif d'allégement – à l'exception de la déduction forfaitaire majorée au titre des heures supplémentaires pour les employeurs de moins de vingt salariés – et de tout régime de déclaration forfaitaire du travail effectué par les salariés ; l'allégement général implique également une obligation de négociation annuelle sur les salaires, ainsi qu'un dispositif de pénalités dans le cadre des contrats de génération, qui peut aboutir à la remise en cause des allégements en cas de non-respect des règles posées par les lois et règlements.

On constate naturellement une différence majeure de niveau et de progressivité du barème en fonction de la rémunération. Alors que le CICE concerne tous les salariés rémunérés jusqu'à 2,5 SMIC et s'applique à un taux unique, l'allégement général concerne les salariés rémunérés jusqu'à 1,6 SMIC et s'applique à un taux dégressif, l'avantage maximum étant consenti au niveau du SMIC : moins 28,1 points de cotisations pour les entreprises de moins de vingt salariés et moins 26 points pour celles de vingt salariés et plus. Toutes les autres modalités de calcul sont coordonnées, hormis certains éléments figurant dans les documents qui vous seront remis.

Le graphique de gauche, qui fait apparaître en abscisse le niveau de rémunération – en nombre de SMIC – et en ordonnée le taux d'exonération montre bien le caractère dégressif du taux de l'allégement général, par opposition au taux unique du CICE. Celui de droite montre les effets des allégements généraux et du CICE pour les entreprises de moins de vingt salariés d'une part, pour celles de vingt salariés et plus d'autre part, et la courbe en pointillé l'évolution du montant cumulé des deux dispositifs : 40 milliards d'euros.

Les modalités déclaratives des deux dispositifs sont particulières. En principe, pour déclarer une cotisation sociale, on indique un nombre de salariés et l'assiette de rémunération correspondante, à laquelle on applique un taux. Mais cette présentation n'est pas possible dans le cas du CICE pour lequel le calcul doit être fait dans une déclaration spécifique, parallèlement aux éléments à renseigner dans le bordereau récapitulatif de cotisations, la déclaration annuelle des données sociales et le tableau récapitulatif des cotisations, ce qui constitue un élément de complexité, donc de fragilité – le même problème se pose du reste pour l'allégement général puisque le bénéfice trimestriel ou mensuel doit être déclaré via le bordereau récapitulatif de cotisation (BRC), et le cumul via la déclaration annuelle de données sociales (DADS) et le tableau récapitulatif de fin d'année, ce qui a dérouté bon nombre d'employeurs.

Les modalités de contrôle sont, elles aussi, particulières : compte tenu du fait qu'il est assez technique et qu'il donne lieu à de fréquentes modifications de ses modalités de calculs, l'allégement général donne lieu à un nombre important de redressements. Notons toutefois qu'à la différence d'un contrôle fiscal, un contrôle de l'URSSAF peut aussi entraîner le règlement par celle-ci d'avantages que l'employeur n'aurait pas fait valoir : du coup, ces redressements constituent la première source de remboursements effectués au profit des employeurs. Du fait de la montée en charge progressive du CICE, son dispositif de contrôle est en cours de mise au point, mais il est d'ores et déjà à noter que les URSSAF et l'administration fiscale seront amenées à échanger au sujet des dossiers donnant lieu à contrôle, tout redressement de l'assiette de cotisation pouvant avoir un effet sur l'assiette de CICE et vice versa.

Des calculs ont été effectués en février dernier par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) afin de déterminer les impacts respectifs du CICE et de l'allégement général.

Le diagramme ci-dessus montre le taux d'exonération apparent, c'est-à-dire le niveau d'avantage dont bénéficie une entreprise par rapport au niveau de l'assiette déplafonnée. Pour les entreprises de neuf salariés et moins, le ratio est de 4,5 % pour le CICE et de 7,3 % pour l'allégement général ; pour les entreprises de 2 000 salariés et plus, les rapports s'inversent : le CICE leur profite à hauteur de 3,3 % contre 2,3 % pour l'allégement général.

Nous avons réfléchi à différents scénarios d'évolution du CICE et de l'allégement général.

Le premier est celui d'une extension du CICE via une hausse de son taux ou de son champ – aujourd'hui limité à 2,5 SMIC. Dans ce cas, nous aurions une hausse des remboursements et des recours aux cessions et nantissements, ainsi qu'une hausse des montants inscrits en loi de finances ; il n'y aurait pas de bénéfice mensuel ou trimestriel dans les conditions actuelles de remboursement, et pas non plus de dégressivité, contrairement à ce que permet l'allégement général.

Le deuxième scénario est celui d'une extension du CICE combinée à une réduction ou une suppression de l'allégement général. Un problème clé se pose alors, celui de l'année de changement : soit on envisage le cumul au cours de la même année, ce qui implique de payer deux fois en loi de finances, soit on écarte l'idée de cumul, ce qui amène à faire supporter un décalage d'un an aux trésoreries des employeurs, ce qui serait d'autant plus lourd de conséquences pour eux que les conséquences s'en feraient sentir dès l'exercice N dans les comptes des entreprises.

Le troisième scénario est celui d'un abandon pur et simple du CICE, qui amène à se pencher sur la problématique de sa suppression et de l'accompagnement des employeurs et des établissements de crédit qu'il faudrait alors mettre en place ; cette hypothèse se traduirait, outre les conséquences sur les comptes des entreprises, par des effets sur les lois de finances constatés, toutes choses égales par ailleurs, jusqu'à l'exercice N + 3.

Trois possibilités seraient alors envisageables pour l'année de transition. Premièrement, celle d'une année blanche, avec l'allégement actuel en exercice N, l'allégement modifié en N + 1 et la suppression du CICE au titre des rémunérations de N ; ainsi, en N, les employeurs n'auraient plus que l'ancien allégement. Deuxièmement, celle d'une année de perception concomitante des avantages, avec la mise en place du nouvel allégement dès N et le maintien du CICE payé en N au titre des rémunérations versées en N-1, ce qui implique un double coût en loi de finances. Troisièmement, celle d'une année de transition, avec un dispositif ad hoc devant être pensé au regard de celui de crédit d'impôt et des problématiques de rétroactivité de la loi fiscale qui s'y rattachent, compte tenu des possibilités de remboursement, de cession ou de nantissement.

Le quatrième scénario est celui d'une extension de l'allégement général. Pour ce qui est des cotisations patronales de sécurité sociale, les marges de manoeuvre au niveau du SMIC sont particulièrement étroites : ainsi les cotisations de sécurité sociale non exonérées recouvrées par l'URSSAF – hors cotisations accidents du travail et maladies professionnelles – s'établissent-elles à 0,15 % pour les entreprises de moins de dix salariés, 0,15 % pour les entreprises de dix salariés à moins de vingt salariés, et 2,25 % pour les entreprises de vingt salariés ou plus. Cela oblige à regarder au-delà des seules cotisations de sécurité sociale pour envisager un allégement s'étendant aux champs du logement, du transport et de la protection sociale obligatoire, ce qui ne serait pas sans poser problème, mais dont le total offre des marges plus substantielles : en février, pour un salarié travaillant trente-cinq heures rémunérées au SMIC, le total des cotisations et contributions patronales s'établit à 11,86 % pour les entreprises de moins de dix salariés, 12,36 % pour les entreprises de dix salariés à moins de vingt salariés, et 15,86 % pour les entreprises de vingt salariés ou plus.

Une éventuelle extension de l'allégement général rend donc nécessaire une analyse différenciée des prélèvements selon leur nature et les institutions qui en bénéficient. Pour ce qui est des cotisations patronales de sécurité sociale affectées au régime obligatoire de base, le dispositif est maintenant rodé. Pour les cotisations et contributions affectées à des organismes de protection sociale gérés paritairement en revanche, se pose la question de leurs modalités de recouvrement : actuellement, les allégements sont gérés par les URSSAF et les caisses de la Mutualité sociale agricole, mais si l'allégement était étendu, un nouveau réseau de recouvrement devrait être mis en place.

En écho aux discussions ayant eu lieu au sujet des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, une extension de l'allégement général conduirait à élaborer des mécanismes de financement ou de compensation budgétaire tenant compte de l'attachement témoigné par les régimes paritaires à leur autonomie financière, donc garantissant leur neutralité comptable et de trésorerie, ce qui impliquerait des versements mois par mois ou trimestre par trimestre. Les cotisations actuellement recouvrées par l'URSSAF hors sécurité sociale comprennent la contribution solidarité autonomie (CSA), qui serait susceptible d'entrer dans le champ de l'allégement ; la contribution au Fonds national d'aide au logement (FNAL), qui ne poserait que la difficulté relative au seuil entre le taux s'appliquant aux entreprises de moins de vingt salariés – 0,10 % – et celui s'appliquant aux entreprises de vingt salariés et plus – 0,50 % ; la contribution à l'assurance chômage (UNEDIC) et la contribution au Fonds de garantie des salaires (AGS) ne posent plus les problèmes techniques existant avant la création de Pôle emploi, puisque les URSSAF recouvrent désormais pour le compte de l'assurance chômage et de l'AGS ; enfin, la contribution versement transport (AOT), qui bénéficie aux collectivités territoriales, pose un problème particulièrement difficile dans la mesure où chaque collectivité territoriale est amenée à définir le taux qu'elle souhaite appliquer sur telle ou telle circonscription. Au total, ces contributions patronales recouvrées par les URSSAF s'établissent à 4,7 % pour les entreprises de moins de dix salariés et pour les entreprises de dix salariés à moins de vingt salariés, et à 5,10 % pour les entreprises de vingt salariés ou plus.

Pour ce qui est des prélèvements recouvrés par d'autres réseaux, la contribution de retraite complémentaire (ARRCO) et la cotisation AGFF non-cadres s'élèvent respectivement à 4,58 % et 1,20 % quelle que soit la taille de l'entreprise concernée ; la contribution de participation à la formation professionnelle présente des taux hétérogènes ; la taxe d'apprentissage, la contribution au développement de l'apprentissage et la participation à l'effort de construction donnent lieu à des taux de prélèvement homogènes – à ceci près que cette dernière ne s'applique qu'aux entreprises de vingt salariés et plus. Au total, on aboutit à des marges de 7,01 % pour les entreprises de moins de dix salariés, 7,51 % pour les entreprises de dix salariés à moins de vingt salariés, et 8,51 % pour les entreprises de vingt salariés ou plus.

J'insiste à nouveau sur la nécessité de respecter la neutralité comptable et de trésorerie, ainsi que sur le fait que, si le recouvrement est un métier parfaitement maîtrisé par les URSSAF et les caisses de MSA, ce n'est pas forcément le cas des autres réseaux. Par ailleurs, si l'on raisonne pour le moment en termes d'exonération de niveau de cotisation ou de taux, il est permis de se demander si d'autres approches ne pourraient être envisagées, consistant à raisonner en termes de versements acquittés par l'entreprise : en fonction de sa situation, un salarié donnerait lieu à un allégement de cotisations d'un montant déterminé. Il existe deux façons de mettre en oeuvre cette voie alternative : soit en retenant un plafonnement par salarié ou par établissement, soit en procédant à une déduction globale des montants dus, établie en fonction de la situation de l'entreprise concernée. Un tel procédé permettrait de se baser non plus seulement sur une exonération de cotisations patronales, mais sur l'ensemble des cotisations – patronales et salariales – dont l'employeur est redevable en droit commun et sur les réductions auxquelles il peut prétendre pour chacun de ses salariés. Ce mode de calcul serait sans doute plus lisible pour les employeurs que les formules actuellement appliquées ; cela étant, il nécessiterait de calibrer le dispositif afin d'éviter les reversements au bénéfice des employeurs – car en mettant en place un système comportant l'établissement de chèques de remboursement, on entrerait dans une tout autre logique, celle des aides à l'emploi.

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