Intervention de Paul Zagamé

Réunion du 17 juillet 2014 à 11h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Paul Zagamé, directeur scientifique de Seureco-ERASME :

Nous vous remercions de permettre à Seureco-ERASME de présenter ses travaux, effectués à la demande du ministère de l'économie et plus précisément de la DGCIS.

Vous remarquerez une petite divergence d'appréciation entre l'OFCE et Seureco-ERASME sur les effets du CICE, qui s'explique notamment par l'utilisation de modèles différents. Nous avons eu recours à NEMESIS, un modèle économétrique élaboré par un consortium européen au cours d'un processus où nous avons joué le rôle de coordinateur. Ce modèle est assez semblable, du moins à court et moyen terme, à celui utilisé par l'OFCE et au modèle MESANGE utilisé par la Direction générale du Trésor. Il se caractérise cependant par deux spécificités : d'une part, il est sectoriel et détaillé – trente secteurs d'activité sont analysés séparément ; d'autre part, ce n'est pas simplement un modèle économétrique dit keynésien, mais un modèle prenant en compte, sur le long terme, des propriétés d'offre basées sur le renouveau des théories de la croissance, du progrès technique et des investissements réalisés dans ce domaine – je pense notamment aux investissements en recherche et développement, ainsi qu'aux nouvelles technologies de l'information et de la communication –, ce qui ouvre la possibilité d'infléchir à long terme le taux de croissance de l'économie par des politiques d'innovation. Ces propriétés dites de croissance endogène, mises en évidence par les travaux de la United Nations University - Maastricht Economic and Social Research Institute on Innovation and Technology (UNU-MERIT), sont d'une importance telle que l'on considère qu'elles ont renouvelé les théories de la croissance.

L'équipe de Seureco-ERASME est partie du principe selon lequel le CICE devait être considéré comme une baisse du coût du travail – nonobstant certaines subtilités relatives à l'étalement de ses effets dans le temps – et s'est interrogée sur les réactions possibles des entreprises face à cette baisse. Cinq réactions peuvent être envisagées : l'entreprise peut baisser ses prix de production, donc accroître sa compétitivité ; elle peut embaucher, c'est-à-dire procéder à une substitution capital-travail ; elle peut accroître ses marges de profit et affecter les sommes ainsi dégagées soit à l'investissement, soit à la distribution de dividendes ; enfin, elle peut augmenter les salaires de ses employés, ce qui se fait à l'issue de la négociation qui s'instaure pratiquement à chaque fois que la mise en oeuvre d'une politique se traduit par l'amélioration de la situation de l'emploi.

Le problème de NEMESIS – en réalité, celui de la plupart des modèles –, c'est qu'il ne décrit pas tous les comportements, en particulier ceux relatifs à l'investissement et à la distribution de profits. En effet, dans un modèle de moyen et long terme, l'investissement est nécessairement une relation technique entre la production, la demande et le coût des facteurs de production, où l'investissement peut simplement faire l'objet d'une modulation de son échéancier, sans que l'augmentation des profits se traduise par une augmentation de l'investissement. C'est l'une des différences entre NEMESIS, modèle annuel, et le modèle utilisé par l'OFCE, à dimension trimestrielle. Seureco-ERASME a donc dû bâtir des scénarios complémentaires allant au-delà du comportement spontané prévu par le modèle.

Le scénario le plus spontané du modèle est celui dans lequel le taux de marge sur les coûts est considéré comme une constante, la baisse de coût étant intégralement répercutée sur le prix de production : si les coûts de production diminuent de 3 %, le prix baisse de 3 %. Le deuxième effet spontané du modèle est l'embauche par effet de substitution à la baisse de coût du travail dans la fonction de production. Enfin, le troisième effet consiste en une augmentation des salaires réels à moyen et long terme ; cet effet important sur la courbe des salaires procède d'une sorte d'indexation des salaires sur la réduction du chômage.

Ce premier scénario fait apparaître, à l'horizon 2022, des effets positif sur l'emploi – plus 337 000 –, le produit intérieur brut – plus 0,66 % – et le solde extérieur en valeur – plus 0,32 point de PIB, soit environ 7 milliards d'euros, ce qui correspond à peu de chose près aux chiffres de l'OFCE. En revanche, les estimations de Seureco-ERASME et de l'OFCE divergent au sujet des effets sur l'emploi et le PIB. Selon le modèle NEMESIS, le premier scénario a pour effet d'augmenter le solde extérieur en valeur de 0,18 point de PIB, et le PIB en volume de 0,08 %. Autrement dit, on devrait assister, dans les premières années de mise en place du CICE, à une baisse de la consommation due au fait que le dispositif est financé par trois sources, à savoir l'augmentation de la TVA – passée de 19,6 % à 20 %, et de 7 % à 10 % – pour 7 milliards d'euros, la mise en oeuvre d'une taxe écologique pour 3 milliards d'euros – ce qui représente environ 14 euros par tonne de CO2 –, et une réduction des dépenses publiques de l'ordre de 10 milliards d'euros, touchant à la fois l'investissement des administrations publiques, les demandes de consommation intermédiaire de ces administrations, mais également les prestations sociales – la masse salariale du secteur public restant inchangée. La baisse de pouvoir d'achat va se traduire par une diminution de la demande intérieure, ce qui fait que la consommation va ralentir. Il en sera de même pour l'investissement, du fait d'une substitution capital-travail en faveur du travail.

Pour en revenir aux chiffres de 2022, un solde extérieur en valeur en augmentation de 6 ou 7 milliards d'euros est beaucoup plus important, en termes de compétitivité, lorsque le PIB en volume est en augmentation de 0,66 % que lorsque cette augmentation n'est que de l'ordre de 0,2 % – car, mécaniquement, la croissance du PIB induit des importations qui vont nuire au solde extérieur. Dans la situation qui nous intéresse, le fait que l'augmentation du PIB soit très supérieure à l'amélioration du solde extérieur montre que les agents intérieurs, notamment les ménages, ont récupéré sur la période 2015-2022 l'intégralité de la perte de pouvoir d'achat subie dans les suites immédiates de l'introduction du CICE.

Dans un modèle de ce type, chaque diminution du chômage se traduit par une impulsion sur les salaires s'expliquant par les mécanismes de l'économie dite moderne, qui veulent que des renégociations salariales aient lieu dès que des profits sont enregistrés. L'élasticité du taux de croissance du salaire par rapport au niveau de chômage va se trouver diminuée de moitié : à la fin de la période considérée, on ne va pas constater de perte de pouvoir d'achat des ménages, mais la récupération sera plus lente. Si les résultats sont bien meilleurs sur l'emploi, c'est en raison d'un effet de substitution plus important, ainsi que des gains réalisés en matière de productivité.

En fait, trois élasticités différentes – celle portant sur la demande de travail, l'élasticité volume-prix du commerce extérieur et l'élasticité de la courbe de salaire, c'est-à-dire de la récupération salariale – vont à elles seules déterminer le résultat en sortie de modèle.

L'élasticité du commerce extérieure est source d'insatisfaction car nous estimons, d'une manière générale, que les élasticités sont sous-estimées par les travaux économétriques qui, pour la plupart, relient les flux du commerce extérieur au prix – la demande mondiale restant constante dans les simulations. L'élasticité permet de calculer l'accroissement de l'export dû à la baisse de prix, l'effet « qualité » n'étant pas pris en compte à ce jour. Or, par le jeu de cet effet – l'Allemagne et les pays du nord le savent bien –, un bien de meilleure qualité, fruit de l'innovation, peut être vendu plus cher à l'extérieur. Il s'instaure ainsi une relation positive entre prix et flux de l'export, qui nuit à l'appréciation de la compétitivité-prix. Sur la question, nous avons fait faire une thèse qui va être prochainement soutenue, et avons bien l'intention d'introduire dans notre modèle ces nouvelles élasticités, plus fortes que les précédentes.

À cette première insatisfaction vient s'ajouter un deuxième regret, celui de voir les effets du CICE s'éroder progressivement au fil du temps. La chronique 2015-2022 montre deux phases : une première période de transition, difficile pour tout le monde, puis une période où les choses vont mieux, qui constitue généralement l'occasion de redistribuer ; mais si on laisse jouer le modèle jusqu'à l'infini, on s'aperçoit que plus le temps passe, moins le dispositif produit d'effets, la hausse des salaires finissant par avoir raison des gains de productivité. Cela me rappelle ce que l'on a observé dans les années 1980 à propos des effets des mesures de dévaluation sur la compétitivité. Lorsqu'on diminue le coût du travail et que l'on augmente la TVA, on pratique une « dévaluation fiscale », consistant à abaisser le coût du travail – les exportations n'étant pas concernées par la TVA. Or on a remarqué que toutes les dévaluations non accompagnées de mesures plus structurelles sont vouées à l'échec à plus ou moins brève échéance. Sur la base de variantes réalisées pour le compte de la Commission européenne, nous aurions souhaité – nous ne l'avons pas fait faute de temps, mais peut-être pourrons-nous le faire ultérieurement – tenter de combiner les effets du CICE à des investissements en matière de modernisation, donc de productivité, afin de déterminer de quelle manière les effets positifs du CICE pourraient être préservés dans le temps.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion