Intervention de Gilles Koléda

Réunion du 17 juillet 2014 à 11h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Gilles Koléda, chercheur au sein de l'équipe Seureco-ERASME :

Nous sommes tout disposés à étudier ces éléments pourvu qu'on nous le demande. En l'occurrence, notre mission consistait à analyser le dispositif du CICE. Le modèle NEMESIS est sectoriel : il comporte trente secteurs d'activité différents qui, en plus de l'agriculture, de la construction et des secteurs non marchands, comprennent dix-neuf secteurs industriels et huit secteurs dédiés aux services. Une présentation détaillant les résultats de chacun de ces trente secteurs n'étant pas envisageable, nous avons réagrégé certains secteurs pour former trois blocs de secteurs d'emploi : l'industrie, la construction et les services marchands. Sur les 20 milliards d'euros de CICE, l'industrie bénéficie de 4,3 milliards d'euros d'allégements, soit 21,4 % – ce qui représente plus que sa part en valeur ajoutée, mais exactement sa part dans la masse salariale ACOSS : elle ne paraît donc pas privilégiée par le dispositif. Si l'emploi est prioritairement créé dans l'industrie, c'est parce que les premiers effets du CICE consistent en une amélioration de la compétitivité : dans cette optique, l'industrie est amenée à embaucher lorsqu'elle gagne des parts de marché. Le secteur de la construction mobilise 1,9 milliard d'euros, tandis que les services marchands concentrent l'essentiel des crédits – 13,9 milliards d'euros, soit 69,3 %.

Je vais m'efforcer de répondre aux questions que vous avez posées à Seureco-ERASME en m'appuyant sur certains résultats de notre modèle. Pour ce qui est de l'effet du CICE sur la compétitivité des entreprises françaises par rapport à celle de leurs concurrents européens et non européens, il faut se pencher sur les détails de l'amélioration du solde commercial. Le diagramme ci-contre montre que sur les 7 milliards d'euros d'amélioration du solde commercial, 5 milliards d'euros environ, soit les deux tiers, se font au profit de nos concurrents européens.

Une autre question posée était celle de l'appréciation que Seureco-ERASME porte sur le ciblage du CICE ; en particulier, le dispositif bénéficie-t-il bien aux entreprises exposées à la concurrence internationale ?

Le tableau ci-contre montre que la masse salariale ACOSS représente environ 520 milliards d'euros, et que le salaire moyen en points de SMIC diffère assez nettement en fonction des secteurs – l'industrie offre un salaire moyen de 2, quand les services aux entreprises sont à 1,73, les services mixtes à 2,45, la construction à 1,45 et les services aux particuliers, qui emploient bon nombre de gens non qualifiées, à 1,25.

Le diagramme ci-contre montre que, dans la plupart des secteurs, le bénéfice du CICE occupe une juste part dans la masse salariale – même si certains secteurs très privilégiés par le dispositif d'allégements ciblés sur les bas salaires, tels la construction ou les services aux particuliers, vont bénéficier un peu moins que les autres du CICE.

Le diagramme ci-dessus reprend en abscisse le salaire moyen du secteur en points de SMIC et en ordonnée le taux d'extraversion du secteur – c'est-à-dire le rapport entre exportation et production. La taille des pastilles est proportionnelle à la masse salariale du secteur. On voit qu'il existe deux grands types de secteurs, correspondant chacun à deux ciblages possibles : si l'on souhaite cibler la compétitivité, il faut viser les secteurs industriels représentant entre 30 000 et 150 000 emplois – notamment la chimie, les biens électriques et la pharmacie – avec des salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC. Si l'on souhaite plutôt cibler l'emploi, il faut viser les secteurs où les salaires sont inférieurs à 1,6 SMIC, ce que l'on a fait avec les allégements Fillon.

Il ressort de l'examen de ces éléments que le ciblage du CICE est moyen : il tombe au milieu, ne privilégiant ni la compétitivité – 2,5 SMIC sont insuffisants pour cela – ni l'emploi. C'est, en fait, un consensus politico-social visant avant tout à être accepté du plus grand nombre – comme c'était également le cas du pacte de responsabilité, prévoyant 4,5 milliards d'euros pour les salaires inférieurs à 1,6 SMIC et autant pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC. Au demeurant, cette absence de ciblage n'a rien d'étonnant si l'on considère que, comme son nom l'indique, le CICE est destiné à favoriser aussi bien l'emploi que la compétitivité.

Il nous était également demandé de préciser ce que nous savions de l'effet du mode de financement choisi, en particulier sur le pouvoir d'achat des ménages et la consommation. Pour répondre à cette question, je m'appuierai sur des simulations auxquelles Seureco-ERASME a procédé la semaine dernière en vue de cette audition, et dont nous assumons l'entière responsabilité – la DGCIS en étant, quant à elle, totalement exonérée. Cela dit, les résultats de ces simulations vont dans le même sens que celles réalisées sous l'égide de la DGCIS en 2012 et évoquées tout à l'heure par Paul Zagamé – à la différence près que le contexte économique de 2014 s'est dégradé, ce qui fait que la base – en termes de population active et de PIB – et les résultats sont moins élevés.

Nous nous sommes posé, au préalable, une question sous-jacente, à savoir quel peut être l'effet de la baisse des dépenses publiques comme moyen de financement de ce type de mesures. Les pouvoirs publics ont souvent hésité, au cours des années précédentes, entre une hausse portant sur la TVA et une augmentation de la CSG – parfois même de la taxe écologique. Ce qu'il y a eu de nouveau avec le CICE, c'est l'idée selon laquelle on pouvait peut-être répartir son financement entre une hausse des taxes et une réduction des dépenses publiques. Le scénario d'un CICE financé pour moitié par des hausses de TVA et pour moitié par des baisses de dépenses publiques montre qu'en 2022, on aurait un PIB en volume de 1,06 %, 316 000 emplois et un solde extérieur en valeur à 0,28 point de PIB. Un tel scénario se révèle moins inflationniste que d'autres, puisqu'il n'y a pas de report de la hausse de la fiscalité sur les prix ceux-ci s'affichant à moins 1,45 % en 2022. Le consommateur national se retrouve donc, en dépit de la hausse limitée de TVA et de la réduction d'un certain nombre de prestations sociales, avec un pouvoir d'achat relativement préservé dans la mesure où les prix à la consommation restent très bas.

Ce scénario est à comparer avec celui d'un CICE entièrement financé par des hausses de TVA : dans ce cas, il apparaît que les prix à la consommation sont un peu plus orientés à la hausse, et que la consommation, donc le bien-être des ménages, est un peu en deçà de ce que l'on obtient en finançant une partie de la mesure par des réductions de dépenses publiques. Seureco-ERASME considère donc qu'il est préférable que le CICE soit financé en partie par des baisses de dépenses, un tel mode de financement, moins inflationniste, semblant assurer une plus grande pérennité du système.

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