Intervention de Xavier Timbeau

Réunion du 17 juillet 2014 à 11h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Xavier Timbeau, directeur du département « Analyse et prévision » à l'Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE :

Cette question est très importante, d'une part parce qu'elle exprime une incertitude, d'autre part parce que nous renvoie à une problématique de méthode. De ce point de vue, les travaux qui avaient été conduits par le Haut conseil du financement de la protection sociale, mais aussi ceux effectués par la DGCIS, revêtent une grande importance, car ils sont susceptibles de nous permettre de comprendre ces différences ainsi que de déterminer leur origine. Aux raisons citées par Paul Zagamé, j'en ajouterai une quatrième : les gains de productivité pouvant être obtenus grâce aux crédits « recherche et développement » – étant précisé qu'il s'agit là plutôt d'un effet de long terme.

La DG Trésor n'a pas rendu publique son évaluation, mais je crois savoir qu'elle est plus basse que la nôtre. Celle de l'OFCE est un peu plus élevée, et celle de Seureco-ERASME l'est encore davantage. Je conçois qu'un écart de 30 % entre deux évaluations puisse poser problème aux décideurs publics mais je ne suis pas d'accord avec Paul Zagamé quand il affirme que nous nous interdisons de comparer nos résultats : en réalité, nous le faisons souvent, et les divergences ne sont pas rares… Nous devons rester modestes et, quand nous ne disposons pas d'éléments de preuve incontestables, ne pas hésiter à rappeler qu'il ne s'agit que d'estimations – ce que les Anglais appellent educated guess – et non de certitudes.

À mon sens, le principal problème vient de la notion d'élasticité du travail à son coût, en particulier du profil de cette élasticité. J'espère que la DG Trésor me pardonnera de parler de son travail en son absence, mais je me souviens qu'au sujet de l'impact de l'augmentation d'un point du SMIC, en recourant à la même modélisation et en ayant neutralisé tous les autres effets, le simple fait de ne pas prendre la même base concernant l'élasticité du travail à son coût et la diffusion de l'augmentation du SMIC à la distribution des salaires avait conduit à obtenir deux résultats variant du simple au triple, à savoir la perte de 50 000 emplois pour la DG Trésor, quand l'OFCE concluait à une perte de 15 000 emplois.

Au demeurant, cela n'a rien d'étonnant quand on sait que ce paramètre n'est pas basé sur des évaluations empiriques solides. Les économistes Cahuc et Carcillo retiennent une évaluation très forte de cette élasticité, alors que l'OFCE se réfère à des évaluations beaucoup plus prudentes basées sur des raisonnements macroéconomiques, ayant constaté que prendre pour base de calcul l'évaluation de Cahuc et Carcillo aboutirait à des résultats « délirants ». Il faut savoir que, si au lieu de retenir une valeur de 0,4 pour l'élasticité du travail à son coût, on retient une valeur de 0,45, cela se traduit par une différence de l'ordre de 10 %, sur l'évaluation de l'impact d'une mesure sur l'emploi – une différence qui peut se trouver encore amplifiée si l'on examine un profil d'emploi spécifique.

Je veux également évoquer la question de l'évolution des salaires lors de la mise en place d'un dispositif tel que le CICE. Les salariés parviennent-ils à récupérer, notamment par le jeu de la négociation, la baisse du coût du travail induite par une baisse des charges sociales ? Au contraire, adhèrent-ils à l'idée d'un pacte les conduisant à renoncer à récupérer à leur profit la marge que les entreprises se voient offrir au niveau du coût du travail par la mise en oeuvre du CICE ? Parmi les éléments entrés en considération pour limiter l'assiette du CICE aux salaires n'excédant pas 2,5 SMIC figurait l'idée qu'à partir de ce niveau de salaire, la part des baisses de charges sociales récupérée par les salariés est censée être plus élevée – du fait que le marché du travail est, pour les salariés concernés, beaucoup plus concurrentiel et se caractérise par un taux de chômage beaucoup plus bas. C'est ce qui a conduit à cibler le CICE sur les salariés de l'industrie percevant moins de 2,5 SMIC et qui n'ont pas un grand pouvoir de négociation. Si de tels éléments peuvent sembler peu importants à première vue, leur intégration dans les modélisations se traduit pourtant par des effets significatifs en termes d'impact sur l'emploi. Plutôt que de chercher à savoir si l'une de nos méthodes d'évaluation est meilleure que les autres, nous devons avoir constamment à l'esprit que les simulations auxquelles nous procédons sont faites à partir de paramètres comportant parfois une grande marge d'incertitude.

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