Intervention de Antoine Leboyer

Réunion du 8 juillet 2014 à 15h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Antoine Leboyer, président-directeur général de GSX Solutions :

Madame la vice-présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir. Je vous remercie surtout de donner la parole au dirigeant d'une entreprise de 40 personnes, qui sont des personnes qui ne sont pas suffisamment entendues.

Mon objectif est double : présenter le cas concret de quelqu'un qui n'avait aucun a priori à l'encontre de la France et qui, à la suite d'une expérience que je vais vous décrire, a été amené à prendre beaucoup de recul. Mais plus généralement, à partir de ce cas concret, je voudrais vous montrer pourquoi il me semble absolument indispensable que soit revu en profondeur le fonctionnement du contrôle fiscal en France.

Ma présentation portera sur trois points : le contexte ; le contrôle fiscal que mon groupe et moi-même avons vécu ; les solutions très concrètes que je vous encouragerai à mettre en pratique.

Premièrement, le contexte.

Mon entreprise a été, en effet, créée en 1995. Son fondateur, un Français, était en mission à Zürich auprès d'une grande entreprise d'assurances. Ayant identifié un problème et imaginé une solution, il a créé à Nice une entité destinée à prendre en charge la réalisation de son projet. Mais ayant rencontré une Suissesse, il a décidé de rester en Suisse. De mon côté, en 2007, j'ai voulu faire l'acquisition d'une entreprise dans un domaine que je connaissais, celui des logiciels ; voilà pourquoi j'ai choisi de racheter GSX sans que sa localisation en Suisse ait eu une quelconque influence sur ce choix. Nous ne correspondons donc, ni l'un ni l'autre, à la définition classique des exilés fiscaux et nous n'avons, ni l'un ni l'autre, de préjugés négatifs vis-à-vis de notre pays. La meilleure illustration en est que nous avons embauché une quarantaine de Français.

Une quarantaine de personnes travaillent donc actuellement chez GSX. Notre chiffre d'affaires n'est que de 6 millions d'euros, ce qui est très peu, mais s'explique par la modestie du marché auquel nous nous adressons. En revanche, nous sommes les leaders de ce marché, s'agissant de la mise à disposition de solutions pour aider les entreprises à gérer leur système de messagerie. Nous sommes présents dans quarante pays. Nous avons six cents clients fidèles et prestigieux, et nos produits ont reçu de nombreuses accolades techniques. Et je me permets de préciser que la Harvard Business School, dont je suis un ancien, enseigne en deuxième année un cas « Antoine Leboyer and GSX » sur les stratégies que j'ai mises en place. Je ne dis pas cela pour vanter mes mérites ou ceux de mon groupe, mais pour montrer le contraste avec l'opinion que l'administration française peut avoir de nous.

Deuxièmement, le contrôle fiscal.

En janvier 2010 ; GSX a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. Les conclusions ont été que GSX a un établissement stable en France. On considère qu'il y a établissement stable quand une filiale possède, en fait, les capacités d'engager la maison-mère – ce qui n'est pas conforme à l'organisation mise en place. Un redressement pour établissement stable permet à l'administration fiscale d'un pays d'« envahir » le pays de la maison-mère et, en l'occurrence, de récupérer des impôts sur une base taxable qui n'était pas la base taxable française stricto sensu. Mais on ne peut établir qu'il y a établissement stable que par une étude fonctionnelle, précise et rigoureuse pour comprendre, de façon détaillée, qui fait quoi ; cela demande du travail et des compétences.

Il est tout à fait normal que l'administration fasse des vérifications de comptabilité sur établissement stable ou sur tout autre sujet. Il est tout aussi normal que l'administration se fasse une opinion et que je puisse ne pas être d'accord.

Alors qu'un tel contrôle requiert un travail sérieux, ce qui m'a surpris est que j'ai eu quatre niveaux d'interlocuteurs : les interlocuteurs locaux à Nice ; la direction régionale à Marseille ; sur ma demande, le service du contrôle fiscal du ministère des finances à Bercy ; enfin, de façon un peu exceptionnelle, une autre équipe de Bercy a examiné mon dossier. Or, à tous les niveaux, j'avoue avoir été déçu : les faits n'ont pas été appréciés comme ils auraient dû l'être, et l'analyse fonctionnelle a été, je le pense, inexistante.

Des erreurs, portant sur les faits, ont été commises, avant d'être progressivement reconnues. Il pouvait s'agir des faits les plus simples, comme la date de mon arrivée en Suisse. Après que mes dossiers ont été regardés par une douzaine de personnes et cinq niveaux hiérarchiques différents, trois ans et demi après que le contrôle a commencé, des erreurs de ce type subsistaient. Mais d'autres erreurs portaient sur des éléments bien plus importants. Par exemple, l'ancien directeur du contrôle fiscal a écrit que c'était le gérant de la France qui pouvait faire des opérations sur les comptes bancaires en Suisse. Pourtant, nous avions produit une attestation, signée de tiers, montrant que ce n'était pas le cas. De façon générale, les faits les plus élémentaires ont mal été appréciés à tous les niveaux.

Par ailleurs, l'analyse fonctionnelle m'a paru très indigente. Sur l'ensemble de la période visée par le contrôle fiscal, nous avons fourni des centaines de documents probants : emails, attestations de tiers, prouvant que c'était le fondateur, puis moi-même, qui avions la mainmise sur les décisions fondamentales de l'entreprise : fixation des prix, approbation des conditions juridiques, définition du plan produit, suivi des clients lors des phases techniques, approbation des processus budgétaires, embauches et renvois. Mais je n'ai jamais eu l'occasion de discuter de façon approfondie à propos de cette masse de documents.

Que ce soit à Nice, à Marseille ou à Bercy, l'administration a estimé que l'entrepreneur principal était la gérante de l'entité française, c'est-à-dire la mère du fondateur, ancienne pâtissière ne parlant pas l'anglais, et non pas son fils, le fondateur, qui sort de Polytechnique et moi-même, qui sort de Supélec et de Harvard. Sans doute existe-t-il un cours à l'ENA où l'on explique aux élèves que les pâtissières françaises peuvent diriger des groupes informatiques ? Quoi qu'il en soit, on ne m'a jamais opposé de documents de qualité prouvant que cette dame, au demeurant fort sympathique, avait pu créer un groupe informatique qui a aujourd'hui six cents clients et qui est présent dans quarante pays.

Malgré tout, depuis 2010, les montants du redressement qui ont été notifiés à mon groupe ont fondu.

L'analyse locale, qui avait été basée sur une perquisition – davantage de gendarmes armés et d'employés du contrôle fiscal que d'employés de GSX – a conclu, au bout de deux ans qu'il y avait établissement stable. J'ai été redressé sur un montant de 18 millions d'euros, soit trois fois notre chiffre d'affaires – 6 millions, l'équivalent d'une grosse pharmacie ou d'une grosse boulangerie. Cela revenait à me mettre en faillite.

Je suis allé à Marseille, sans obtenir de modification. Je suis allé à Bercy. Dans un premier temps, l'administration a conclu, sans le justifier, qu'il n'y avait rien sur la partie américaine et que mon redressement ne serait plus « que » de 15 millions d'euros, soit encore 2,5 fois notre chiffre d'affaires.

J'ai contacté Mme Schmid et le député de Villeneuve-Loubet, qui ont eu la grande gentillesse de demander que le dossier soit regardé par le ministre du redressement productif et l'ancien ministre du budget. Je crois, madame, que vous avez reçu confirmation, de la part du staff de ces ministres, que le dossier allait en effet être étudié.

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