Intervention de Jean-Jacques Guilbaud

Réunion du 9 juillet 2014 à 17h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général du groupe Total :

Dans les localisations que je viens de citer, en particulier en Europe, il y a des activités amont de gaz et de pétrole de schiste.

Dans le secteur du raffinage et de la chimie, nous employons près de 53 000 personnes ; dans le secteur du marketing service, le secteur qui assure la distribution de nos produits pétroliers, 32 000 ; dans les énergies nouvelles, presque 7 000 personnes. Total est devenu en effet un des leaders mondiaux de l'énergie solaire, avec deux usines en France qui emploient 300 personnes.

La localisation de ces ressources humaines est dictée par la géologie, l'activité d'exploration-production et, bien sûr, les conditions contractuelles qui nous sont faites par les États ; les conditions économiques comme fiscales sont évidemment prises en compte dans la rentabilité des projets.

Soyons clairs : c'est la disposition de la ressource qui est à la base de ces implantations. Le raffinage-pétrochimie, lui, est sans doute beaucoup plus dépendant de la demande et de la croissance. Cela signifie qu'il y a des zones dans le monde dans lesquelles nous sommes en croissance, et d'autres où les activités le sont moins.

J'en profite pour aborder un sujet qui a parfois fait l'objet de critiques et de polémiques, à savoir notre présence dans la raffinerie de Jubail, en Arabie saoudite. Certains nous ont en effet reproché d'investir dans des zones concurrentes de nos zones de production en Europe et d'accroître, par voie de conséquence, les difficultés de ces dernières. Mais il faut tout de même comprendre que l'Arabie saoudite n'a pas besoin de nous quand elle décide de construire une raffinerie, dans la mesure où elle produit un peu plus de 11 millions de barilsjour !

La totalité de la production des Majors (ExxonMobil, Shell, BP, Chevron Texaco et Eni), représente moins de 10 % de la production mondiale. 90 % de la production mondiale sont assurés, soit par des sociétés nationales, soit par des sociétés indépendantes. La Saudi Aramco, la société avec laquelle nous sommes associés dans cette raffinerie, produit davantage de pétrole que la totalité des Majors. Donc, quand un grand pays du Moyen-Orient décide d'implanter une raffinerie et de s'associer avec un producteur de pétrole occidental, il est clair que celui-ci a le choix, soit de laisser Exxon prendre la place, soit d'essayer d'être présent et d'ouvrir une coopération avec ce grand pays pétrolier. C'est ce que nous avons fait, et nous nous en félicitons. Le projet est en très bonne voie et nous sommes confiants pour l'avenir.

L'activité de distribution est beaucoup plus dépendante des marchés. C'est toujours une présence directe avec une filiale, soit une présence indirecte où l'on distribue des produits. Je précise que Total est le premier distributeur en Afrique, avec une présence dans 53 pays, et près de 4 500 stations service.

La stratégie du groupe à l'étranger est donc dictée par l'état des ressources, l'état de la demande et la croissance.

J'aborderai maintenant rapidement quelques cas de délocalisation, puisque c'est l'objet de cette commission.

De fait, nous avons délocalisé à Londres une partie de notre direction financière. C'est une opération assez modeste, puisqu'elle ne concerne que 80 personnes, essentiellement affectées à la communication financière et à la trésorerie. Il faut dire que Londres est la place où il faut être lorsque l'on s'occupe de finances dans le monde pétrolier – 80 % des analystes sont à Londres et ne sont pas, ou plus, à Paris. Le pétrole est coté en dollars et Londres est le centre financier du dollar en Europe.

La principale place de cotation pour Total reste toutefois Paris, et ce transfert n'a absolument pas diminué la matière imposable pour la France. Donc, en termes d'organisation, ce n'est pas un évènement fiscal ou financier. C'est un événement lié à l'importance de la place de Londres par rapport à celle de Paris concernant le marché pétrolier.

Ensuite, nous avons délocalisé à Singapour une direction de l'amont pour l'Asie. La raison est simplement d'ordre géographique. Toutes les grandes places asiatiques étant à 20 heures d'avion de Paris, avec des décalages horaires considérables, il est bien préférable que l'équipe de direction soit beaucoup plus proche de ses différentes localisations, à seulement quelques heures d'avion de Brisbane, Pékin ou de New Delhi.

Plus largement, tous les grands projets pétroliers ont une dimension parfaitement internationale. Lorsque l'on monte un grand projet pétrolier, l'idée que l'on va localiser ce grand projet dans une capitale est totalement dépassée, quel que soit le groupe pétrolier. L'engineering est souvent partagé entre Houston, Tokyo, la Corée, Oslo ou Paris, qui continue à être une place importante pour l'engineering, et les modules peuvent être construits pour une part en Thaïlande, pour une part en Corée, pour une part en Chine, etc. Même pour la même installation, il arrive que les différents modules soient sous-traités dans différentes places. De fait, on s'approvisionne dans tous les continents. Très récemment, nous avons mis en production un très gros projet en Angola, le projet CLOV, qui répond exactement à ce type d'organisation, et qui nous permet de développer 160 000 barilsjour nouveaux et de les apporter aux marchés. De la même manière, dans le marketing service, une équipe a été implantée à Panama, simplement pour être plus près des marchés, des clients et des organisations.

J'en viens à notre organisation, du point de vue des ressources humaines.

À peu près 65 % de nos personnels cadres sont de nationalité autre que française. Dans notre groupe, nous insistons beaucoup sur la diversité. Il faut que le management reflète cette diversité. Je remarque tout de même que ce qui est vrai pour les managers ne l'est pas suffisamment pour les dirigeants.

Nous avons aujourd'hui 3 000 expatriés français dans le monde, qui participent au rayonnement de la France ; il ne s'agit pas d'exil fiscal, mais plutôt de rayonnement technique et managérial à l'étranger. Nous avons par ailleurs 1 500 expatriés d'autres nationalités que française un peu partout dans le monde, dont 700 en France, qui viennent, soit pour des développements de carrière, soit pour de la formation. Tout un ensemble de statuts nous permettent de régler ces problèmes d'expatriation.

Passons à l'attractivité de la France, en particulier pour les cadres internationaux de haut niveau. Je précise que sur ces niveaux de compétences, les ressources humaines sont totalement internationales. Aujourd'hui, nous recrutons, dans plus d'une centaine de pays dans le monde, 10 000 personnes par an, dont 2 000 cadres : 500 en France et 1 500 à l'étranger, avec des formations très diverses. Par ailleurs, il y a une véritable compétition internationale pour l'accès à la ressource humaine, s'agissant en particulier des cadres de haut niveau. Il est clair que lorsque nous devons recruter des cadres non français à l'international, nous nous heurtons assez vite à des problèmes de fiscalité et de systèmes de retraite – qui sont moins incitatifs. Les cadres internationaux comparent, notamment, la fiscalité sur les stocks options ou les actions de performance.

Donc, Total n'est pas un facteur d'exil des Français dans le monde. Je pense qu'il est bien plus une source de rayonnement de la France à l'étranger grâce à ses investissements, à sa technique et à ses expatriés. Nous entraînons beaucoup de compagnies françaises dans le cadre de ces activités à l'étranger, et nous restons un acteur très important en France : 5 raffineries, 38 000 salariés. Nous versons près de 3 milliards de salaires en France, dont un peu plus d'un milliard de charges sociales. Nous sommes un très gros donneur d'ordre. Nous achetons plus de 6 milliards de biens et de services en France. Notre R & D est très présente en France – la moitié de celle du groupe, dans sept centres de recherche – et nous dépensons pour elle 500 millions d'euros en France.

Enfin, nous sommes acteurs des territoires. Total Développement Régional, qui n'est pas très connu, que nous avons créé il y a une vingtaine d'années, est une filiale chargée d'aider les PME-PMI, à la fois à exporter à l'étranger et à créer ou conforter de l'emploi. Elle fonctionne très bien et a un assez grand rayonnement auprès des PME-PMI. Sur les dix dernières années, nous avons dû aider un millier de PME-PMI, et sans doute aidé à créer ou conforter 10 000 emplois au sein de celles-ci. Nous avons un portefeuille global de 500 PME que l'on aide, soit à l'exportation, soit par des systèmes de prêts.

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