Intervention de Serge Boscher

Réunion du 9 juillet 2014 à 16h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Serge Boscher, directeur général de l'Agence française pour les investissements internationaux, AFII :

La problématique qu'étudie votre commission d'enquête n'est pas au coeur des préoccupations de l'agence que je dirige, laquelle a pour mission d'attirer en France les investissements étrangers créateurs d'emplois. Nous pouvons toutefois faire part de notre appréciation « en miroir ».

La question posée est celle des talents. Dans notre économie moderne, postindustrielle, les facteurs d'attractivité sont de plus en plus liés aux talents et à l'écosystème dans lequel ils évoluent. L'importance croissante des activités de services rend la matière grise de plus en plus nécessaire. Or la capacité de la France à se différencier des autres pays grâce à ses talents est une clef de la réussite. Ainsi, nous n'avons jamais eu autant de décisions d'investissements étrangers en matière d'innovation – recherche et développement (R&D), ingénierie, design – qu'en 2013, où leur nombre a augmenté de 32 % par rapport à 2012. On nous concède donc un réel avantage comparatif. La qualité de nos ingénieurs est reconnue par les investisseurs étrangers que nous rencontrons chaque jour, lesquels connaissent bien les politiques publiques mises en place – les pôles de compétitivité et un crédit d'impôt recherche qui, d'après le cabinet d'audit KPMG, est le meilleur d'Europe. Il ne s'agit pas seulement d'être bons, mais d'être – ou de paraître – meilleurs que les autres.

Chaque année, l'AFII fait au Gouvernement des recommandations concernant des mesures destinées à améliorer l'attractivité de la France pour les talents étrangers : c'est ainsi qu'ont été mis en place les titres pluriannuels de séjour pour les dirigeants et les salariés étrangers. Le 17 février 2014, le Conseil stratégique de l'attractivité a décidé la création d'un « passeport talent », pris des dispositions pour faciliter l'accueil et l'accès au travail des étudiants étrangers, ou pour accélérer la délivrance du numéro de sécurité sociale.

Parallèlement, nous organisons une conférence annuelle des dirigeants français d'entreprises étrangères. Nous en avons repéré quelque 240 qui occupent des postes stratégiques – présidents-directeurs généraux, patrons de branche ou de filiale – en France ou à l'étranger. La première conférence, en août 2013, a réuni cinquante et un de ces Français en présence de trois ministres. La deuxième aura lieu le 29 août prochain à Bercy, où nous escomptons en accueillir au moins soixante. Nous souhaitons faire d'eux des relais de notre action : dans le processus de décision, un Français plaide généralement en faveur de son pays d'origine. Nos compatriotes à la tête de filiales françaises de groupes étrangers nous aident beaucoup pour des projets d'investissements qui, dans une situation de compétition, sont très mobiles. Nous avons donc identifié la question des talents français à travers une action d'influence.

Certains territoires veulent tirer parti de nos talents exilés et vont les chercher à l'étranger pour les convaincre de revenir en France : ce sont, en général, des personnes qui, ayant passé cinq à dix ans hors de nos frontières, aspirent à retourner au pays. Ainsi, dans le cadre du programme « Home Sweet Home », les équipes de Provence promotion – agence de développement économique créée il y a plusieurs années par la métropole marseillaise – se rendent dans la Silicon Valley pour tâcher de convaincre les Français qui y travaillent de venir poursuivre leur aventure entrepreneuriale en Provence. Plusieurs dizaines d'entre eux ont franchi le pas.

Chaque année, un baromètre TNS-Sofres mesure la perception de l'attractivité de la France par les investisseurs étrangers. Ces chiffres alimentent le rapport annuel que nous remettons au Gouvernement et dont les recommandations sont confidentielles. En 2013, on compte 685 décisions d'investissement étranger créateur d'emplois en France. Après un record de près de 800 décisions en 2010, leur nombre s'est stabilisé autour de 700 décisions depuis 2011 – ce qui, dans un contexte de stagnation économique et de concurrence exacerbée, constitue une performance. Nos amis allemands et britanniques ne nous font en effet aucun cadeau : nous sommes en situation de guerre économique pour accueillir l'emploi et la valeur ajoutée. La tendance est positive, puisque, il y a dix ans, le nombre de décisions se situait plutôt autour de 550 à 600.

L'enquête ne rassemble pas seulement des données objectives, elle comporte aussi un volet qualitatif, qui trahit un problème de communication : c'est dans les grands pays émergents – qui représentent 11 % des investissements en France en 2013 – que notre déficit d'image est le plus important. Si nous avons toujours une bonne image du point de vue culturel ou gastronomique, nous n'y sommes pas toujours connus – même dans les milieux d'affaires – comme la cinquième puissance économique du monde, comme le pays en Europe qui compte plus de grandes entreprises parmi les 500 plus grandes entreprises mondiales que le Royaume-Uni ou l'Allemagne. C'est pourquoi l'AFII, mandatée par le Gouvernement, a mené une politique de communication destinée à réduire l'écart entre la réalité et sa perception.

Pour ce qui concerne nos deux grands clients, nous constatons en 2013 une baisse d'environ 20 % des investissements américains et une baisse plus légère, de l'ordre de 6 %, des investissements allemands. Ces données nous invitent à une certaine vigilance, puisque ces pays comptent pour un tiers des projets d'investissement étranger en France contre 40 % pour les années précédentes, à raison de 17 à 18 % pour les Allemands et de 22 à 23 % pour les Américains. Cette inflexion est corroborée par les résultats de notre sondage de 2013 : la perception de l'attractivité de notre pays est en baisse nette chez les investisseurs allemands et subit un tassement chez les Américains.

Ces observations justifient une politique de communication très offensive, avec une forte implication du Gouvernement et du chef de l'État qui, le 17 février dernier, a réuni le Conseil stratégique de l'attractivité pour la première fois sous son quinquennat – cet organisme n'avait été réuni qu'une fois, en 2011, et sous la présidence du chef de l'État, les autres réunions ayant été présidées par le Premier ministre. Cette réunion s'est tenue à la suite d'un déplacement du Président aux États-Unis, en particulier dans la Silicon Valley : les entreprises des pays émergents sont, en effet, attentives à la direction que prennent les investissements américains.

La dernière de nos campagnes de communication, fondée sur l'innovation – « Say oui to France, say oui to innovation » –, a été engagée, à la fin de 2012, par Mme Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique, et s'est terminée fin 2013. Dans la continuité, l'initiative « French Tech », lancée par Mme Pellerin, a été reprise par M. Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, et Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. Par ailleurs, des travaux sont menés sur la « marque France ». Il s'agit de diffuser un récit économique clair, une image fidèle de notre pays, puissant sur les plans scientifique et économique.

Il importe également d'améliorer l'environnement des affaires en France. Le rôle du Conseil stratégique de l'attractivité consiste à écouter les investisseurs étrangers, mais aussi à proposer et à prendre de nouvelles mesures. Nous sommes, je le répète, en guerre économique. Nous faisons en permanence l'objet de comparaisons de la part de nos concurrents, et nous-mêmes nous nous comparons sans cesse à eux. Nous ne devons accuser aucun retard et il nous faut rester très vigilants sur les « fondamentaux » : le cadre réglementaire, fiscal et social doit être aussi incitatif que possible. Dans cette optique, le dernier Conseil stratégique de l'attractivité a annoncé une vingtaine de mesures.

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