Monsieur Rodet, le Japon est le premier investisseur asiatique en France avec trente-cinq projets d'investissement en 2013. La Chine le talonne avec une trentaine de projets. En revanche, nous n'avons compté que deux projets d'investissement coréens. Nous souffrons auprès des Coréens d'un réel problème d'image en termes de flexibilité sociale. C'est d'autant plus dommage que ce pays est très puissant en matière d'innovation – 3,7 % de son produit intérieur brut est consacré à la R&D, soit le plus important taux d'Asie, et peut-être du monde, après Israël. Présente en France avec seulement quarante entreprises, la Corée fait partie de nos priorités : c'est une terre de conquête et nous devons redoubler d'effort pour y corriger l'image négative qui est la nôtre. Or les effectifs de l'AFII sont limités. Même si, après la fusion avec Ubifrance, nous serons plus de 1 500, nous n'avons pour l'heure que quatre-vingt-dix personnes réparties dans les pays du G20, et notre présence en Corée est réduite. J'ai organisé, la semaine dernière, un club Corée avec l'ambassadeur de ce pays en France. Nous organisons de même des rencontres annuelles avec les dirigeants des filiales françaises des entreprises des grands pays émergents – Chine, Russie, Inde, Brésil – et du Japon. Cela nous permet de maintenir le contact avec la communauté d'affaires de ces pays en France – nous écoutons, mais nous passons également des messages.
En ce qui concerne les zones d'implantation, sur les 685 projets d'investissement, plus de 200 ont un caractère industriel et ont vocation à être réalisés non en ville, dans les grands parcs d'activité, mais dans les usines. D'après une étude interne que j'ai commandée, en 2012, plus de 20 % des projets ont été réalisés en zone d'aide à finalité régionale – AFR –, c'est-à-dire en dehors des grands parcs d'activité. Quant aux projets à forte valeur ajoutée – R&D et quartiers généraux –, ils ne concernent pas que les métropoles, et leur dispersion géographique est plus importante qu'on ne l'imagine : en 2013, treize régions différentes en ont accueilli.
Il m'est difficile de répondre à la question de Mme Schmid sur les motivations des Français qui partent à l'étranger, car, même s'il m'arrive d'en croiser, ceux que je rencontre dirigent des entreprises étrangères. La qualité de la main-d'oeuvre et de l'écosystème sont des éléments qu'ils citent souvent parmi nos points forts et qui expliquent le bon niveau d'attractivité du pays. Ce qui pose problème, c'est le manque de flexibilité : pour réaliser son projet, un investisseur veut être sûr de pouvoir ajuster ses effectifs en fonction du niveau d'activité. Or la France est perçue par les investisseurs étrangers comme insuffisamment flexible de ce point de vue ; si, avant la crise de 2007, cette souplesse était déjà considérée comme très nécessaire, elle est aujourd'hui un facteur-clef de l'attractivité. Au-delà de la perception de la fiscalité fluctuante et de la complexité des démarches administratives, c'est ce point-là qui peut constituer le principal obstacle, quand bien même la loi sur la sécurisation de l'emploi, en vigueur depuis le 1er juillet 2013, a apporté quelques avancées.
Vous avez raison, monsieur Premat : le travail sur l'image est très important, et il convient en effet d'oeuvrer à la simplicité en la matière. Or la France se complaît parfois dans une complexité qui est préjudiciable à son image… Le travail mené par M. Thierry Mandon, qui a pris le taureau par les cornes, va dans le bon sens. Les étrangers, souvent, ne comprennent pas notre pays. Dans cette guerre économique, nous devons affronter des gens très agressifs – tel le Premier ministre britannique – et nous devons nous-mêmes être beaucoup plus agressifs, dans le bon sens du terme. Les Coréens ou les Flamands que je rencontre ne sont pas des agneaux ! Si nous avons remporté le projet Kubota, c'est parce que nous avons battu les Allemands en demi-finale et les Néerlandais en finale, mais il a fallu que M. Arnaud Montebourg, l'AFII, l'Agence régionale de développement, les élus et le préfet joignent leurs forces : l'énergie dépensée a été considérable.
À ma connaissance, monsieur Sturni, la conférence des dirigeants français d'entreprises étrangères est une initiative qui nous est propre et qui n'a d'équivalent nulle part ailleurs. Nous l'avons créée avec le cabinet de conseil en communication et affaires publiques DZA, qui travaille également sur les investissements étrangers et fait le lien avec les filiales d'entreprises étrangères en France. Comme l'année dernière, trois ministres participeront cette année à la conférence : M. Fabius, M. Montebourg et Mme Pellerin. Cette première action d'influence très forte se situe à un bon niveau : celui des personnes qui décident, au sein des groupes étrangers, des investissements mobiles.
On compte 20 000 entreprises étrangères en France, il est donc difficile de traiter tous leurs dirigeants comme ils devraient l'être. L'AFII est en relation chaque année avec 5 000 entreprises étrangères dans le monde, dont une petite partie en France. Nos interlocuteurs – à raison d'une conversation d'une heure et demie chaque fois – nous parlent de leurs projets d'investissement. Si nous ne pouvons rencontrer tous ces dirigeants, nous maintenons le contact avec la communauté d'affaires grâce aux clubs que j'ai évoqués. Ainsi, à l'occasion du club avec la Corée, nous avons discuté avec des dirigeants coréens qui ont réussi en France et qui avouent avoir du mal à convaincre leurs compatriotes que la flexibilité du travail est possible dans notre pays. C'est donc le thème qui a été choisi pour le club Corée. Nous avons en outre fait intervenir un représentant du cabinet Gide dans le cadre du « club AFII ». Nous travaillons en effet avec des partenaires privés, manière pour nous de délivrer un message positif, puisque cette pratique de faire tandem avec un partenaire privé est très prisée dans certains pays.
M. Sturni m'a ensuite interrogé sur la répartition des décisions d'investissement étranger en France. Sur les 685 projets, en 2013, 341 étaient des projets de création, 260 d'extension et les autres de reprise. Quant à leur avenir au-delà de trois ans, la question n'est pas simple et nécessite des études ad hoc. Notre rapport, de la même manière que le cabinet EY, fait état du nombre d'emplois créés en l'espace de trois ans. Pour vérifier si les emplois envisagés sont réellement créés, nous menons des études ponctuelles. La dernière, il y a quelques années, montrait que, globalement, les objectifs étaient atteints, voire dépassés.
Souvent, les étrangers qui s'installent en France sont très contents : ils n'imaginaient pas que c'était aussi simple, qu'ils allaient pouvoir se développer ainsi. La difficulté, pour nous, est de les faire venir. Une fois en France, ils admettent qu'ils ne pensaient pas que les gens travaillaient autant – je rappelle que, selon Eurostat, les cadres français sont ceux qui travaillent le plus en Europe, à raison de quarante-quatre heures hebdomadaires, et que la productivité horaire de la main-d'oeuvre française est la plus forte en Europe après les pays du Benelux. Nos salariés ne sont pas des mercenaires. Le coût du chercheur aux États-Unis est plus élevé qu'en France : la guerre des talents conduit les chercheurs à se déplacer souvent, alors que, en France, une certaine continuité dans les activités de recherche peut être assurée. J'y insiste : notre main-d'oeuvre qualifiée est très appréciée des investisseurs étrangers. C'est pourquoi je suis optimiste : nous bénéficions de talents et d'un écosystème favorable.
M. Tetart, enfin, m'a interrogé sur la nature des entreprises qui investissent en France. Nous travaillons certes avec des fonds, mais de façon très marginale, quand ils rachètent des entreprises ou décident d'investir et qu'il y a des créations d'emplois à la clef. Nous travaillons donc essentiellement avec des entreprises qui s'implantent en France et créent de l'emploi. Pour elles, le principal facteur d'attractivité de la France, c'est le marché. Nous sommes le deuxième marché en Europe et nous serons bientôt le premier, dans vingt ou trente ans, grâce à une démographie plus dynamique que celle des Allemands. Nous avons également la chance d'être la première destination touristique du monde.
De plus en plus de petites entreprises s'installent en France – un tiers du total, en 2013, étaient en effet des PME. Dans une économie de valeur ajoutée, si vous êtes ambitieux, vous allez vous implanter à l'étranger. Quelqu'un qui travaille dans la haute technologie ira aux États-Unis. Mais c'est en France qu'ira notamment un Américain ou un Asiatique pour attaquer le marché européen – ou un Belge qui recherche un grand marché à côté de chez lui. L'investissement étranger en France n'est pas l'apanage des grandes entreprises : les start-up étrangères sont de plus en plus nombreuses à s'installer chez nous. Au total, en 2013, outre le tiers de PME déjà mentionnées, un tiers d'entreprises de taille intermédiaire et un tiers de grands groupes se sont implantés en France. Cela pose la question des talents, des petites équipes qui viennent en France et qui s'installent en tribus – à nous de faciliter leur installation.