Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 22 juillet 2014 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

J'étais venu le 30 avril dernier devant votre Commission, à l'invitation de son président, vous présenter le plan adopté par le Gouvernement afin de lutter contre le basculement d'un certain nombre de nos ressortissants dans le djihad en Syrie. J'avais alors insisté sur la menace très sérieuse que présentait pour la sécurité publique la présence de nombreux citoyens français, ou d'étrangers résidant sur le territoire national, parmi les combattants enrôlés par les groupes djihadistes les plus radicaux en Syrie. Je crois même avoir ajouté qu'aucun des chantiers de sécurité dont j'avais eu à connaître depuis ma prise de fonction ne présentait de risques aussi lourds pour notre pays.

Quelques semaines plus tard était arrêté à Marseille un jeune Français de retour de Syrie, Mehdi Nemmouche, soupçonné d'avoir commis le 24 mai l'attentat meurtrier contre le Musée juif de Bruxelles. Cet épisode venait illustrer de manière particulièrement dramatique la portée de la menace pesant sur l'Europe, du fait de l'évolution rapide des conflits au Proche-Orient et de la présence, parmi les combattants des groupes les plus radicaux, d'individus originaires de l'Union européenne.

Depuis lors, le groupe terroriste « État Islamique en Irak et au Levant » (EIIL), auquel Nemmouche était affilié, a comme vous le savez pris le contrôle d'une partie du territoire irakien. Son chef s'est autoproclamé le 29 juin « calife » d'un « État islamique », et a appelé au djihad mondial, en défiant les valeurs qui fondent l'organisation de la société internationale. Il faut malheureusement s'attendre à ce que cette évolution du conflit, notamment en Irak, renforce le pouvoir d'attraction de l'« État islamique en Irak et au Levant » et d'autres groupes radicaux auprès d'individus tentés par ce basculement vers les groupes djihadistes et ce, partout au sein de l'Union européenne. En effet, la France n'est pas la seule à être concernée par le phénomène : d'autres pays de l'Union le sont, parfois davantage que nous-mêmes si l'on rapporte le nombre de jeunes engagés dans des opérations djihadistes à la population totale du pays.

Par conséquent, mon message sera aujourd'hui sans la moindre ambiguïté. Il nous faut lutter de toutes nos forces contre ce phénomène de basculement, mais il nous faut aussi jeter toutes nos forces dans le débat, pour éviter les amalgames, les préjugés, et un certain nombre de facilités. Les groupes de terroristes, qui se réclament de façon indue de l'Islam et dévoient son message pour justifier leurs projets de domination et de violence, n'ont rien à voir avec l'Islam de France, dont les responsables et les fidèles adhèrent dans leur écrasante majorité aux valeurs et aux règles de la République. Cela a été rappelé avec force hier, à l'occasion de la réunion organisée par le président de la République en présence de l'ensemble des représentants des cultes, par le recteur de la Mosquée de Paris. Rappeler cela, c'est rappeler une réalité ; c'est aussi se montrer soucieux, dans un contexte particulièrement difficile, de la cohésion de notre société ; c'est chercher le chemin de l'efficacité et de la fermeté lorsqu'il s'agit de lutter contre le basculement de ressortissants français et européens dans des groupes djihadistes. Mais c'est aussi appeler à la responsabilité, afin que les amalgames ne viennent pas nourrir d'autres objectifs que celui de la lutte contre le terrorisme. La tolérance, le respect de l'autre, le dialogue inter-religieux, la volonté de vivre ensemble sont les armes les plus fortes dont nous disposons dans notre lutte contre le terrorisme, comme contre toutes les formes de violence et de haine.

En dépit des efforts engagés par le Gouvernement pour décourager les départs vers la Syrie, le nombre de jeunes Français radicalisés combattant sur ce théâtre d'opérations n'a cessé de croître. Il est important de donner à la représentation nationale, dans la plus grande transparence, les chiffres dont nous disposons. On ne combat pas un phénomène dans l'opacité, ni dans le flou des faits et des éléments statistiques. Il importe de dire à chaque instant la vérité, et de donner – notamment à la représentation nationale, qui a vocation à en connaître – les chiffres les plus actualisés, et cela en permanence, de manière à pouvoir réfléchir ensemble, mais aussi mesurer l'adéquation entre les objectifs que nous nous assignons et les résultats obtenus. En six mois, les effectifs combattants sont passés de 234 à 334, comprenant au moins 55 femmes et 7 mineurs ; le nombre des individus plus généralement impliqués dans les filières djihadistes, en incluant les personnes en transit, celles qui sont de retour en France et les individus ayant manifesté des velléités de départ, est passé de 567 à 883 sur la même période, soit une augmentation de 56 %. Ces chiffres sont comparables à ceux constatés dans d'autres pays de l'Union européenne ; ils montrent la gravité du phénomène ; ils nous obligent à prendre les mesures qui s'imposent pour l'endiguer.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant vous, le Gouvernement a donc adopté pour répondre à ces menaces un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes. Les mesures du plan ne nécessitant pas de modification de l'état du droit ont été prises rapidement. C'est ainsi que le numéro vert mis en place pour permettre aux familles de signaler les risques de départ pour la Syrie a suscité pas moins de 234 signalements entre le 29 avril et le 7 juillet. Par ailleurs, nous avons insisté, avec la garde des Sceaux, pour que soient mobilisés tous les dispositifs permettant d'interpeller et d'engager des procédures. Au cours de cette période, la justice a donc ouvert 58 procédures, et les forces de sécurité ont procédé à une centaine d'interpellations. Pas moins de 62 personnes ont été mises en examen par les magistrats du pôle anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris. Chaque semaine, en fonction des éléments donc nous disposons, et dans le cadre de procédures judiciaires ouvertes, il est procédé à des interpellations et à des arrestations. Ce matin encore, à Albi, trois personnes, dont certaines étaient parties faire le djihad en Syrie et revenues sur le territoire national, et pour lesquelles nous avions des éléments témoignant de leur volonté de perpétrer des actes de nature à porter atteinte à la sécurité de citoyens français, ont été interpellées. Nous poursuivrons ces interpellations, car elles sont la condition de la neutralisation d'un certain nombre d'individus pouvant porter atteinte à la sécurité de notre pays et de ses ressortissants.

Mais l'expérience nous montre qu'il nous faut aussi renforcer notre législation pour l'adapter aux mutations du terrorisme qui sont à l'oeuvre. Nos adversaires s'adaptent en permanence ; ils font évoluer les modalités de leurs interventions, à la fois pour se dissimuler, pour échapper à nos services de sécurité et de renseignement, et par conséquent à la justice. Si nous voulons être efficaces face à cette menace en perpétuelle mutation, il nous faut nous aussi adapter nos outils.

Avant toute chose, j'aimerais vous présenter l'esprit de ce projet de loi, son contenu, et apporter certaines précisions pour lever tout malentendu sur les intentions du Gouvernement, en premier lieu sur la protection des libertés publiques. Le sujet a été débattu dans les médias ; il convient donc de répondre ; aucune critique ne doit être considérée comme mineure, chaque question soulevée doit trouver une réponse. D'autre part, nous devons être attentifs aux possibilités de contournement du dispositif que nous projetons de mettre en oeuvre, afin de nous assurer qu'il est aussi efficace quant aux outils qu'il mobilise.

Je sais que vous êtes tous conscients de la réalité de la menace encourue par notre pays, et que vous souscrivez à l'objectif de lutter efficacement contre le terrorisme. Mais je sais également que vous serez attentifs à ce que les mesures nécessaires pour la sécurité publique ne soient pas prises au détriment de libertés fondamentales telles que la liberté d'expression et la liberté d'aller et venir.

Le Gouvernement partage votre préoccupation. Le rétrécissement du champ des libertés fondamentales ne peut être le prix à payer pour le renforcement de la lutte contre le terrorisme. C'est pourquoi nous avons voulu vous soumettre un texte équilibré, qui concilie l'efficacité de la prévention et de la répression, avec la garantie effective des droits des citoyens. Je voulais réaffirmer devant votre Commission, au moment où elle s'apprête à l'examiner, que cet équilibre est bien au coeur du texte.

C'est dans ce cadre que le Gouvernement a préparé le texte soumis à votre examen.

Sa première mesure est l'interdiction de sortie du territoire, prévue à l'article 1er, qui permettra aux autorités de s'opposer au départ de nos ressortissants hors de France, dès lors qu'il existe – j'insiste sur ce point – des raisons sérieuses de croire que leur déplacement a une finalité terroriste, ou que leur retour pourrait porter atteinte à la sécurité publique.

Il s'agit là d'une mesure importante, qui vient combler une lacune de notre dispositif de lutte contre le terrorisme, puisque cette capacité d'empêcher le départ d'un individu majeur n'existait jusqu'à présent que dans le cadre d'une procédure judiciaire. Ce type de disposition existe déjà dans d'autres pays de l'Union européenne, notamment dans deux grands pays, le Royaume-Uni et l'Allemagne.

Le fait de quitter le territoire ou de tenter de le quitter en violation d'une décision d'interdiction d'en sortir sera puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Cette mesure nécessitera, pour être pleinement effective, la coopération de nos partenaires européens, mais également celle des transporteurs.

L'interdiction de sortir du territoire constitue naturellement une restriction à la liberté d'aller et venir, même si les individus qui y seront soumis demeureront libres de se déplacer sur tout le territoire national. Cette mesure est donc entourée de garanties. Elle ne pourra être prise qu'au vu d'éléments précis, solides et circonstanciés. Elle pourra bien entendu faire l'objet d'un recours devant le juge administratif, lequel pourra être saisi en référé, donc dans un délai extrêmement court. Contrairement à ce qui a pu être dit, les éléments sur la base desquels le juge prendra sa décision seront systématiquement communiqués à la personne mise en cause, qui pourra se faire assister d'un avocat. Enfin, la décision sera prise pour une durée limitée à six mois, renouvelable seulement si les conditions le justifient et, lors de l'éventuel renouvellement, au terme d'une procédure contradictoire. La même possibilité de recours sera ouverte lors du renouvellement. Tout au long de la procédure, les garanties seront donc aussi fortes que dans le cas d'un contrôle par le juge judiciaire.

Comme vous le savez, vous avez été saisis dans un temps très restreint pour l'examen de ce projet de loi. L'urgence se justifie par la nature même du projet de loi et l'intensité de la menace. Grâce à l'implication de votre rapporteur, dont je veux saluer le travail, vous avez pu procéder à un certain nombre d'auditions au terme desquelles votre rapporteur a proposé que cette interdiction de sortie du territoire puisse être assortie d'une possibilité de retrait de la carte nationale d'identité, mesure qui existe déjà dans des cas très circonscrits et qui aurait pour effet de consolider le dispositif existant. Votre Commission aura à se prononcer sur cet amendement.

La prévention du terrorisme dépend également de notre capacité à empêcher la diffusion de messages sur Internet appelant au terrorisme ou le glorifiant. Nous avions engagé le débat sur ce sujet au moment de l'examen par votre Commission de la proposition de loi de M. Guillaume Larrivé. Je vous avais alors indiqué que nous y reviendrions à l'occasion de l'examen de ce projet de loi. En effet, les enquêtes montrent qu'une grande partie des projets de départ pour la Syrie résultent de processus d'auto-radicalisation nourris par la fréquentation de sites Internet. J'insiste sur ce point : ce ne sont pas les prêches radicaux dans les mosquées qui expliquent le basculement, mais le plus souvent une relation exclusive de toute autre avec Internet, à travers la consultation de sites et de vecteurs de communication remarquablement organisés, qui parviennent, par une propagande qui rappelle ce que les sectes sont capables de produire de plus sophistiqué, à embrigader, à convaincre et à conduire à ce basculement. Il importait donc de traiter de cette question dans le texte.

Les fournisseurs d'accès à Internet seront d'abord astreints à l'obligation de surveillance limitée prévue par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, au même titre que pour les appels à la haine raciale, la glorification des crimes contre l'humanité ou la promotion de la pédopornographie. Il s'agit de perturber le fonctionnement des sites de propagande, mais également des forums où se nouent les contacts et où s'échangent des conseils.

Par ailleurs, le blocage administratif des sites Internet prévu à l'article 9 complétera les dispositions de la loi du 21 juin 2004. Il donnera la possibilité à l'autorité administrative de demander aux fournisseurs d'accès de bloquer l'accès aux sites provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l'apologie, à l'instar de ce que le législateur a prévu pour les sites pédopornographiques. Je suis conscient des réserves que suscite ce dispositif. Je ne veux ni les éluder, ni les contourner. Je vous dirai ici des choses simples, qui rejoignent mes propres convictions. Il n'y a pas d'un côté les garants de l'ordre public et de l'autre les défenseurs de la neutralité du net, tout comme il n'y a pas d'un côté les pourfendeurs de l'espace de liberté qu'est Internet et de l'autre des libertaires prêts à fermer les yeux sur la propagation du terrorisme pour préserver leur espace de liberté. Je veux croire qu'il y a chez les garants du Net une volonté incontestable de lutter contre le risque terroriste, tout comme je suis moi-même précautionneux quant à ce qui fait la singularité d'Internet. C'est la raison pour laquelle, tout en assumant pleinement le dispositif, je tiens à ce que nous recherchions ensemble toutes les solutions de nature à permettre d'éviter le sur-blocage.

Je souhaite que le blocage administratif des sites vise de façon limitative les contenus diffusés par des individus ou groupes djihadistes faisant par ce biais la publicité de leurs exactions. Je suggère à ceux d'entre vous qui ne l'auraient pas déjà fait d'aller voir les images d'exécutions, de crucifixions et de décapitations qui circulent sur les réseaux, ou bien à lire ou à entendre les éléments de propagande invitant à rejoindre le théâtre des opérations, qui vont jusqu'à fournir les conseils « techniques » pour commettre des actes terroristes. Certes, il est des espaces de liberté sacrés, et nous devons veiller à ce qu'ils demeurent des espaces de dialogue libres. Mais il existe une instrumentalisation de ces espaces pour véhiculer des images qui sont de nature à conduire à des actes remettant en cause les valeurs de nos démocraties, y compris les plus fortes – parmi lesquelles les libertés. Si les incitations au terrorisme et au djihadisme dont je viens de parler avaient lieu sur la voie publique, elles seraient naturellement interdites et feraient aussitôt l'objet de mesures coercitives. Il n'est pas question de les tolérer sur d'autres espaces sans envisager de mesures de protection de nos ressortissants, et notamment des plus jeunes.

Il nous faut donc un dispositif efficace, et je souhaite y associer des mécanismes de contrôle. Nous envisageons par exemple qu'une personnalité qualifiée puisse intervenir. Votre rapporteur propose qu'elle soit désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Pourquoi pas ? Elle serait investie de la responsabilité de contester le blocage d'un site Internet, et le cas échéant de saisir les juridictions administratives.

D'autres critiques ont pu viser, symétriquement, l'efficacité du dispositif projeté par le Gouvernement. Le Conseil national du numérique, dans un avis récent, a ainsi fait valoir que les groupes djihadistes disposaient du savoir-faire technique nécessaire pour dupliquer les sites censurés, et qu'ils pourraient être incités à complexifier leurs techniques de clandestinité. Cet avis pointait également le risque d'alerter les groupes terroristes de la surveillance dont ils font l'objet par les services de renseignement.

Ce dernier peut être facilement écarté, car les services de renseignement seront systématiquement consultés sur l'opportunité de bloquer un site, quand ils ne seront pas eux-mêmes à l'origine de la demande de blocage auprès des hébergeurs et fournisseurs d'accès.

Quant aux possibilités de contournement, elles existent sans doute. Elles ne remettent pas en cause la pertinence de toutes les opérations de blocage.

Dans la même perspective que le blocage, l'apologie et la provocation au terrorisme ne relèveront plus de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais du code pénal, et certaines des techniques spéciales d'enquête applicables au terrorisme leur seront applicables, comme l'infiltration ou les interceptions de communication, sous le contrôle de l'autorité judiciaire. Il s'agit de tirer les conséquences de la stratégie mise en place par les groupes terroristes comme Al-Qaïda, qui ont théorisé le « djihad médiatique » et ont intégré la propagande à leur stratégie pour s'en servir comme d'une arme.

L'expérience montre par ailleurs que le cas des individus auto-radicalisés, agissant seuls à leur retour de Syrie ou préparant un attentat en s'aidant d'informations disponibles sur Internet, doit également être pris en considération dans le cadre de la répression du terrorisme. C'est pourquoi est créé, à l'article 5, le délit d'entreprise individuelle terroriste, puni de dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Il s'agit de nous donner les outils juridiques nécessaires à l'appréhension, avant le passage à l'acte, d'une personne isolée résolue à commettre un crime terroriste, dès lors qu'elle est détectée.

La création de ce délit d'entreprise individuelle terroriste a également pu susciter certaines inquiétudes, au motif qu'elle ne répondrait pas à une réelle nécessité, et qu'elle viserait des actes préparatoires, sanctionnant une simple intention.

Je veux dire devant votre Commission que je ne crois pas au concept du « loup solitaire ». La démarche, l'embrigadement, la radicalisation, la préparation psychologique qui conduit à un moment un jeune à envisager de commettre un acte terroriste remontent loin et peuvent mobiliser de nombreux acteurs. Ces actes ne s'improvisent pas : il y a une entreprise qui est à rebours de ce que suggère l'expression du « loup solitaire ». Néanmoins, il peut y avoir dans le passage à l'acte une démarche qui concerne l'individu seul. Les services de lutte anti-terroriste et les magistrats spécialisés ont été confrontés dans un passé récent à des cas, pour l'instant peu nombreux, mais bien réels. Je pense à ce jeune radicalisé qui a poignardé des militaires du plan Vigipirate, au centre commercial de la Défense, en mai 2013, ou encore à ce militaire d'extrême-droite, interpellé en banlieue lyonnaise l'été dernier alors qu'il projetait de commettre un attentat contre une mosquée, et qui n'a pu faire l'objet de poursuites judiciaires de ce chef du fait, précisément, de cette carence dans la loi.

À l'évidence, et pour m'en être entretenu avec des magistrats anti-terroristes, j'ai acquis la conviction qu'il est indispensable de donner aux forces de sécurité les moyens juridiques d'intervenir avant qu'un attentat soit commis par un individu qui peut présenter ce profil. Cette incrimination devra toutefois être caractérisée par le juge, sur la base d'un ensemble solide d'éléments matériels propre à démontrer l'intention résolue de commettre une action terroriste d'une particulière gravité. Le texte prévoit en particulier que parmi ces actes, le suspect devra obligatoirement s'être procuré des substances dangereuses ou des armes, ou avoir cherché à le faire, afin d'objectiver au mieux sa détermination. Votre rapporteur propose une liste de critères pour cerner davantage l'incrimination ; il reviendra là encore à votre Commission de trancher.

Nous nous attachons également à renforcer les moyens de l'enquête judiciaire, en autorisant les « cyberpatrouilles » pour l'ensemble des délits relevant du terrorisme et de la criminalité organisée, en facilitant le recours aux techniques de décryptage informatique et aux perquisitions à distance des bases de données. Le projet de loi permettra l'application de certains moyens spéciaux d'enquête aux intrusions dans les systèmes informatiques d'importance stratégique, et améliorera les performances de certaines techniques existantes.

Globalement, ce texte vise donc à nous permettre de réduire le risque d'attentat terroriste sur notre territoire, dans le contexte nouveau que j'évoquais en introduction. Il s'agit de renforcer nos moyens d'enquête, de nous doter d'instruments plus efficaces de lutte contre la propagande sur Internet et d'améliorer notre capacité à empêcher les départs.

C'est tout l'enjeu du défi que nous vous proposons de relever dans ce texte. Je souhaite que nous puissions le faire par-delà les clivages politiques traditionnels, car la question va bien au-delà des affrontements classiques. Il s'agit d'assurer, face à un risque avéré, la sécurité de notre pays, et de le faire à la fois en trouvant des instruments pertinents et en veillant, ensemble, à ce que ceux-ci n'attentent pas à ce à quoi nous tenons le plus – je veux parler des libertés fondamentales dont la République est garante.

Je voudrais également insister sur le fait que sur ces sujets graves, et dans le contexte de tensions que nous connaissons, chaque mot compte et tout amalgame doit être évité. Tout raccourci recèle sa part de dangers. Chaque fois que nous traitons de ces questions, la recherche du juste équilibre et du juste concept est donc nécessaire à l'efficacité de la lutte que nous menons contre le terrorisme.

Enfin, et j'insiste là aussi sur ce point, ce texte ne saurait produire sa pleine efficacité en l'absence d'initiatives européennes et internationales. À la demande du président de la République et du Premier ministre, j'ai donc multiplié les initiatives, en liaison avec mes homologues de l'Union européenne, pour que nous complétions les dispositifs existants de telle sorte qu'ils puissent atteindre un niveau maximal d'efficience.

Je prendrai quelques exemples, qui sont ceux que contient le texte lui-même. L'interdiction de sortie du territoire ne saurait avoir de réelle efficacité sans une adaptation du Système d'information Schengen (SIS) – il faut qu'une mention spéciale sur les fiches SIS permette aux pays de l'Union d'agir ensemble si un ressortissant d'un pays quitte son territoire malgré l'interdiction, afin qu'il puisse être identifié et empêché d'atteindre le théâtre des opérations. De la même manière, nous aurons des difficultés à assurer l'efficacité des dispositifs d'identification sur les plateformes aéroportuaires, si nous ne parvenons pas à mettre en place un PNR (passenger name record) européen. Interdiction de sortie du territoire sous le contrôle du juge, de manière que les libertés publiques soient garanties, mise en place d'un système de signalement commun à l'ensemble des pays européens au titre du SIS, mise en place d'un PNR européen : les initiatives se sont multipliées pour atteindre cet objectif. J'ai rencontré le nouveau président de la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen ; je lui ai fait part de mon souhait de m'exprimer le plus rapidement possible devant cette commission, pour expliquer notre action, sa dimension européenne, et faire en sorte que la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil se saisissent de ces sujets et que nous puissions aboutir rapidement. Nous avons accepté que ces questions soient traitées dans un cadre très exigeant en matière de libertés publiques et de données personnelles. Je l'ai encore dit à l'occasion de cette rencontre – hier – avec le président de la commission LIBE du Parlement européen.

De même, nous n'avons aucune chance d'être efficaces pour ce qui concerne la responsabilisation des acteurs d'Internet si nous n'agissons pas au plan européen, et en étroite liaison avec les États-Unis, que le Premier Amendement à la Constitution conduit à une grande prudence sur la question des mesures prises sur Internet. C'est la raison pour laquelle la Commissaire européenne Cecilia Malmström a réuni les opérateurs Internet ; c'est aussi pour cela que tous les ministres de l'Intérieur de l'Union auront un contact avec les acteurs de l'Internet au mois d'octobre, en liaison avec les États-Unis, pour convaincre les opérateurs d'accompagner ce mouvement de responsabilisation.

Je pourrais prendre bien d'autres exemples qui renvoient à la dimension européenne et internationale du sujet, pour montrer qu'il faut jouer sur toutes les parties du clavier pour essayer d'atteindre l'efficience et la cohérence maximales.

Je souhaite que notre débat soit l'occasion d'évoquer tous les sujets et d'améliorer le contenu des dispositions que nous proposons. L'objectif du Gouvernement est d'arriver au texte le meilleur, en termes d'équilibre comme en termes d'efficacité des mesures proposées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion