Intervention de Alain Marsaud

Réunion du 22 juillet 2014 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Marsaud :

En novembre 2013, j'avais eu l'occasion d'alerter la garde des Sceaux sur l'urgence qu'il y avait à réactiver nos dispositifs législatifs de lutte antiterroriste. Je me souviens avec étonnement du courrier qu'elle m'avait adressé en réponse, indiquant que tout allait bien dans ce domaine. Dieu merci, des conversions se produisent ! Tant mieux, même si on peut regretter que ce soit avec quelque retard.

J'ai eu l'occasion la semaine dernière de rencontrer à Beyrouth des chefs de services de renseignement qui m'ont narré l'histoire d'un Français de Trappes, parti il y a quelques mois par la Turquie faire le djihad en Syrie. Il s'y est trouvé tellement bien qu'il a été pris en mains par Al-Nosra, qui a voulu profiter de sa nationalité, de son passeport français et de sa connaissance de notre langue pour l'envoyer à Beyrouth commettre un attentat suicide. J'ai pu m'entretenir avec ceux qui étaient venus avec lui, Français également. Un Français ordinaire s'est donc lancé dans un dispositif de ce type et a accepté de partir à Beyrouth se faire sauter dans une voiture piégée. Il était dans l'attente de la livraison par l'organisation à la fois de la voiture, de l'explosif et de l'objectif. Il s'agissait d'aller faire exploser un restaurant en secteur chiite à côté de l'aéroport de Beyrouth.

Un autre Français vient d'être interpellé avec le même type d'objectif. Cela veut dire que la situation est d'une gravité extrême et que ces personnes sont un jour à même de venir faire la même chose ici si elles sont motivées. Que des Français acceptent aujourd'hui de se faire exploser dans le cadre d'un attentat terroriste est en effet inédit.

Je m'étais ému en novembre dernier de la réaction que pouvaient avoir certains de mes anciens collègues magistrats lorsqu'on engageait des procédures pour association de malfaiteurs terroristes, car je craignais que des juges puissent s'interroger sur la politique étrangère actuelle de la France, consistant à aller combattre M. Assad sans faire la différence entre ceux qui s'en vont dans l'armée syrienne libre et ceux qui rejoignent Al-Qaïda ou Al-Nosra. Au fond, ce Français qui est parti chez Al-Nosra n'est-il pas devenu ce qu'on appelle en droit administratif un collaborateur occasionnel du service public de notre politique étrangère ? Et je me suis dit qu'il y avait un risque un jour qu'une cour d'assises ou un tribunal correctionnel indique qu'il n'y a pas en l'espèce d'association de malfaiteurs et que l'intéressé n'a fait que répondre aux conseils plus ou moins éclairés de notre diplomatie. Heureusement, grâce à ce texte, nous n'en serons plus là.

Monsieur le ministre, je vous avais interrogé lors des questions au Gouvernement sur le voyage « touristique » de la soeur de Mohammed Merah, car j'avais des éléments me permettant de penser qu'elle était partie en Syrie faire le djihad avec sa famille grâce aux allocations familiales. Vous m'aviez répondu de manière un peu véhémente que je mettais de l'huile sur le feu. Or j'ai ensuite reçu une lettre de la caisse d'allocations familiales – que vous pouvez consulter sur mon site Internet – disant qu'elle venait de supprimer ces allocations à la famille Merah afin qu'elle ne puisse pas continuer à en tirer profit pour aller porter la Kalachnikov en Syrie.

Je crains que ce ne soit pas le seul cas. C'est la raison pour laquelle je déposerai un amendement ayant pour objet de priver d'allocations sociales diverses tous ceux qui iront dans ces pays faire le djihad – sachant que cette mesure existe déjà en droit belge.

Si votre mesure phare, que constitue l'interdiction de voyager et de se rendre en Syrie est frappée au coin du bon sens, je rappelle que, quand j'étais rapporteur de la loi de janvier 2006 sur le terrorisme, nous avions mis en place le système API-PNR (Advanced passenger information-Passenger Name Record), qui avait pour objet d'aviser les différentes compagnies aériennes qu'il y avait en quelque sorte une interdiction de circuler pour se rendre dans tel ou tel pays ou pour venir chez nous. Or cette disposition n'est toujours pas en vigueur. Quand votre dispositif sera-t-il mis en application ? Si c'est en 2020, il y a de quoi s'inquiéter.

Enfin, en 1986, nous avons lancé le dispositif de lutte contre l'association de malfaiteurs terroristes, qui a été amélioré par les lois de 1996 et de 2006. Or en 2006, nous avons eu beaucoup de mal à obtenir l'abstention du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, notamment de M. Valls. Je me souviens que cette loi avait été qualifiée par certains membres de ce groupe de loi scélérate à plusieurs reprises. Heureusement, elle a pu être adoptée, car vous savez combien elle a sauvé de vies. Vive les conversions, même quand elles sont tardives !

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