Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 22 juillet 2014 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Puisque le président est maître de la police des débats et qu'il m'invite à répondre maintenant à une question qui n'est effectivement pas liée au texte, je le ferai bien volontiers. Sur ce sujet qui a fait l'objet de nombre d'interpellations et de propos hasardeux, j'ai décidé d'appliquer avec une rigueur absolue les principes du droit de manière à remettre de la raison là où dominent les passions.

Vous me demandez tout d'abord pourquoi interdire de manifester un jour et pas les autres ? Tout simplement parce qu'interdire toutes les manifestations serait prendre le risque de voir les décisions que nous prenons être annulées par le juge. En France, la liberté de manifestation est constitutionnellement reconnue – et notre Gouvernement, qui y est viscéralement attaché, n'entend pas la remettre en cause. S'il décidait d'interdire toutes les manifestations, le Gouvernement se trouverait en contravention totale avec le droit en vigueur. L'interdiction de manifester ne peut être décidée qu'au cas par cas : la liberté de manifestation est la règle, et l'interdiction, l'exception – lorsqu'il y a risque de troubles à l'ordre public. Par conséquent, interdire toutes les manifestations, au motif que j'en ai interdit quatre, serait contraire à ce que le droit m'autorise à faire. Et comme nous sommes au Parlement, c'est-à-dire dans le lieu où l'on écrit le droit, il me paraît important de convoquer sur ces sujets la plus grande rigueur intellectuelle et juridique.

Deuxième élément de réponse : si nous n'avons pas interdit la manifestation de demain, c'est qu'elle est organisée par des acteurs qui en ont organisé une autre mercredi dernier avec le même protocole, les mêmes organisateurs et le même dispositif de sécurité. Or, elle s'est parfaitement bien déroulée. Je me battrai toujours pour que ceux qui souhaitent manifester pour marquer leur indignation face au sort réservé aux enfants de Palestine puissent le faire. La manifestation interdite samedi dernier était prévue par des organisations qui n'avaient pas la maîtrise des choses, dans un contexte où nous savions que des actes à caractère antisémite seraient commis. Je n'ai donc pas interdit une manifestation pour empêcher des manifestants d'exprimer leur indignation : j'ai empêché des actes antisémites d'être commis dans l'espace public car ils n'y ont pas leur place lorsque l'on est attaché à la liberté et aux droits de l'homme.

Si j'ai interdit quatre manifestations le week-end dernier, j'en ai autorisé soixante autres. Sur ces quatre manifestations, deux n'ont pas eu lieu et il n'y a donc pas eu de problème. Deux autres, en revanche, se sont tenues et il y en a eu. Je mets par conséquent en cause les organisateurs qui ont enfreint le droit alors que le juge administratif, qui avait été saisi, nous avait donné raison. Ce sont eux qui portent la responsabilité des troubles occasionnés car ils n'ignoraient rien des risques de débordements antisémites. Lorsque l'on est attaché aux droits de l'homme et que de tels risques sont évoqués, on ne prend pas la responsabilité de ces débordements, car on ne distingue pas ces droits différemment selon les personnes concernées.

Enfin, si le Gouvernement a pris une décision de responsabilité, ce n'est pas pour empêcher que l'on manifeste sur le sort réservé aux enfants palestiniens – qui me blesse viscéralement. J'irais d'ailleurs volontiers manifester pour la Palestine, considérant que les Palestiniens ont droit à un État. Mais je suis profondément choqué que l'on glose sur une interdiction de manifester fondée sur le risque que des actes antisémites soient commis en condamnant le Gouvernement qui a pris la responsabilité de cette interdiction, sans condamner ces actes antisémites. Il convient, dans la République, que les principes soient posés à nouveau. Brûler une épicerie parce qu'elle est tenue par un Juif et jeter des cocktails Molotov sur une synagogue, cela s'appelle des actes antisémites. Je ne distingue pas entre les enfants et adolescents qui meurent du côté israélien de ceux qui meurent du côté palestinien. La vie des uns a autant de valeur que celle des autres. Je n'ai pas vu autant d'indignation lorsque 1 000 personnes – chrétiens d'Orient, musulmans chiites et kurdes – ont été assassinées en Irak il y a une dizaine de jours, comme si les droits de l'homme étaient divisibles. Ils ne le sont pas. S'il me faut, devant la représentation nationale, rendre des comptes sur les raisons pour lesquelles cette manifestation a été interdite au nom des droits de l'homme et d'une certaine conception de la République, j'assumerai cette responsabilité avec honneur et fierté. Il faut toujours se battre pour que chacun puisse dire ce qu'il a à dire – et les manifestants pro-palestiniens doivent pouvoir le faire. Mais il faut avoir la garantie que cela ne conduira pas à des tensions opposant des confessions les unes aux autres. Sans quoi l'on risque de voir les pires sentiments, les pires haines, s'emparer de nouveau de l'espace public. Il est de notre responsabilité de l'empêcher. Voilà pourquoi j'ai pris cette décision.

Et lorsque j'entends des journalistes, ce matin encore, parler de revirement de la part du Gouvernement, je réponds une fois encore que le week-end dernier, nous avons autorisé soixante manifestations et interdit quatre autres. Nous n'avons pas édicté d'interdiction générale de manifester, car cela est inconstitutionnel en France. Nous ne procédons à une interdiction qu'en cas de risques de débordements, de violence et de haine, car le droit de manifester, qui est sacré, notamment lorsque la cause est juste, ne saurait conduire au droit à haïr l'autre et à porter atteinte à son intégrité physique. Plutôt que de s'attaquer à un gouvernement qui a pris ses responsabilités parce qu'il est soucieux des droits de l'homme et de la concorde, je souhaiterais que l'on s'attaque d'abord et avant tout à ce qui est condamnable, c'est-à-dire aux actes antisémites ainsi commis. Et si ces actes visaient d'autres confessions, nous nous y opposerions avec la même vigueur. La majeure partie des musulmans de France souhaitent la concorde et le rassemblement, aiment la République, veulent la paix à Gaza et ne veulent pas être stigmatisés en raison du comportement d'une petite minorité qui ne représente pas l'islam de France. Ils ne souhaitent pas que la relation entre les Français prenne la tournure qu'elle a prise.

Je conclurai sur ce point : si l'on est attaché à un État palestinien, ce qui est mon cas, on ne peut souhaiter qu'il se fasse sur la négation de l'existence de l'État d'Israël. Sinon il n'y aura pas d'État palestinien mais la guerre à l'infini. Et si l'on est attaché à la sécurité d'Israël, on ne peut pas ne pas souhaiter qu'il y ait un État palestinien, pour la même raison. Lorsque l'on aime la paix – et l'on va bientôt commémorer le centième anniversaire de la mort de Jean Jaurès –, on cherche le juste équilibre et on convoque la raison plutôt que les passions – susceptibles d'emporter le pays vers de funestes horizons.

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