Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 22 juillet 2014 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous demanderai tout d'abord de bien vouloir m'excuser, car je vais devoir partir après cette intervention : six personnes, dont quatre enfants, viennent de trouver la mort dans un accident de la route, dans l'Aube, et je dois me rendre sur place au plus vite.

Monsieur Larrivé, vous avez, dans un souci de rassemblement, repris certaines idées que vous aviez développées dans une proposition de loi, et approuvé l'amendement du rapporteur portant sur le retrait de la carte d'identité, en contrepartie d'un récépissé, en cas d'interdiction de sortie du territoire. Cet amendement est effectivement très intéressant et de nature à améliorer le texte. Je me réjouis du consensus qui se dessine.

Vous insistez sur la dimension européenne et internationale du problème : c'est essentiel, je l'avais d'ailleurs également souligné. Les mesures que nous prenons ne seront pas efficaces si elles ne sont pas intégrées au Système d'information Schengen (SIS) ; un accord européen sur le traitement des données des passagers dit « PNR » est indispensable, ainsi qu'une meilleure coopération des services de renseignement. Nous y travaillons.

Monsieur Marsaud, vous avez évoqué, avec beaucoup de nuances, plusieurs sujets. Nous ne nous sommes pas convertis ; nous affrontons la réalité, et notre volonté est de susciter du consensus face à ce phénomène susceptible de ronger la République de l'intérieur et de remettre en cause ses valeurs. Nous ne souhaitons ni polémiques, ni amalgames, car cela risquerait d'enclencher un cercle vicieux de réactions dangereuses.

Vous posez de façon tonique la question des allocations sociales. Je veux y répondre sereinement, et regarder la question du point de vue du droit plutôt que de celui de la passion. Les prestations sociales sont versées sous condition de résidence stable et régulière en France ; lorsqu'une personne part, l'administration le signale aux caisses d'allocations familiales. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé dans le cas de Souad Merah. Il n'est pas ici question de volonté politique, mais de droit : notre rôle est de faire respecter la loi.

Madame Chapdelaine, le juge des libertés et de la détention est déjà extrêmement sollicité dans de nombreux domaines. Sa charge de travail est lourde, et il l'exerce dans des conditions très difficiles. En outre, une saisine du juge des libertés et de la détention poserait des problèmes juridiques ; le blocage de sites Internet ne relève d'ailleurs pas de ses compétences. Cette solution poserait de nombreux problèmes et ne serait, je crois, pas efficace.

Je reste néanmoins très sensible à la question du surblocage de sites Internet, et un contrôle doit s'exercer. Les propositions de Mme Kosciusko-Morizet et de M. Fenech, consistant à demander le retrait du contenu à l'hébergeur avant de demander le blocage des sites aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI), me semblent judicieuses ; encore faut-il que ce retrait soit obtenu rapidement, car ce sont là des situations d'urgence. Si un dialogue s'ouvre avec les opérateurs de l'Internet, si le Parlement peut nous proposer un texte qui permette d'éviter le blocage administratif tout en respectant la nécessité d'agir très vite, nous en serons très heureux. Si ces dispositions sont consensuelles, nous nous en réjouirons plus encore : je le répète, nous recherchons ici le compromis et l'efficacité.

Monsieur Verchère, la mesure de guerre électronique que vous proposez peut être prise en cas de légitime défense. C'est alors un acte du Gouvernement, non soumis au contrôle juridictionnel. Mais ce dispositif ne peut pas être utilisé dans un cadre préventif : il serait considéré comme disproportionné.

Monsieur Raimbourg, je veux vous rassurer : le contrôle du juge administratif s'exercera. L'interdiction de sortie du territoire est une mesure individuelle prise par l'administration, et plus exactement par le ministre de l'Intérieur ; le recours au fond sera de droit, le référé sera possible en cas d'urgence. Tous les éléments du dossier seront transmis à la personne intéressée, comme à son avocat, afin que les droits et les libertés de chacun soient garantis.

Madame Bechtel, le Gouvernement examinera vos amendements avec grand intérêt. Je vous confirme qu'il existe une initiative qui rassemble tous les États de l'Union européenne et les États-Unis concernant Internet. Cecilia Malmström, la commissaire européenne, et Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, ont rencontré les opérateurs ; une réunion rassemblant les FAI et les ministres de l'intérieur est prévue au mois d'octobre, afin d'examiner les conditions dans lesquelles nous pouvons progresser tous ensemble et répondre aux préoccupations exprimées par tous les intervenants – préoccupations que je partage.

Vous envisagez la création d'un délit d'incitation, en particulier de mineurs, à visionner des sites terroristes. Les plus jeunes constituent un public particulièrement vulnérable, nous en sommes parfaitement conscients. Cela rejoint la nécessité d'agir avec les FAI.

Madame Kosciusko-Morizet, le délit de consultation habituelle pose de trop grandes difficultés d'ordre constitutionnel ; c'est un sujet que nous avons à plusieurs reprises évoqué avec le Conseil d'État. La proposition de Mme Bechtel paraît donc plus sûre juridiquement, tout en visant le même objectif. Nous en discuterons sur le fond lors du débat d'amendements en séance publique : nous ne devons nous tromper ni d'outil, ni de cible. La consultation habituelle sera en tout cas l'un, parmi d'autres, des critères qui permettront de caractériser l'entreprise terroriste individuelle : vous le voyez, nous progressons.

Madame Mazetier, nous sommes, je l'ai dit, ouverts aux amendements qui permettront d'entourer le blocage de sites Internet de garanties supplémentaires, à condition que son efficacité ne soit pas obérée. Les propositions du rapporteur semblent devoir être regardées sous un jour très favorable.

Madame Pochon, vous insistez sur la question du contre-discours. Sur ce sujet, qui ne relève pas de la loi, j'ai mobilisé différents acteurs – service d'information du Gouvernement (SIG), prestataires de communication privés… J'ai confié une mission à Mme Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam (CDPSI). Différentes actions sont en cours, à destination des familles mais aussi des jeunes eux-mêmes, notamment via des vidéos ; les premières seront disponibles dès cet été. Ce travail de sensibilisation et d'information est crucial.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour la qualité de ce débat et je salue la hauteur de vues de toutes les interventions.

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