Intervention de Dominique Martin

Réunion du 23 juillet 2014 à 11h00
Commission des affaires sociales

Dominique Martin :

Il ne serait pas responsable de ma part de chercher à répondre à toutes les questions, néanmoins je m'efforcerai d'apporter des éclairages sur la plupart d'entre elles.

Plusieurs intervenants se sont inquiétés du dialogue social. Je n'ai encore qu'une vision extérieure, mais il fallait s'attendre à ce que des tensions se fassent sentir au sein de l'établissement compte tenu de l'extrême pression que la réorganisation spectaculaire a fait peser sur les agents : la quasi-totalité d'entre eux a changé de fonction au terme d'un processus qui se fait normalement par étapes. Si l'opération a été menée vite fait bien fait, il faut maintenant se saisir du dialogue social pour redonner à l'établissement son efficacité collective. Je crois non pas à la prouesse individuelle, mais à l'efficacité collective : c'est avec des agents bien à leur place que l'Agence pourra assurer la sécurité qu'on attend d'elle.

Il m'est difficile de détailler aujourd'hui comment sera organisé le dialogue social. Ce que je peux dire, c'est que l'enjeu est tel que je conduirai personnellement ce chantier, bien sûr en collaboration avec les personnes en charge. Mon parcours montre combien je suis attaché au dialogue social, surtout par souci d'efficacité administrative – transparence, dialogue social, action collective sont la marque d'un bon fonctionnement de l'administration.

La base du dialogue social, c'est la discussion avec tous, à tous les niveaux. Pour une aussi grande agence, il faut bien sûr l'organiser. Le dialogue doit précéder le dialogue social, c'est tout à fait primordial.

La prise en charge des innovations coûteuses, qui sont souvent des thérapeutiques ciblées ou de niche, se heurte à l'amortissement du coût de développement. Force est de constater qu'il pose un réel problème d'accès aux soins. Ainsi, le traitement contre l'hépatite C est parfaitement efficace et serait certainement rentable à long terme, mais il nous pose aujourd'hui un vrai problème du fait de son coût exorbitant.

Vous avez déjà donné des éléments de réponse avec l'amendement AvastinLucentis et en faisant évoluer la loi sur les recommandations temporaires d'utilisation (RTU). J'ai bien suivi ce débat et je me félicite de cette évolution qui suppose une collaboration entre l'ANSM et les autorités publiques. Des évaluations peuvent être également conduites en collaboration avec des organismes publics comme l'INCa, l'ANRS ou l'INSERM, sur des produits très spécialisés qui n'intéressent pas les laboratoires pour des raisons de rentabilité évidentes. Le produit de santé n'est pas un produit comme un autre et certains impératifs de santé publique ne sont pas forcément spontanément portés par l'industrie pharmaceutique, même si celle-ci participe grandement à la production des médicaments. Dans de tout petits secteurs de la cancérologie, ce sont des essais réalisés par des équipes publiques sur un médicament fourni par un laboratoire qui permettent d'en identifier la bonne utilisation en toute sécurité et le protocole à respecter.

Les ruptures de stock et l'importation des matières premières sont de vrais sujets qui sont liés aux modalités économiques de la production des médicaments. L'année dernière, plus de 400 ruptures de stocks ont été constatées. D'ores et déjà, des dispositions existent visant à inciter les entreprises à faire remonter l'information de sorte que l'ANSM puisse proposer des produits alternatifs ou éventuellement décider des importations. Au regard des risques que ces ruptures de stock peuvent faire courir, il ne serait pas anormal d'engager avec les producteurs une discussion relative aux contraintes liées à la gestion de risque, dans le cadre d'une politique de maîtrise de la production et de l'approvisionnement.

Le débat sur le monopole est du ressort interministériel. Néanmoins, je peux dire qu'au regard de la pharmacovigilance, les pharmacies constituent probablement le réseau le plus efficace. C'est vrai aussi dans d'autres domaines. Ce réseau est extrêmement dynamique ; il s'est doté très tôt d'équipements de dématérialisation, il a participé à la création du dossier pharmaceutique. Il doit être préservé. Dans notre pays, où, avec une consommation de médicaments de 20 % à 30 % supérieure à la moyenne européenne, notre problème est plutôt la surconsommation que la sous-consommation, nous avons intérêt, pour des raisons de sécurité autant qu'économiques, à en assurer la maîtrise avec l'ensemble des parties prenantes.

Je ne sais pas quoi répondre à l'éventualité du transfert de la cosméto-vigilance à l'ANSES. Si j'osais une touche d'humour, je dirais qu'en gestionnaire avisé, j'y verrais un intérêt pourvu qu'on me laisse les personnels qui y sont attachés. Si je connais bien l'ANSES, je ne connais pas le sujet. L'important est que quelqu'un s'en occupe. Les produits cosmétiques peuvent avoir des effets, notamment dermatologiques, et nécessitent une vigilance. Je ne sais pas si l'ANSES a une organisation qui s'y prête mais, si elle héritait de la cosméto-vigilance, elle aurait sûrement besoin de s'appuyer sur nos réseaux de vigilance. Quant au contrôle de l'origine éthique du sang, ma réponse est à peu près la même. Je connais bien l'Établissement français du sang pour avoir beaucoup travaillé avec, mais je ne connais pas le sujet.

M. Robinet a évoqué les liens à établir entre divers dispositifs dans le domaine de la pharmacovigilance. Clairement, même si l'on doit développer de nouvelles méthodes comme la pharmaco-épidémiologie, la pharmacovigilance telle qu'elle existe doit rester un dispositif essentiel. Les responsables en sont des cliniciens, ils travaillent dans des CHU et ils ne se contentent pas de faire remonter des informations ; ils délivrent également l'information auprès des praticiens.

J'en viens à l'incompétence en matière de pharmacovigilance dont j'aurais fait état me concernant au Sénat, au cours d'une audition relative au Mediator. Comme je l'avais précisé alors, j'intervenais strictement au titre de directeur de l'ONIAM sur la réparation du dommage corporel. Lorsqu'au terme de l'audition, Mme Hermange m'a demandé ce que je pensais des insuffisances du dispositif de pharmacovigilance, j'ai répondu, en omettant de me référer au principe de spécialité attaché à ma fonction de directeur de l'ONIAM, que cette question ne rentrait pas dans mon champ de compétence. J'ai néanmoins fait part de mes observations en tant que citoyen. Étant médecin, je connais bien les centres de pharmacovigilance. En réalité, leur problème n'est pas lié à la biologie mais bien aux moyens, qui leur sont fournis pour partie par l'ANSM et pour partie par les financements destinés aux MIGAC (missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation). Le patron d'un de ces centres me disait qu'alors qu'il attendait 200 000 euros à ce titre, il en avait touché 20 000. Ce type de problème, je sais le traiter. Ce sont des questions que je connais bien, qui relèvent de l'organisation. À cet égard, on n'attend pas forcément de moi des compétences en biologie.

Quant à savoir comment j'imagine l'organisation et la gouvernance de l'Agence, je suis conscient qu'avec le départ de Dominique Maraninchi, c'est une compétence nationale et internationale qui s'en va. Bien que doté d'une formation médicale, je suis plutôt un administratif, et je vais évidemment m'adjoindre très rapidement une personne compétente dans le domaine médical, non seulement sur le plan national mais aussi sur le plan international. Il s'agira donc d'une réorganisation de la gouvernance tout à fait traditionnelle, dans laquelle tout n'est pas concentré dans les mains ou la tête d'une seule personne. C'est un modèle qui ne me paraît pas très difficile à mettre en place.

J'ajoute qu'il entre dans mes attributions d'acquérir les compétences minimales, et un peu plus, requises pour être capable de discuter avec les uns et les autres. Quand j'ai créé l'ONIAM, je n'avais aucune compétence en matière de réparation du dommage corporel, et je les ai acquises rapidement. Quand j'ai pris en charge la branche AT-MP, je n'étais pas un spécialiste de la tarification des entreprises dans cette matière qui est la plus compliquée du code de la sécurité sociale. Cette fois, s'agissant du domaine médical, j'ai l'avantage d'être médecin et d'avoir été formé à la pharmacologie.

S'agissant de l'automédication, j'ai déjà répondu que nous avions un problème de surconsommation dans le pays. Si elle constitue une voie d'évolution intéressante, elle doit être accompagnée par les professionnels de santé et contrôlée tant d'un point de vue de sécurité qu'économique.

Plusieurs questions ont porté sur la collaboration des agences impliquées dans le processus du médicament – ANSM, HAS, CEPS, mais aussi l'État et la CNAMTS. C'est un vrai sujet. Les mutualiser dans une seule grande agence me paraîtrait délicat, car le lien entre sécurité et médico-économique doit continuer d'exister. Il est ainsi étonnant que des médicaments soient totalement déremboursés sans autre forme de débat. Le nécessaire dialogue entre les unes et les autres s'établira plus facilement entre entités distinctes coordonnées par l'État à travers des textes ou une gestion au quotidien. Si j'avais à choisir, je préfèrerais avoir des établissements juridiquement distincts soumis à une obligation de coopération.

De toute évidence, l'ANSM a contribué à la loi de santé publique, notamment au regard de la simplification des processus. Comme dispositif majeur de la santé publique, je ne conçois pas qu'elle n'ait pas son mot à dire.

Les pays dont il faut, à mon avis, s'inspirer en matière d'alerte en provenance des usagers sont notamment les Pays-Bas et le Danemark. À cet égard, l'ouverture juridique qui a été ménagée doit être exploitée à fond. J'ai des relations maintenant anciennes et très étroites avec les associations d'usagers et j'y tiens beaucoup. L'expertise patient, comme on dit, est essentielle et il faut l'utiliser au maximum.

Le renforcement du positionnement européen de l'équipe passe par une parole forte en termes de pharmacovigilance et de crédibilité scientifique, mais pas seulement. Le travail au niveau européen est très consommateur de temps, et il ne devra pas pâtir des arbitrages qui ne manqueront pas d'intervenir. Dans une période où l'on n'augmente pas les effectifs des structures publiques, seules les procédures de simplification et l'augmentation des gains de productivité permettront de dégager des marges de manoeuvre à réintégrer dans l'action européenne. Les systèmes d'information ont toute leur part à prendre dans cette démarche, puisque ce qui caractérise notre environnement aujourd'hui, c'est la circulation de volumes importants et complexes d'information. Je crois savoir que le travail est en cours, et que beaucoup a déjà été fait ces deux dernières années.

S'agissant du recueil de données, je vois deux modèles intéressants. Soit on travaille sur le système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (SNIIRAM), c'est-à-dire sur la totalité des données, que l'on recoupe avec le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), qui couvrent la totalité de la population mais qui sont peu spécifiques ; soit on arrive, comme les Anglais, à créer un échantillon représentatif permanent qui permet de recueillir beaucoup de données utiles. Ce qu'il faut, c'est trouver des modalités de fonctionnement et une base de données communes. Et, dans la mesure où un tel système donnerait accès à des informations individuelles, il faudrait associer la CNIL à sa sécurisation. Nos voisins y sont parvenus, et nous sommes bien partis, semble-t-il, pour réussir aussi.

L'indépendance des experts vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique est un sujet compliqué : s'ils n'ont jamais eu aucun lien avec elle, leur compétence, au sens de l'expertise scientifique, a de quoi être interrogée. La question a été traitée d'assez bonne manière par la loi de 2011 avec la réinternalisation de toute une partie de l'expertise, l'expertise externe intervenant dans un deuxième temps. La souscription de déclarations publiques d'intérêts accessibles à tous participe également de la transparence, qui est un outil puissant de contrôle grâce auquel la situation a évolué du tout au tout. Pour autant, la vigilance reste de rigueur, et un service de l'ANSM est d'ailleurs entièrement dédié à cette question.

Je reviens sur l'information des patients et le lien avec les associations d'usagers, dont je suis convaincu qu'il est un élément de gestion tout à fait majeur et moderne. En 2002, alors que j'assurais la coordination de la loi sur les droits des malades, j'ai pu constater que le système de santé publique avait tout à gagner de la démocratie sanitaire et de la place faite à ces associations. Je suis donc très attaché à ce lien, sachant toutefois qu'il n'est pas évident à organiser. L'expertise des patients est celle du vécu, de la maladie et des traitements, et toute la difficulté est d'inciter des experts très pointus et des administratifs très têtus à s'y intéresser. C'est une relation qui demande à être construite, ce qui passe par le débat. Je sais que l'Agence s'implique dans cette démarche depuis des années, puisque certaines dispositions de la loi de 2011 sont issues d'expériences qu'elle avait engagées antérieurement. Je ne révèle donc là rien de nouveau, mais c'est une piste qu'il faut continuer à explorer.

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