Madame la présidente, permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir organisé cette audition dans des délais rapides, malgré la charge de travail de l'Assemblée. Il était important que cette procédure de nomination puisse avancer, indépendamment du candidat qui sera retenu in fine.
Mon parcours est, en effet, atypique, si c'est le sens de la question que vous venez de me poser. Je vais vous en donner brièvement les grandes lignes, avant d'en venir au poste qui m'amène devant vous.
Les quatre premières années de ma carrière se sont déroulées dans des entreprises de taille moyenne, des sociétés de service en ingénierie informatique. En tant que responsable de grands comptes, j'ai travaillé sur des projets de gestion logistique et de télévente.
En 1995, après avoir été reçu au concours d'attaché, j'ai rejoint le ministère des affaires sociales en gardant la même spécialité. J'y ai été chargé de plusieurs projets intéressant les établissements de santé, les hôpitaux et les agences régionales de l'hospitalisation, avant de me voir confier l'informatique décisionnelle. J'en ai retiré une solide expérience dans le domaine des systèmes d'information publics et privés. Cela me semble important à souligner, car c'est souvent un sujet de blocage.
À la fin des années 90, ma carrière a pris un tour plus administratif, en tant que chef du bureau des affaires générales et financières de la direction générale de la santé (DGS). J'ai ainsi commencé à goûter aux politiques publiques en matière de santé publique et à la gestion en administration centrale. J'avais la responsabilité de la préparation et de l'exécution du budget de la DGS ainsi que de la politique menée par cette direction. Cette période fut très stimulante et j'en garde un souvenir particulièrement ému.
J'ai ensuite suivi le parcours menant au concours interne de l'ENA, que j'ai intégrée en 2004 et dont je suis sorti en 2006 en tant que membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).
Pendant quatre ans, j'ai accompli de nombreuses missions assez variées, qui m'ont permis de conforter mes compétences en termes de gestion, d'organisation et de pilotage, d'approfondir mes connaissances en termes de politique de santé ou d'organisation des soins, et d'étudier plus avant de nouvelles politiques publiques – travail, emploi et formation professionnelle. J'ai notamment participé à la mise en place du premier contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens des agences régionales de santé (ARS), évalué la convention d'objectifs et de moyens (2006-2009) de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés du régime général (CNAMTS), et contrôlé plusieurs établissements hospitaliers en lien avec la mise en place de la tarification à l'activité, bref des missions assez variées dans le champ de la sécurité sociale, de l'organisation des soins et du travail.
Puis, en tant que chargé de mission auprès de la Secrétaire générale en charge des ministères chargés des affaires sociales, j'ai mis en place une démarche de contrôle de gestion et de pilotage de l'activité pour l'ensemble des administrations rattachées au secrétariat général – affaires sociales, santé, mais aussi travail, emploi et formation professionnelle. J'ai également coordonné, au sein du secrétariat général, le réseau des DIRECCTE, les directions régionales qui sont, notamment, en charge des politiques du travail.
À partir de mai 2012, et pendant deux ans, j'ai travaillé, en tant que conseiller social de Mme Najat Vallaud-Belkacem, à l'époque ministre des droits des femmes et porte-parole du Gouvernement, aux différentes réformes que vous connaissez, en mettant plus particulièrement l'accent sur l'égalité professionnelle dans les entreprises.
J'ai donc une expérience variée, avec des compétences touchant à la fois aux politiques publiques et à la gestion. C'est fort de ce parcours-là que je me présente devant vous comme candidat au poste de directeur général de l'INCa.
Pourquoi l'INCa, madame la présidente ? Avant tout, je trouve la mission de cet institut stimulante. Le cancer, principal fléau sanitaire de notre pays avec 350 000 nouveaux cas et 150 000 décès par an, est un sujet majeur des politiques de santé publique. Le positionnement, la construction et la logique de fonctionnement de l'INCa, qui a adopté une approche globale et une vision intégrée de la lutte contre le cancer, sont tout à fait intéressants. Il est important qu'un organisme puisse réfléchir et actionner l'ensemble des leviers existants pour mettre en oeuvre une politique efficace. La recherche, l'innovation, l'information des patients et des professionnels, la prévention, la recherche fondamentale, l'organisation des soins, la prise en charge et les conditions d'insertion sociale et économique sont autant de leviers que l'INCa mobilise en développant une vision intégrée.
Cela suppose, pour le directeur général et pour l'INCa, de supporter ces cloisonnements. Pour moi qui ai déjà eu, lors d'expériences récentes, à rallier différents acteurs et partenaires à des objectifs et des projets communs, en intervenant à tous les niveaux, c'est particulièrement exaltant.
En toute humilité, je peux dire que j'ai engrangé, tout au long de mon parcours professionnel, nombre de compétences en matière de gestion et de connaissance des politiques publiques, qui trouveraient à être utilement valorisées dans la vision intégrée de l'INCa.
Le poste que je brigue participe d'une gouvernance spécifique à l'INCa, qui fonctionne avec un président exécutif – aujourd'hui, une présidente exécutive, Agnès Buzyn, professeure de médecine –, et un directeur général, traditionnellement de formation administrative. Ce binôme à double lecture est intéressant pour les équipes en place et constitue la garantie, dans la mise en oeuvre des politiques, d'avoir la vision la plus complète possible, gage d'efficacité.
Le directeur général est, par nature, actif sur l'ensemble des champs d'intervention de l'INCa. Il participe à l'ensemble des décisions. De par sa formation, son rôle est d'abord d'assurer le fonctionnement et la gestion de l'Institut. De ce point de vue, si j'ai la chance d'être nommé à ce poste, je poursuivrai le travail engagé par mes prédécesseurs pour consolider le fonctionnement institutionnel, administratif et financier de l'Institut, et travailler sur la maîtrise des risques – comptables, financiers ou liés aux métiers – auxquels il est confronté.
D'une manière générale, s'il fallait définir une ligne pour l'INCa dans les prochaines années, je proposerais de conforter son positionnement en tant qu'agence d'expertise et sanitaire de référence sur les pathologies liées au cancer. Cela suppose de développer une culture de service en tissant des relations avec l'ensemble des partenaires qui travaillent sur ces questions-là, qu'ils soient nationaux ou régionaux. L'objectif est que l'expertise de l'INCa réponde aux besoins de ses destinataires, dans des conditions d'exigence et de rigueur exemplaires.
La particularité de l'INCa tient à sa vision intégrée et à sa vocation à mettre en oeuvre des mesures touchant à tous les aspects de la lutte contre le cancer. Cette particularité doit se retrouver au sein même de l'INCa. Les précédents directeurs généraux ont ouvert ce chantier ; si j'avais la chance de leur succéder, je m'attacherai à ce que l'INCa, dans son fonctionnement et à travers son action, exprime et fasse vivre la collégialité et la transversalité.
Pour rester sur les questions liées à la gestion, un autre domaine dans lequel mon parcours pourrait être utile est celui des systèmes d'information, qu'ils soient ou non internes à l'Institut. De tels systèmes sont à développer, en interne, d'une part, pour améliorer ses performances et son fonctionnement, avec les partenaires nationaux ou locaux, d'autre part, pour partager des informations, disposer de davantage d'éléments de diagnostic, apprécier les situations liées au cancer, définir les politiques les meilleures et les plus efficaces.
J'en viens maintenant aux orientations et aux enjeux des métiers de demain. Comme vous le faisiez remarquer, madame la présidente, la feuille de route de l'INCa est principalement inspirée par le troisième plan cancer, qui a été présenté par le Président de la République en février dernier. Ses objectifs généraux sont dans la continuité d'une politique maintenant ancienne : réduire l'incidence du cancer, guérir davantage de malades, améliorer la qualité de vie des patients et des ex-patients, accompagner les familles.
Traditionnellement, au sein de l'INCa, le directeur général a le rôle particulier de suivre et de mettre en oeuvre le plan cancer. Dans le cadre de ce troisième plan, son rôle sera plus important encore puisque ce sont 110 actions sur 180 que l'INCa devra piloter directement, toujours avec le suivi de l'ensemble de la mise en oeuvre du plan. Le nouveau directeur général aura donc une responsabilité accrue.
Le troisième plan cancer s'inscrit dans un contexte marqué par plusieurs éléments qui doivent guider l'action publique : d'importantes inégalités sociales et territoriales ; des progrès médicaux et des modalités de prise en charge en évolution auxquels les politiques publiques doivent s'adapter ; une forte demande d'implication des usagers ; une forte contrainte financière.
Quels sont les grands axes des politiques et de l'action que l'INCa aura à mener dans les prochaines années ?
Si nous voulons réduire l'incidence des cancers, il faut d'abord s'attaquer aux inégalités face à la maladie. Les inégalités sociales sont importantes, au point que le risque de mourir d'un cancer entre trente et soixante-cinq ans est deux fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres. Les inégalités sont aussi territoriales et peuvent s'expliquer, par exemple, par l'absence de progression de certains programmes de dépistage, comme ceux du cancer du sein ou du cancer colorectal.
La réduction des inégalités implique d'améliorer notre connaissance de toutes les populations, afin de trouver la bonne façon de les toucher, de leur faire passer le message du dépistage ou d'autres messages de prévention. Sans doute faudra-t-il aussi régler l'aspect financier de la question.
Le plan cancer prévoit l'organisation du dépistage systématique du cancer du col de l'utérus. Avec 3 000 nouveaux cas par an et 1 100 décès, ce n'est pas le plus important par le nombre de personnes touchées, mais il est emblématique des inégalités que l'on constate en matière de cancer.
Réduire l'incidence des cancers passe aussi par la prévention, qui est une priorité à la fois du plan cancer et de la stratégie nationale de santé publique présentée par la ministre Marisol Touraine.
À cet égard, le tabagisme est particulièrement significatif. Celui-ci reste le principal facteur de décès par cancer, puisqu'il en provoque 44 000 par an. Malgré les mesures qui ont été prises, notamment en direction des jeunes, les derniers chiffres ne sont pas très bons, ce qui n'est pas très rassurant pour les années à venir. Le niveau d'usage récent – c'est-à-dire le fait d'avoir fumé au moins une fois dans le mois précédant l'enquête – est de 38 % chez les jeunes Français de quinze à vingt-cinq ans, contre 28 % en moyenne en Europe, ce qui nous place dans le peloton de queue des pays européens. La ministre des affaires sociales a lancé, dans le cadre du plan cancer, le programme national de réduction du tabagisme, dont l'objectif est de réduire d'un tiers la prévalence du tabagisme quotidien.
De nombreuses actions de prévention ont déjà été engagées, mais il y a encore à faire pour sensibiliser nos concitoyens. On estime que 80 000 décès par cancer pourraient être évités chaque année grâce à des comportements collectifs – l'action des pouvoirs publics et de ses différents partenaires – et individuels appropriés. Nos concitoyens ne sont pas toujours conscients des risques que certaines pratiques leur font courir. D'après le Baromètre cancer de 2010, un tiers d'entre eux pensent que l'on ne peut rien faire pour éviter le cancer. Un travail pédagogique à leur intention doit, sans intention de jugement, leur montrer, en les hiérarchisant, les risques qui sont attachés à certains comportements.
La stimulation de l'innovation est inscrite dans l'ADN de l'INCa. Non seulement il a pour mission de la soutenir, mais il doit aussi faire en sorte qu'elle puisse bénéficier le plus rapidement possible aux patients. Des actions ont été engagées, qui ont déjà abouti à des résultats concrets. C'est le cas en radiologie interventionnelle ou en médecine personnalisée – qui permet de lancer des analyses génétiques de tumeurs –, dans laquelle la France occupe une place importante sur la scène internationale. Toutefois, une fois que l'innovation a fait ses preuves et que ses effets positifs ont été démontrés, il faut trouver des relais de financement. C'est ainsi que l'INCa pourra concentrer ses moyens sur le soutien de solutions plus émergentes.
L'organisation des soins et l'orientation des patients constituent un autre volet important de l'action de l'INCa. La qualité et les délais de la prise en charge conditionnent le diagnostic et l'avenir des personnes potentiellement touchées par le cancer. Il est donc très important de réduire la perte de chances. La variabilité des délais est importante d'une région à l'autre, aussi faut-il absolument travailler sur l'organisation : partout sur le territoire, on doit pouvoir piloter le délai de prise en charge des patients et les orienter le plus rapidement possible vers les bonnes équipes.
La question de l'organisation est d'autant plus importante que les modes d'intervention changent. Avec le développement de la chirurgie ambulatoire, la prise en charge des cancers, est également concernée par l'articulation entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. Différents outils prévus dans le plan cancer devraient permettre d'assurer cette articulation, comme le dossier communicant en cancérologie (DCC), le programme personnalisé de soins ou le programme personnalisé d'après cancer. Cette approche, qui vise aussi à réduire les inégalités territoriales, suppose que l'INCa travaille avec les agences régionales de santé (ARS). Mais pour organiser et structurer des relations au service des usagers, l'Institut a sans doute des efforts à faire.
Dans ce volet de la prise en charge, il ne faut pas négliger la promotion des parcours des professionnels de santé qui interviennent dans ce secteur, ni leur formation continue. Dans la mesure où les patients guérissent mieux et vieillissent davantage, il faut pouvoir les prendre en charge différemment et leur accorder du temps. D'où la création, dans le troisième plan cancer, d'un métier d'infirmier clinicien en cancérologie.
En matière d'amélioration de la qualité de vie, l'objectif du plan est ambitieux : réduire, d'ici à cinq ans, de 10 % la proportion des patients qui perçoivent une dégradation de leur qualité de vie. Pour cela, nous savons qu'il faut travailler sur la fluidité et l'adaptation des parcours ainsi que sur la globalité de la prise en charge. Nous devons aussi nous intéresser aux soins de support, à la réduction des séquelles des cancers, telles que l'infertilité, et à la façon de prendre en compte la situation économique et sociale des patients.
Celle-ci n'est pas un élément secondaire. Si l'on est à même de proposer une prise en charge sociale et économique du même niveau que la prise en charge médicale, on ne pourra qu'obtenir de meilleurs résultats. Cela vaut pour les jeunes, dont il faut éviter la désocialisation – d'où l'extension de la gratuité de l'accès aux cours du Centre national d'enseignement à distance (CNED) au-delà de seize ans, prévue par le plan. Cela vaut aussi pour les personnes touchées par le cancer ou qui l'ont été. On sait que deux ans après un diagnostic de cancer, un tiers des malades a perdu son emploi ; l'objectif est donc de travailler à leur insertion dans l'emploi, soit par le retour soit par le maintien en place. Cela suppose de tisser de nouveaux liens et un nouveau partenariat avec les partenaires sociaux, car l'insertion entraîne l'aménagement des conditions de travail et, éventuellement, des horaires. Jusqu'à présent, ces questions n'ont pas été suffisamment approfondies, et il faudra s'y atteler dans les années à venir.
Je terminerai sur la démocratie sanitaire qui suscite de grandes attentes. L'INCa y a travaillé, puisque ses différents comités sont ouverts à des représentants des usagers. Si j'ai la chance d'être nommé directeur général, il me reviendra de faire vivre cette démocratie et faire en sorte que nos différents partenaires s'y conforment.
Voilà comment je vois les enjeux et les orientations de l'INCa dans les prochaines années. Je souligne que le futur directeur général, comme son actuelle présidente, peuvent compter sur des équipes mobilisées et compétentes. Celles-ci ont déjà beaucoup fait dans la mise en oeuvre des deux plans et ont démontré leur valeur.