En même temps que je félicite M. Breton pour son exposé très clair et documenté, je salue l'efficacité de l'action que l'INCa mène depuis 2004, même s'il lui reste encore beaucoup à faire.
Monsieur Breton, si vous avez suivi une excellente formation et exercé des activités très valorisantes dans le domaine des affaires sociales et de la santé, vous ne vous êtes jamais consacré spécifiquement à la cancérologie. Il peut être utile que vous arriviez avec un regard neuf. Ainsi, vous ne considérerez pas l'augmentation de la prévalence de cancers dans notre pays comme un phénomène normal.
L'allongement de la durée de vie n'explique que l'augmentation des cancers chez les personnes âgées. Les progrès de la médecine ont davantage concerné les maladies cardiovasculaires, et le cancer est devenu la première cause de mortalité dans notre pays. Notre médecine curative est saluée comme étant de très bonne qualité ; en revanche, la prévention est très insuffisante.
La prévention doit porter sur tous les facteurs connus : tabac, alcool, sédentarité, exposition à des cancérigènes professionnels ou d'environnement, perturbations de l'alimentation.
Le seul tabac est responsable du décès, par cancer ou maladie cardiovasculaire, de 73 000 Français chaque année. En un siècle, ce fléau a tué un milliard d'êtres humains dans le monde. Clairement, nos actions de lutte contre le tabagisme sont très insuffisantes, et il est temps d'adopter la culture de l'efficacité. Mon collègue Denis Jacquat et moi-même avons suggéré, dans un récent rapport parlementaire, que l'INCa pilote une stratégie de recherche multidisciplinaire sur le tabagisme, et réalise une nouvelle estimation du coût du tabac pour la collectivité. Ce coût nous semble en effet considérable.
Le dépistage des différents cancers doit être amélioré, en particulier celui du sein qui est le premier des cancers chez les femmes. Le système de dépistage mis en place en France souffre d'une inégale répartition sur le territoire ; surtout, il est moins efficace que chez nos voisins européens. Une fois effectué, et s'il en révèle la nécessité, il n'y a pas d'engagement immédiat dans le processus thérapeutique ; on laisse à la femme la liberté d'en prendre l'initiative. Mieux vaudrait lui donner immédiatement, si elle le souhaite, les rendez-vous pour confirmer le diagnostic et mettre en place les soins nécessaires. Actuellement, il peut s'écouler quelques mois à quelques années entre le premier dépistage et le traitement des femmes atteintes d'un cancer du sein, ce qui provoque des décès supplémentaires. C'est inadmissible.
L'épidémiologie est également insuffisante dans notre pays. La France a d'ailleurs rarement su dépister les causes de cancer. Nous devons développer notre analyse épidémiologique et accélérer l'ouverture des données de santé, en particulier à partir de l'assurance maladie, parce qu'il y a là une source considérable d'informations.
Les traitements du cancer sont onéreux. Pour lutter contre les inégalités, il va falloir développer de nouvelles stratégies dans la fixation des prix. Ce sera là un défi majeur pour l'INCa. Certains nouveaux traitements physiques, comme l'hadronthérapie et la protonthérapie, ne peuvent pas être dispensés en France. Nos malades doivent être envoyés à Heidelberg ou à Pavie pour en bénéficier. Ce n'est pas sain ; nous devons disposer d'au moins un centre de traitement dans notre pays.
La recherche doit être appréhendée sans naïveté. On est loin d'avoir atteint l'objectif de Richard Nixon de vaincre le cancer en dix ans grâce aux moyens supplémentaires qu'il avait décidé de consacrer à cette tâche. Si dix ans s'est avéré un délai réaliste pour le défi de John Kennedy de marcher sur la lune, la lutte contre le cancer réclame des efforts de recherche dans la durée.
Enfin, les cancers sont des maladies chroniques, mais transitoires, puisqu'elles aboutissent soit à la guérison, soit à la mort. Il faut donc s'y adapter et mettre en place une stratégie de parcours de soins plus adaptés, avec une prise en charge non seulement médicale mais aussi sociale. Sur le plan financier, il faudrait mettre fin à la prise en charge du patient par les affections de longue durée (ALD) dès que la guérison peut être prononcée.
Il y a donc beaucoup à faire pour que le nouveau plan cancer donne l'impulsion attendue aussi bien par les professionnels que par les malades.