Intervention de Estelle Grelier

Réunion du 23 juillet 2014 à 11h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Grelier, co-rapporteur :

Je voudrais tout d'abord rappeler quelques éléments de contexte. Nous nous prononçons aujourd'hui sur le projet de budget pour 2015, après que le COREPER a, la semaine dernière, adopté à la majorité qualifiée une position de compromis que le Conseil devrait valiser définitivement après une procédure de consultation écrite le 2 septembre prochain, et alors que la commission des Budgets du Parlement européen se réunit aujourd'hui pour définir sa position.

Force est de reconnaître que les budgets se suivent et se ressemblent. Celui pour 2015 s'inscrit, comme les précédents, dans un contexte difficile.

D'une part, comme notre Commission a déjà eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises, le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 est insuffisant. Il serait d'ailleurs intéressant de voir comment va se traduire concrètement, sur le budget européen, le vaste plan d'investissement de 300 milliards d'euros que le nouveau président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker vient d'annoncer.

D'autre part, l'exécution des crédits en 2013 a été très tendue et elle l'est de nouveau cette année compte tenu, notamment, du faible niveau du budget voté pour 2014, sur lequel nous nous étions d'ailleurs prononcé défavorablement. Ce constat est général. Ainsi, aujourd'hui, au Parlement européen, on parle de crise des paiements et de procédure budgétaire dépassée.

En 2013, 9 budgets rectificatifs ont été nécessaires et ont finalement conduit à augmenter les engagements d'1,2 milliard d'euros et les paiements de 11,6 milliards d'euros, soit près de 8 % du budget !

En outre, la Commission européenne a dû revoir fortement à la hausse ses prévisions de recettes issues des droits de douane à deux reprises en cours d'année, ce qui, compte tenu des répercussions sur les contributions nationales, a déstabilisé les conditions d'exécution nationales.

On se retrouve ainsi avec un Conseil qui sous-évalue systématiquement le volet « dépenses » et une Commission européenne qui a du mal à évaluer le volet « recettes » !

À cet égard, il est assez surprenant de noter que, malgré la demande, faite à l'automne dernier, du Conseil en faveur d'une remise à plat de la méthode de calcul de la Commission européenne, celle-ci n'a encore rien modifié à ce stade et que les prévisions figurant dans le projet de budget pour 2015 sont plus que sujettes à caution !

Ces aléas sur les contributions nationales plaident en faveur d'un financement du budget européen davantage assis sur des ressources propres, comme notre commission l'a déjà demandé. Nous avons d'ailleurs l'intention, avec Marc Laffineur, de nous impliquer fortement dans les travaux qui vont être conduits d'ici à la conférence interinstitutionnelle de 2016 consacrée à l'examen des propositions du groupe à haut niveau présidé par Mario Monti. A cet égard, il conviendrait que, dans un souci d'efficacité, la composition de ce groupe de travail soit rapidement stabilisée. Aujourd'hui composé de dix membres plus le président, il pourrait en effet être remanié à la suite du renouvellement du Parlement européen et de la Commission mais également du souhait exprimé par le Conseil de porter à 4 le nombre de ses représentants, afin d'y inclure un représentant français.

J'en reviens à l'exécution budgétaire, qui semble à nouveau difficile en 2014, puisque la Commission européenne demande une ouverture de 4,7 milliards d'euros en paiements dans son projet de budget rectificatif no 3, dont 4 milliards à partir de la marge pour imprévus, ce qui correspond à la totalité de sa disponibilité.

Toutefois, cette proposition fait débat. En effet, les contributeurs nets contestent les conditions de mobilisation de la marge – les dépenses ainsi couvertes ne correspondant pas, selon eux, à des événements imprévus – et la possibilité de mobiliser la marge pour imprévus au-dessus du plafond fixé en crédits de paiement. Nous avons là, avec Marc Laffineur, une vraie divergence de fond.

Je partage, pour ma part, l'analyse juridique de la Commission européenne selon laquelle l'ensemble des instruments spéciaux (réserve pour aides d'urgence, Fonds de solidarité de l'Union européenne, Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, instrument de flexibilité) peuvent être mobilisés au-delà des plafonds en paiements car, dès lors que c'est possible pour les engagements, cela doit également l'être pour les paiements. En outre, je rappelle que la contrepartie à un cadre financier resserré a été, notamment du côté du Parlement européen, une plus grande souplesse de gestion destinée à permettre, au final, une mobilisation plus importante des crédits. Il faut donc tirer parti de toutes les possibilités offertes.

J'en viens maintenant au projet de budget pour 2015.

L'ensemble des moyens proposés par la Commission européenne pour 2015 s'établit à près de 146 milliards d'euros en engagements et à 142 milliards d'euros en paiements, dont 515 millions en engagements et 225 millions en paiements pour les instruments spéciaux.

Les moyens ainsi prévus pour 2015 représentent, en engagements, 1,04 % du RNB et, en paiements, 1,02 % du RNB. Ainsi, la part de la richesse européenne consacrée au budget européen ne cesse de diminuer : d'1,1 % du RNB en 2013, les crédits de paiement sont passés à 1,04 % en 2014 et devraient représenter 1,02 % du RNB en 2015.

La progression des crédits affichée par la Commission européenne par rapport au budget initial pour 2014 tel que modifié par le budget rectificatif no 1 et les projets de budget rectificatif no 2 et 3, s'établit à 2,1 % en engagements et à 1,4 % en paiements. Cela correspond, compte tenu de l'inflation, à une stabilisation des crédits en volume. Les évolutions par rapport au budget initial pour 2014 font apparaître une progression plus forte s'agissant des paiements : + 5 %.

Il convient par ailleurs de souligner que la proposition de la Commission européenne conduit à saturer le plafond prévu pour les crédits de paiement en 2015 et même à le dépasser, à hauteur de 11 millions d'euros, dans le cadre de la mobilisation de l'instrument de flexibilité au profit de Chypre, qui bénéficie d'un soutien financier exceptionnel dans le cadre des fonds structurels au regard de sa situation économique très dégradée.

La Commission européenne met ainsi les gouvernements, qui ont arrêté les plafonds du CFP en février 2013, devant leurs responsabilités et invite, comme avec son projet de budget rectificatif no 3 pour 2014, à une mobilisation totale des possibilités de souplesse de gestion prévues dans le règlement fixant le CFP et dans l'accord interinstitutionnel.

Pour ma part, j'estime que la proposition de la Commission européenne permet de répondre au mieux aux exigences posées en matière de soutien à la croissance et à l'emploi, compte tenu du contexte financier contraint qui lui a été assigné. On a, à ce sujet, déjà eu l'occasion plusieurs fois de dénoncer la faiblesse des plafonds retenus dans le CFP.

Je considère par conséquent que la position du Conseil, qui suggère de réduire les engagements de 522 millions d'euros et les paiements de 2,1 milliards d'euros – la France préconisait même une coupe de 4 milliards –, n'est pas cohérente avec les annonces faites sur les priorités de l'Union et ne permet pas d'assurer le respect de l'obligation faite par le TFUE de veiller « à la disponibilité des moyens financiers permettant à l'Union de remplir ses obligations juridiques à l'égard des tiers ». S'il est voté en l'état, le budget pour 2015 nécessitera très rapidement un budget rectificatif. La Commission des budgets du Parlement européen se réunit aujourd'hui même pour définir sa position ; tout semble indiquer qu'elle sera favorable à la proposition de la Commission européenne.

Il faut en effet souligner que cette proposition présente l'intérêt de mettre l'accent sur la rubrique qui concentre les crédits en faveur de la croissance, avec notamment la priorité accordée au programme Horizon 2020 et au programme « COSME » en faveur de PME.

Elle permet en outre de confirmer ce que nous avions demandé, à savoir la concentration en début de cadre financier des financements en faveur de l'Initiative pour l'emploi des jeunes ainsi que des moyens en faveur de la recherche, du programme « ERASMUS + » et du programme « COSME ».

Si les moyens relatifs à la rubrique 2, qui porte notamment la politique agricole commune, sont globalement stabilisés, la dotation du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche progresse de manière soutenue. Il s'agit en effet d'accompagner sa montée en puissance et je m'en félicite.

Sur la rubrique « Citoyenneté et sécurité », ce sont les fonds relatifs aux questions migratoires et de sécurité qui apparaissent comme prioritaires.

S'agissant des moyens destinés à la politique extérieure de l'Union, une attention particulière est, bien entendu, accordée à l'Ukraine.

La rubrique 5, qui regroupe l'ensemble des moyens des institutions européennes, voit ses crédits augmenter de 2,5 %, notamment compte tenu de la progression des pensions.

Le rapport d'information donne le détail précis de la ventilation et de l'évolution des crédits au sein de chaque rubrique.

Au-delà des priorités ainsi affichées, le projet de budget pour 2015 permet-il d'inverser la progression continue des restes à liquider, c'est-à-dire des engagements pris mais non encore couverts par des paiements, qui s'élèvent à 222 milliards d'euros fin 2013 ?

Non, le projet de budget pour 2015 ne le permet pas. S'il est normal que, dans un budget d'investissement, il y ait un décalage entre les engagements et les paiements, l'accumulation et la progression continue du reste à liquider est inquiétante. C'est le symptôme d'un processus de décision budgétaire obsolète.

Bien que 40 % des crédits de paiement demandés pour 2015 soient destinés à couvrir des engagements antérieurs, le reste à liquider devrait continuer à progresser en 2015.

S'il est normal qu'il existe un décalage entre les engagements et les paiements dans un budget centré sur l'investissement, l'aggravation continue du reste à liquider et l'incapacité à inverser cette tendance sont inquiétantes.

Autre sujet d'inquiétude, les prévisions de recettes douanières de la Commission européenne. C'est quand même un comble que la Commission européenne, qui exige la mise en place d'autorités indépendantes dans les Etats membres pour assurer de la fiabilité des prévisions économiques, produise des estimations de recettes si éloignées de la réalité.

S'agissant de la question des rabais dont bénéficient certains Etats comme l'Allemagne, ceux-ci ont disparu de manière temporaire, ce qui permet de limiter, en France, le prélèvement sur recettes au profit de l'Union, sur lequel nous aurons un débat cet automne et je vous en remercie Madame la Présidente. Mais la nouvelle décisions ressources propres devrait entrer en vigueur en 2016, réintroduisant des mécanismes de correction avec un effet rétroactif au 1er janvier 2014, ce qui va provoquer un ressaut important du prélèvement sur recettes et peser d'autant sur le budget français.

Aussi, je souhaiterais que les contributions nationales soient retirées du calcul du solde public dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Je sais que la présidence italienne est favorable à l'examen de ce point. Nous nous devons de le soutenir.

Je voudrais enfin souligner que les comparaisons entre un budget européen en progression et des budgets nationaux resserrés doivent être appréhendées avec prudence, car le budget européen, centré sur l'investissement, constitue un levier de croissance et d'emploi.

Les conclusions qui vous sont présentées reprennent ces idées. Je tiens en particulier à indiquer que, s'agissant du Fonds européen d'aide aux plus démunis, il est regrettable qu'un cofinancement soit désormais exigé, alors que ce n'était pas le cas auparavant, quand l'aide aux plus démunis était inscrite sur la rubrique agricole. Par ailleurs, nous avons avec Marc Laffineur un vraie divergence sur l'évolution des effectifs des institutions européennes, car j'estime que l'objectif de 5 % de réduction ne peut pas s'appliquer aux institutions qui ont vu, avec les nouveaux traités, leurs pouvoirs croître dans le triangle institutionnel. Comment le Parlement européen pourrait-il être astreint à cet objectif de 5 % ?

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