Les chiffres que nous citons sont inconcevables au sens où l'on ne sait pas exactement de quoi on parle quand on évoque des milliards de tonnes de carbone. La température étant un paramètre très familier, la hausse de quatre degrés de son niveau planétaire moyen depuis l'ère glaciaire nous permet de mesurer un peu mieux la portée de chiffres apparemment modestes quant à l'évolution de l'environnement et des écosystèmes de la planète.
Or le réchauffement va se poursuivre, jusqu'à produire une hausse de température de deux à cinq degrés au cours du xxie siècle par rapport à l'ère préindustrielle. Cela implique des ruptures et des bouleversements que nous avons beaucoup de mal à concevoir, à décrire et à expliquer. À titre d'illustration, lors de la canicule de 2003 en France, l'anomalie de température était de 3,1 degrés sur les trois mois d'été ; sur l'année, elle a été de 0,5 degré à l'échelle planétaire. En d'autres termes, les variations de la température moyenne globale par rapport à la normale sont localement parfois atténuées, parfois amplifiées, et les valeurs peuvent encore augmenter à mesure que l'on se rapproche de l'échelle saisonnière, voire quotidienne. Autrement dit, une hausse de deux ou quatre degrés de la température moyenne globale pourrait se traduire chez nous par des températures estivales supérieures de dix degrés aux moyennes mesurées jusqu'à présent.
Par ces chiffres, je cherche à vous donner une idée de l'ampleur de la rupture à laquelle nous sommes confrontés. Nous observons aujourd'hui un système climatique dont nous n'avons pas l'histoire, pour lequel nous n'avons pas de climatologie. Les 8.5 du scénario RCP8.5 correspondent à 8,5 watts supplémentaires par mètre carré à l'échelle planétaire, soit une modification assez subtile du bilan radiatif de la planète ; une ampoule de 8,5 watts pour chaque mètre carré de la planète suffit à produire ces résultats considérables.
Les observations réalisées et les travaux scientifiques qui les expliquent sont peut-être plus préoccupants encore que le rapport du GIEC, lequel consiste en une synthèse des publications scientifiques des années passées. Les travaux d'Anny Cazenave, de l'Académie des sciences, sur le niveau de la mer nous montrent par exemple que les résultats publiés dans le dernier rapport du GIEC à propos de la célérité, de l'amplitude de la fonte des glaces et de la montée de la mer sont déjà dépassés.
Notre travail scientifique consiste à améliorer le diagnostic. On parle souvent de l'augmentation du nombre de tempêtes en France, mais nous n'en avons aucune preuve statistique solide. L'ensemble de la communauté travaille sur les événements extrêmes, sur des paramètres que nous avons encore du mal à documenter, se replonge dans les archives des décennies et des siècles passés et tente de reconstituer les climats d'alors, jusqu'aux paléoclimats les plus anciens, pour comprendre le fonctionnement du système planétaire. Nous espérons ainsi améliorer notre capacité de modélisation et de projection fine des évolutions du climat de la planète et de ses conséquences dans tous les compartiments, les écosystèmes, la biosphère, la végétation, les océans, la vie océanique, etc.
Toutefois, la principale incertitude qui affecte nos prévisions n'est pas liée à notre capacité de compréhension du système et de modélisation, mais bien aux scénarios d'émissions de gaz à effet de serre que l'homme choisira et à leurs conséquences sur la planète. D'où l'importance de la conférence dite « COP 21 », pour que l'humanité tout entière décide d'une trajectoire qui atténue cette évolution.
Enfin, ce travail doit être traduit et communiqué à nos concitoyens – population, entreprises, élus – afin que des mesures d'adaptation soient prises. Même si l'avenir reste très incertain, les résultats fournis par la communauté scientifique comportent des éléments tout à fait robustes concernant l'augmentation des températures et ses effets, de sorte qu'il est dès à présent possible de prendre des décisions que nous n'aurons pas à regretter, dussions-nous cheminer à petits pas. Tels sont les principes fondamentaux de l'adaptation. La hausse de la température dictant l'évaporation et la réponse du cycle de l'eau quelle que soit l'évolution des précipitations, il va y avoir davantage de sécheresse et de difficultés d'accès à l'eau, ce qui nous impose une gestion plus intelligente, plus rigoureuse et plus économe de cette ressource.
Voilà le type d'informations que nous nous efforçons de diffuser dans le cadre des « services climatiques », sur lesquels nous pourrons revenir.