Intervention de Pascal Faure

Réunion du 8 juillet 2014 à 16h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Pascal Faure, directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS au ministère de l'économie, du redressement productif et du numérique :

J'aborderai successivement le contexte général de l'expatriation, la situation de la France, les éléments d'explication ainsi que les mesures que l'on peut prendre pour infléchir les tendances constatées, en me plaçant plutôt d'un point de vue économique, en raison des fonctions qui sont les miennes.

Au préalable, je rappelle que les données et statistiques disponibles sont d'une exactitude variable et que la DGCIS est en charge, au sein de Bercy, de tout ce qui touche aux entreprises de manière à la fois sectorielle et transverse – pour ce qui concerne par exemple les politiques horizontales de soutien à l'innovation ou à la création et à la croissance des entreprises –, ce qui nous place en effet dans une situation d'observateur et d'acteur privilégié.

S'agissant du contexte général, on constate depuis vingt ans un accroissement des mouvements migratoires internationaux : il y a aujourd'hui 232 millions de migrants recensés, c'est-à-dire de personnes vivant durablement en dehors de leur lieu de résidence habituel, en général de leur pays d'origine. Au cours des dix dernières années, ce nombre de migrants a augmenté de 65 % dans les pays du nord et 34 % dans ceux du sud. Cette tendance s'est d'ailleurs accélérée lors de la dernière décennie, puisque le nombre total de migrants y a crû deux fois plus vite que lors de la précédente.

Mais, l'immigration de travail ne représente qu'une faible partie de l'immigration totale, soit 5 % en 2010 dans l'ensemble du monde, taux pouvant aller jusqu'à presque 10 % aux États-Unis. L'essentiel des phénomènes migratoires est, en effet, lié à des raisons familiales ou concerne des étudiants. On constate aussi que la part des personnes qualifiées a beaucoup augmenté ces dernières années, ce qui a des conséquences économiques importantes.

En outre, l'immigration professionnelle est circulaire, en ce sens que les gens sont mobiles et vont d'un pays à l'autre, la mobilité internationale est de moins en moins perçue dans les pays d'origine de ces flux comme une fuite de cerveaux mais davantage comme un atout, puisqu'elles permettent l'acquisition de formations et d'expériences, très valorisées au sein des élites notamment.

S'agissant de la France, on observe le même phénomène d'accélération des flux, même si ceux-ci ne sont pas toujours bien recensés, l'immatriculation des Français installés à l'étranger n'étant pas obligatoire.

On recensait ainsi 1,6 million de Français expatriés en 2013, auxquels s'ajoutent, selon les estimations, 500 000 non-inscrits, soit plus de 2 millions au total. Ce nombre s'est accru d'un tiers ces dix dernières années et a doublé en vingt ans. La tendance est régulière puisqu'on ne constate pas de rupture ou de fort infléchissement. Pour plus de la moitié des cas, nos expatriés habitent dans des pays de l'Union européenne, c'est-à-dire notre zone d'influence économique directe.

Si je compare la France à d'autres pays européens, les ressortissants français à l'étranger sont cependant en plus petite proportion que ceux de nos pays voisins, puisque le taux d'immigration est de 2,9 %, contre 5,2 % pour les Allemands, 7,6 % pour les Britanniques et 6 % pour les Italiens, pays qui connaissent également une croissance de l'expatriation.

Les cadres d'entreprise représentent 33 % et les professions libérales presque 10 %. Par ailleurs, 15 % des jeunes diplômés ont commencé leur carrière à l'étranger en 2013, phénomène qui s'accroît, ce qui me paraît assez souhaitable, l'acquisition d'une expérience à l'échelle internationale en début de carrière étant un atout pour la poursuite de celle-ci et le développement économique des entreprises, qui ont besoin de s'internationaliser pour se développer.

Si on n'a guère de statistique récente et fiable sur les flux sortants de scientifiques français, ceux-ci tendent à croître : le nombre de chercheurs établis à l'étranger est de 2 %, soit un taux moindre que pour l'Italie ou le Royaume-Uni. Ce qui me laisse à penser qu'il n'y a pas d'exil véritable de notre potentiel de recherche. Globalement, si nous accueillons plus de chercheurs que nous n'en laissons partir, ceux qui partent sont probablement les plus qualifiés ou renommés, ou parmi les plus productifs. Ainsi, en 2006 les dix biologistes français expatriés les plus productifs, aux États-Unis, publiaient autant que l'Institut Pasteur dans son ensemble.

Quant aux entrepreneurs, près de deux Français sur dix à l'étranger étaient, en 2013, des créateurs d'entreprise, contre un sur dix il y a dix ans. Mais, pour la plupart, ces personnes avaient déjà des liens avec le pays dans lequel elles ont créé leur entreprise, soit comme étudiant ou comme salarié ou parce qu'ils y ont des liens familiaux : leur départ n'est donc pas forcément motivé par cette création. En revanche, si des jeunes créent d'emblée leur entreprise à l'étranger c'est en bonne proportion parce qu'ils ne trouvent pas en France les fonds propres nécessaires.

La question est de savoir si ces flux de départ – qui sont souhaitables pour que les intéressés acquièrent des expériences et pour permettre une « respiration » naturelle de la population française – sont pénalisants pour notre économie parce qu'ils ne seront pas compensés par des flux entrants. Or, il faut constater que les investissements étrangers en France créant de l'emploi se maintiennent à des niveaux élevés en nombre de projets. Notre pays est une destination de premier ordre pour les investissements directs étrangers : 20 000 entreprises étrangères y sont installées et il y a près de 700 décisions nouvelles d'investissement étranger en France par an, après un pic de 782 en 2010, contre 630 à 690 les années précédentes.

La France est la première destination européenne pour les investissements étrangers dans l'industrie en nombre de projets, le deuxième pays d'accueil des projets d'investissement étrangers en Europe de manière générale et la deuxième destination pour le nombre d'emplois créés. L'attrait de la France me semble donc important, même s'il est perfectible, j'y reviendrai. On ne constate donc pas une dissymétrie forte entre un exil croissant et des entrées économiques peu importantes.

D'ailleurs, le poids économique des entreprises étrangères en France est essentiel : il représente 2 millions de salariés, 29 % de la recherche et développement réalisée par les entreprises et le tiers de nos exportations.

Cependant, la France, qui occupait le deuxième rang européen jusqu'en 2008 en matière d'attrait de sièges sociaux, est passée à la cinquième place : on a enregistré 18 implantations en 2013, là où le Royaume-Uni en a recensé 29, les Pays-Bas 25 et l'Irlande 24. Cette évolution interpelle, car elle peut avoir des conséquences en termes d'emploi et en termes fiscaux par perte d'assiette.

Ce qui intéresse avant tout les étrangers en France, ce sont nos infrastructures de communication et de transport et la taille de notre marché. Sont considérés à l'inverse comme des handicaps ce qui touche au coût du travail, à la fiscalité et au droit du travail. Ce qui fragilise notre pays, c'est aussi l'instabilité fiscale et réglementaire qui est jugée trop grande par rapport aux temps du cycle des investissements étrangers en France, qui ont besoin de visibilité sur huit, dix ou quinze ans.

Le cadre fiscal de la France est trop peu incitatif pour le développement et l'attrait des entreprises étrangères, notamment s'agissant de la fiscalité sur les plus-values. J'entends souvent que les créateurs d'entreprises qui réussissent et veulent revendre leur entreprise le font souvent pour continuer à créer d'autres entreprises : ils sont donc plus sensibles à la fiscalité des plus-values de cession qu'à l'impôt sur les sociétés. De plus, les prélèvements fiscaux sur les entreprises représentent 5 % du PIB en France contre 3 % en Allemagne. Il est incontestable que la France est pénalisée en la matière.

Le droit du travail français est considéré comme un frein parce qu'il est perçu comme trop complexe, notamment par les petites entreprises, et manquant de souplesse, tant à l'embauche qu'au licenciement. Il ne permet pas aux entreprises de s'ajuster facilement aux conditions de leur marché. À cela s'ajoutent d'autres freins, comme la complexité du bulletin de paye, etc.

En ce qui concerne les jeunes créateurs d'entreprise, le fait le plus déterminant qui les incite à partir à l'étranger est la difficulté d'accéder au financement pour les fonds propres dans notre pays. C'est d'ailleurs en ce qui concerne le capital-risque que l'écart est le plus grand entre ce qu'on est capable d'offrir en France et dans l'Union européenne ou aux États-Unis. Comme c'est un maillon essentiel pour le développement des entreprises, cet écart créé une appétence forte pour aller voir ailleurs. Il faut donc regarder de près ce phénomène – lié à une culture du risque moins développée chez nous – afin d'en limiter les conséquences.

Enfin, l'État a pris un certain nombre de mesures pour rendre plus attractif notre pays : la baisse du coût du travail – nous avons en effet perdu en dix ans notre avantage de compétitivité par rapport à nos voisins allemands – grâce au pacte de responsabilité et de solidarité qui s'est ajouté au crédit d'impôt compétitivité emploi – CICE ; l'accord national interprofessionnel de janvier 2013, qui a donné davantage de souplesse en matière d'embauche ; les mesures en faveur de la simplification administrative, qui est indispensable et passe notamment par la transmission en une seule fois de certaines informations par les entreprises ou la désignation d'un interlocuteur unique territorial pour les porteurs de projet qui veulent investir ; l'accord implicite de l'administration au bout de deux mois ; l'effort sur la recherche et l'innovation pour essayer de conserver et d'attirer les talents, avec les 34 projets de la nouvelle France industrielle, le crédit d'impôt recherche, les pôles de compétitivité ou le concours mondial d'innovations.

Par ailleurs, il est essentiel d'avoir dans notre pays des écosystèmes, c'est-à-dire des lieux regroupant toutes les conditions pour que la création d'activité puisse se développer de manière rigoureuse. C'est ce que cherchent les créateurs d'entreprise qui sont besoin de conseils, de partenaires académiques ou financiers,… Ces lieux existent depuis longtemps comme la Silicon Valley aux États-Unis, ou ont été créés plus récemment comme la Tech City à Londres. Même si on a déjà tous les ingrédients pour les constituer, il fallait les rendre visibles de l'étranger. D'où les démarches actuelles, notamment celle de la « French tech », consistant à labelliser et identifier ces lieux – il y en aura probablement une dizaine ou une vingtaine en France.

Si donc les flux migratoires croissent, la France n'y échappe pas, sans faire la course en tête. Au vu des mouvements entrant, elle est plutôt bien placée, mais il faut être vigilant car la compétition est très forte et il faut prendre des mesures pour développer l'attrait du pays.

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