Merci pour vos appréciations.
Très souvent, sur ce sujet, on manque d'outils objectifs pour appréhender la réalité, ce qui appelle, encore une fois, une certaine prudence. En effet, quand on creuse, on s'aperçoit que la réalité ne correspond pas toujours à ce qu'on lit par ailleurs.
Je n'ai pas de chiffres sur le nombre d'Européens entrés sur notre territoire, mais je peux essayer de vous en trouver.
En revanche, on arrive à mesurer la durée de séjour en France des étrangers qui rentrent pour des raisons professionnelles pour la première fois : au bout d'un an, environ 40 % sont repartis, au bout de trois ans, 50 % d'entre eux, et au bout de sept ans, plus de 60 %. Le temps de séjour médian est donc à peu près de trois ans. On doit avoir des chiffres semblables pour les Français allant dans des pays comparables à la France.
La France dispose d'avantages majeurs, liés non seulement à la taille de son marché et à la qualité de ses infrastructures, mais aussi à celle de son système de soins et de son système éducatif – facteur important pour les cadres, qui décident du lieu d'implantation et viennent généralement avec leur famille. Or ces deux systèmes sont bien perçus à l'étranger, nonobstant les études PISA.
Les profils internationaux tendent à devenir la règle pour toutes les entreprises, françaises ou étrangères : le directeur des ressources humaines ou celui de l'exploitation sont souvent d'une nationalité différente de celle d'origine de l'entreprise. Donc, ces gens-là étudient les CV qu'ils reçoivent selon des critères internationaux. Nous avons nos critères, notamment s'agissant des diplômes même si parfois l'étranger comprend mal la hiérarchie et la renommée de certaines de nos écoles. Pour que ces profils soient compréhensibles par des recruteurs étrangers, il faut respecter un certain nombre de standards. C'est à cette condition que l'on trouvera les personnes nécessaires s'implanter et se développer à l'étranger. Il faut donc améliorer nos compétences.
Mais il faut aussi faire venir des étrangers en France, car nous avons besoin d'ambassadeurs de notre pays à l'extérieur. Former ou avoir des cadres étrangers dans nos entreprises fait de ceux-ci des potentiels acheteurs, ce qui est très important dans certains pays en développement.
S'agissant des sièges sociaux, il faut aussi prendre les chiffres avec prudence. La perte d'attrait depuis 2008 tient aux handicaps que j'ai cités, mais aussi au déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale hors d'Europe. Quoi qu'on en pense, les entreprises sont obligées de regarder cela. L'exemple de Schneider le montre : cette société se développe en Asie. Même si le siège est resté en France, le siège opérationnel, lui, s'est déplacé en Asie. Nous sommes dans une phase de l'histoire économique qui fait que, toutes choses égales par ailleurs, d'autres zones du monde sont plus attrayantes que nous.
Quant aux entreprises familiales, elles sont dans une logique particulière. Elles ont un rapport aux capitaux et à la transmission atypique. Elles ont du mal à ouvrir les premiers à des tiers car la famille craint de perdre la maîtrise de l'entreprise. Ces entreprises sont confrontées à un problème de générations, car les jeunes générations ne sont pas prêtes à reprendre le flambeau. Cela rend l'ouverture indispensable, sinon cela peut conduire soit à leur fragilisation puis à leur reprise par des investisseurs étrangers, soit à leur disparition progressive. Certaines entreprises familiales ont du mal à évoluer. Quand vous avez créé votre entreprise, vous avez du mal à la transformer par rapport à l'idée que vous vous en êtes faite à l'origine. Leur défi est aujourd'hui de diversifier leurs capitaux et leur management.
Il est vrai que les entreprises ne se réimplantent pas toujours à l'endroit où elles étaient localisées avant leur départ. J'ai le souvenir de certaines qui se sont relocalisées dans un site où le coût de l'énergie était bien moins cher que là où elles étaient initialement. Nous avons d'ailleurs développé un outil, qui s'appelle Colbert 2.0, permettant, à partir d'un certain nombre de paramètres, de mesurer l'intérêt qu'il y a à se relocaliser en France.
Les instabilités géopolitiques et climatiques sont en effet un facteur de retour car la raison guidant la décision de délocalisation était l'opportunité de marché. Mais une fois installé à l'étranger, on est confronté aux difficultés opérationnelles : ce sont les facteurs de coût et de production qui prennent le dessus et on peut prendre conscience de difficultés qu'on avait sous-estimées au moment du départ, ce qui peut inciter à revenir. J'ai en tête l'exemple d'une entreprise fabriquant des équipements en fonte ou en acier en Asie, qui a préféré revenir en raison d'une moindre qualité du travail sur place et de problèmes d'approvisionnement.
S'agissant des contrôles fiscaux, je pense que les procédures administratives en général doivent être conduites dans des délais maîtrisés, car les entreprises ont des temps de cycles opérationnels très courts. Dans un monde ouvert l'excellence administrative exige de répondre dans des délais courts. C'est la raison pour laquelle la décision d'accord implicite de l'administration au bout de deux mois me paraît indispensable. Toute mesure qui s'inscrit dans une limite de temps donnée offre de la visibilité à l'entrepreneur et doit donc être recherchée, sans dégrader pour autant la qualité du travail administratif bien sûr.
Enfin, il faut essayer de garder les bureaux d'études en France, car ils ne sont pas liés à l'accès aux marchés ni à un gain logistique. Pour la recherche appliquée, les mécanismes tels que le crédit d'impôt recherche étendu au crédit d'impôt innovation ou le dispositif des jeunes entreprises innovantes, qui rendent notre territoire attrayant, doivent être maintenus, car ils permettent aussi de conserver durablement le siège social.