Intervention de Arnaud Vaissié

Réunion du 16 juillet 2014 à 17h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Arnaud Vaissié, président d'International SOS et de CCI France International :

Monsieur le président, mesdames et messieurs, je suis heureux de participer aux travaux de votre commission d'enquête et vous remercie de votre invitation.

J'ai passé en effet plus de vingt-cinq ans à l'étranger : d'abord aux États-Unis, en travaillant pour le compte d'un groupe français puis d'un groupe allemand, ensuite en créant mon propre groupe International SOS, à Singapour, en 1985. Ce dernier est devenu aujourd'hui le leader mondial de l'assistance médicale et de la sécurité. Je suis resté trois ans aux États-Unis, puis treize à Singapour et dix en Grande-Bretagne, avant de revenir en France il y a quatre ans. Mais je continue à travailler, au moins la moitié de mon temps, à l'étranger, surtout en Grande-Bretagne.

Je me suis beaucoup investi dans les activités françaises à l'étranger : l'Alliance française que je dirigeais à Singapour, j'ai été conseiller du commerce extérieur de la France, et j'ai présidé la chambre de commerce et d'industrie française de Londres. Je dirige maintenant le réseau des Chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger. Il s'agit d'un réseau de 113 chambres de commerce, implanté dans 83 pays, extrêmement influent dans le monde, avec 32 000 entreprises adhérentes, dont la moitié est française et l'autre moitié locale. Sa vocation est de représenter les intérêts économiques français à l'étranger et d'aider les PME à l'exportation. C'est un excellent poste d'observation de ce qui se passe à l'étranger, et en particulier en Grande-Bretagne, où j'ai dirigé la chambre de commerce pendant six ans.

Par ailleurs, les écoles y sont maintenant sous la responsabilité de la chambre de commerce, qui en nomme le président et c'est moi-même, en tant que représentant de la chambre de commerce française, qui dirige le collège français bilingue ainsi que le nouveau lycée qui va s'ouvrir à Londres. Les écoles sont un point de focalisation et de passage – souvent obligé – pour tous les Français qui bougent.

Mais venons-en à International SOS, dont le métier est de gérer la santé et la sécurité pour les multinationales et les gouvernements en dehors des pays d'origine. Notre plus grand client est le département de la défense américain, pour lequel nous gérons la santé de tous les soldats américains dans le monde. En France, nous gérons la santé et la sécurité de 80 % des groupes du CAC 40. Nous sommes présents nous-mêmes dans 75 pays.

Ce groupe, avec 11 000 cadres, emploie un millier de Français, répartis entre notre filiale française et le reste du monde. Le personnel du groupe est composé pour moitié de médecins, et pour moitié de cadres sortis de grandes écoles ou universités du monde entier. Nous réalisons chaque année une dizaine de milliers d'entretiens d'embauche avec des Français.

D'un autre côté, nous avons constaté que nos chambres étaient de plus en plus souvent sollicitées par des jeunes, mais aussi par des seniors, qualifiés et non qualifiés, qui venaient frapper à nos portes pour trouver un travail. Si le nombre de ces personnes a augmenté considérablement, c'est parce qu'elles ont le sentiment que le marché du travail à l'étranger, en Europe – en particulier en Europe du Nord – est infiniment plus favorable que le marché du travail en France. Nous essayons de répondre le mieux possible à cette demande, au travers des services de recrutement que les chambres de commerce ont mis en place dans 48 pays – d'ailleurs souvent en délégation de service public de l'État français et des services consulaires du ministère des Affaires étrangères.

Par tradition, la population française est beaucoup moins ouverte à l'étranger que, par exemple, la population britannique. Pendant très longtemps, les Français n'aimaient pas partir à l'international, non seulement parce que le mode de vie est plus agréable en France, mais aussi par manque de connaissance de l'étranger, en raison d'une vraie crispation vis-à-vis de la mondialisation et d'une insuffisante maîtrise de l'anglais. Cette dernière semble d'ailleurs perdurer. Il ressort en effet d'une enquête publiée en décembre 2013 par le journal Le Monde que nous soyons les derniers de tous les pays européens en ce domaine, et même que notre niveau d'anglais baisse d'année en année.

Malgré tout, la situation change, du fait de la globalisation et de l'accroissement des échanges. Le monde s'internationalise et partout, les gens sont de plus nombreux à sortir de leur pays d'origine, ce qui est une bonne chose. On note en France une augmentation régulière d'environ 2 % par an. Aujourd'hui, il y a 2,5 millions de Français à l'étranger – 1,6 million d'immatriculés, et environ 900 000 de non immatriculés. En Grande-Bretagne, il y aurait au moins 350 000 Français – dont un peu moins de la moitié sont immatriculés.

Ces départs étaient jusqu'à présent motivés par des raisons professionnelles et d'éducation. Maintenant, ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, si l'on y trouve du travail, il est plus facile de s'installer à Londres qu'à Lyon – il y a moins de papiers à remplir. Il n'y a plus aucun barrage à la mobilité. C'est ce que nous avons tous voulu, à travers l'Union européenne. Mais ce qui est préoccupant, c'est que cette expatriation touche maintenant toutes les tranches d'âge et toutes les catégories socioprofessionnelles. Historiquement, les expatriés étaient des cadres d'entreprise ou des fonctionnaires envoyés à l'étranger. Ce sont maintenant surtout des gens qui sont venus trouver un emploi local à l'étranger. À Londres, les Français qui travaillent pour des entreprises françaises constituent aujourd'hui une petite minorité.

Parmi les Français qui s'installent à l'étranger, toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées, depuis les non qualifiés qui ne trouvent pas de travail en France – en partie en raison de la concurrence des personnes qualifiées et du haut niveau du SMIC – jusqu'aux cadres dirigeants de grands groupes. De plus en plus souvent, les membres des comités exécutifs de grands groupes français ne rentrent plus en France – en partie pour des raisons fiscales. Cela a un aspect positif pour les groupes, qui sont de plus en plus internationaux, mais un aspect négatif pour notre pays, qui n'est plus leur centre d'intérêt. À partir du moment où l'on ne vit pas en France, on a tendance à privilégier les investissements dans les pays où les conditions d'investissement sont les meilleures ; or aujourd'hui, la France n'est clairement pas la mieux placée de ce point de vue. Si le centre des décisions n'est plus à Paris ou en France, la probabilité que les décisions se fassent en faveur de la France diminue. Et ce risque est réel.

Il en est de même parmi nos jeunes. Dans 23 % des cas, le premier emploi occupé par les diplômés d'écoles de commerce membres de la Conférence des grandes écoles est basé à l'étranger – soit une accélération extraordinairement rapide. De la même façon, les élèves de terminale du lycée français de Londres, qui est réputé comme étant un des meilleurs, si ce n'est le meilleur lycée français à l'étranger, partent à 80 % dans l'enseignement britannique ou international. Ils ne rentrent plus en France pour intégrer, comme c'était traditionnellement le cas, des classes préparatoires ou les meilleures universités.

Quelles sont les raisons de ces expatriations ? Pour les jeunes, le job et les perspectives de carrière. Pour ceux qui ont des salaires élevés, des responsabilités importantes ou de la fortune, essentiellement la fiscalité. Aujourd'hui, l'écart de fiscalité est devenu si grand entre la France et n'importe quel autre pays de l'Union européenne que la proportion de ceux qui décident de partir ne cesse d'augmenter. Et le phénomène ne va pas s'arrêter là.

Prenons l'exemple des stock-options et des actions. Aujourd'hui, mon groupe distribue gratuitement des actions aux salariés. Entre la même action distribuée à un salarié basé en Belgique, en Grande-Bretagne, en Allemagne et à un salarié basé en France, l'écart de fiscalité est de un à quatre. Cela signifie, plus généralement, qu'une action gratuite ou une stock-option accordée à un cadre français a relativement peu d'intérêt pour lui, alors que c'est un élément essentiel pour un cadre basé dans les autres pays de l'Union européenne – et je ne parle même pas du reste du monde. C'est extraordinairement préoccupant, dans la mesure où cet écart touche des cadres à haute responsabilité, dont le déplacement s'accélère vers les pays proches, comme la Suisse, la Belgique ou la Grande-Bretagne, mais aussi maintenant vers le grand international. C'est clairement l'indication d'une baisse d'attractivité et de compétitivité du territoire national.

La France se vante, à juste titre, du crédit impôt recherche – CIR – qui a permis que de nombreux centres de recherche étrangers soient présents en France. Ces derniers ont été attirés par un avantage fiscal – d'ailleurs très coûteux pour nos finances publiques. Mais ce qui est valable dans un sens est valable dans l'autre sens : si l'on impose à nos dirigeants et nos cadres supérieurs une fiscalité beaucoup plus lourde en France qu'à l'étranger, on les pousse à quitter notre territoire.

Le cas des jeunes me semble moins préoccupant. L'internationalisation de notre jeunesse est un plus. En revanche, il faut créer les conditions de leur retour, pour éviter qu'ils ne se détachent du pays. Comment ?

D'abord, il est absolument essentiel de continuer à développer le réseau des écoles françaises à l'étranger, qui coûte extrêmement peu aux finances publiques et a pour avantage de garder les familles dans la sphère culturelle française. Les enfants qui ne sont plus dans un système scolaire français parlent notre langue avec un accent et on peut dire que, culturellement, ils ne sont plus là. La France est souvent pour eux le pays des vacances, mais ce n'est plus le pays au centre de leur vie. Les enfants qui sont allés dans les lycées français se sont créé des valeurs françaises, des amis français, et nous avons une chance de les récupérer. Voilà pourquoi il faut faire vivre le réseau des écoles françaises à l'étranger, alors que ce n'est pas la tendance du moment. Par exemple, il est très difficile d'obtenir des détachements de professeurs français pour partir à l'étranger.

Ensuite, il faut davantage valoriser les expériences acquises à l'étranger, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, notamment dans les entreprises. Et si le retour ne se fait pas dans de bonnes conditions, le risque est qu'il n'y ait pas de retour.

Le départ des élites est préoccupant quand il est lié à des raisons fiscales que l'on pourrait éviter. En revanche, c'est une bonne chose dans la mesure où il permet d'internationaliser le pays. Mais alors, il faut créer des conditions de fluidité : accepter que les gens partent et qu'ils reviennent. Aujourd'hui, le risque est que les gens partent et restent à l'étranger.

Enfin, la France crée beaucoup de sociétés nouvelles, de start-ups. Mais il y a un vrai risque de flipping : dès que la société est de bonne qualité, elle installe sa maison mère en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. C'est de plus en plus fréquent, et aucun texte réglementaire ne pourra l'empêcher. La seule façon de l'empêcher est d'augmenter l'attractivité et la compétitivité françaises.

Vous devez réaliser que ce qui s'est passé au cours des trois dernières années sur le plan fiscal a créé un tel décalage entre la France et ses voisins qu'aujourd'hui les conditions de ces départs sont réunies, et qu'il n'y a aucune raison qu'ils se ralentissent.

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