Intervention de Harlem Désir

Réunion du 2 juillet 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des Affaires européennes :

Je vous remercie de votre invitation pour cette audition conjointe des deux commissions, qui fait suite au Conseil européen des 26 et 27 juin derniers. Le Conseil européen a d'abord été marqué par un moment de commémoration à Ypres, où le Président du Conseil européen Herman Van Rompuy avait souhaité réunir pour un dîner à l'occasion du centenaire de la Première guerre mondiale les chefs d'Etat et de gouvernement. Cette réunion s'est tenue dans des conditions très émouvantes, à deux jours de l'anniversaire de l'attentat de Sarajevo. Ce Conseil a été également marqué par la rencontre le 27 juin à Bruxelles du Président ukrainien Porochenko et par la signature de trois accords d'association, avec l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. Il s'agissait d'un Conseil particulièrement important, au lendemain des élections européennes puisque les Chefs d'Etat ou de gouvernement devaient désigner le candidat à la Présidence de la Commission européenne et ont adopté un programme stratégique, c'est-à-dire une feuille de route, des priorités assignées à l'Union européenne pour les cinq prochaines années. Cette démarche était inédite, puisque jamais auparavant n'avait été adopté un programme stratégique avant l'investiture de la Commission européenne.

Ce Conseil européen est assurément un succès. D'abord pour l'Europe, car le débat sur le futur Président de la Commission européenne, même s'il a pris beaucoup de place dans la couverture médiatique de l'évènement et le temps de travail des chefs d'Etat et de gouvernement, n'a pas occulté l'enjeu essentiel que constituait la définition des priorités pour les cinq prochaines années. C'est ce qu'attendaient nos concitoyens.

Même si nous avons connu certaines difficultés, puisqu'il n'existait pas au départ d'unanimité, le Royaume-Uni n'est pas parvenu à enrayer la dynamique de décision démocratique : il revenait bien à Jean-Claude Juncker, leader de la formation politique arrivé en tête, d'être désigné comme candidat au poste de Président de la Commission européenne.

Ce Conseil est aussi un succès pour la France car la contribution française, « l'Agenda pour la croissance et le changement », transmis à nos partenaires en amont du Conseil européen, les alliances qui ont été nouées, et les convergences de vues avec la présidence italienne du Conseil de l'Union européenne, ont permis que nos orientations et propositions soient très largement reprises dans le programme stratégique adopté.

Je vais donc revenir, conformément à votre invitation, sur les cinq grandes priorités stratégiques.

La première est évidemment le soutien à la croissance, à la compétitivité et à l'emploi. Nous avons obtenu que le programme mentionne les flexibilités offertes par le Pacte de stabilité et de croissance, pour tenir compte à la fois des réformes engagées dans chacun des Etats membres et surtout, de la reprise qui est là en Europe et ne doit en aucun cas être fragilisée. Le document insiste également sur la nécessité de faire face aux besoins d'investissements, à la fois publics et privés. Il met en avant le renforcement de l'attractivité de l'Union en tant que lieu de production industrielle avec une base industrielle forte.

Ces formulations du Conseil européen serviront utilement de point d'appui aux propositions françaises contenues dans l'Agenda pour la croissance : l'amélioration du financement de l'économie réelle des entreprises et de l'investissement par la pleine mobilisation des instruments existants, comme le budget de l'Union européenne, les moyens et le nouveau capital de la Banque européenne d'investissement, les project bonds, qui doivent être développés pour financer de grands projets structurants. Le document indique également la nécessité de faire évoluer le cadre réglementaire et financier pour drainer de nouveaux investissements vers l'économie, pour mobiliser et orienter l'épargne privée, abondante en Europe (12 % contre 8 % aux Etats-Unis), vers les entreprises. Nous avons mis en discussion l'idée d'un plan d'épargne européen qui permettrait de financer les petites et moyennes entreprises et plus largement le tissu économique européen.

Sur l'Union économique et monétaire, le texte souligne, comme nous le souhaitions, le besoin d'une coordination, d'une convergence et d'une solidarité accrues, ce qui fait écho à ce que nous avons proposé en termes de convergence sociale ou fiscale, avec un Eurogroupe industriel. Cela renvoie à cette idée d'un conseil de l'économie réelle qui soit dédié à une coordination non pas simplement budgétaire, mais des efforts économiques dans la zone euro.

Pour clore ce chapitre économique, je rappelle que cette réunion du Conseil européen a également finalisé le Semestre européen pour 2014, en présence de Mario Draghi. Il était intéressant de noter que le Président de la Banque Centrale européenne (BCE) considérait lui aussi, dans le débat qui voyait s'affronter les partisans de la flexibilité et ceux de la rigueur, qu'il fallait tenir compte des situations dans la zone euro et des réformes déjà engagées pour ne pas entraver la reprise. La BCE a elle-même pris, au-delà de la baisse des taux d'intérêt, des mesures audacieuses.

Les citoyens européens sont au coeur du second paquet de priorités mises en avant lors de ce Conseil européen. Nous nous mobilisons pour que l'initiative européenne pour la jeunesse, dotée de six milliards d'euros mobilisables en 2014 et 2015, et dont 600 millions d'euros ont été accordés à la France, puisse être prolongée. La France est le premier Etat à avoir obtenu de pouvoir engager les fonds qui la concernent. Il faut à présent mettre en oeuvre concrètement cette initiative dans toutes les régions où le chômage des jeunes est supérieur à 25%.

En parallèle, nous souhaitons promouvoir des mesures en faveur de la mobilité des apprentis et des jeunes en formation par alternance, en utilisant pleinement les crédits d'Erasmus + et en créant un véritable statut de l'apprenti européen.

La troisième priorité porte sur l'énergie et le climat. Nous avons obtenu deux éléments absolument essentiels. Le Conseil européen a exprimé la volonté qu'une décision soit prise, au plus tard en octobre, sur le cadre énergie climat avec des objectifs de réduction d'émission des gaz à effet de serre et de promotion des énergies renouvelables. Le Conseil désire en effet que l'Union Européenne adopte une position unie avant la grande conférence de l'ONU sur le climat, que la France accueillera à Paris en 2015. Le deuxième élément, c'est qu'il n'y ait pas d'opposition entre, d'une part, la sécurité énergétique, les investissements et la diversité des approvisionnements, et, d'autre part, la lutte contre le changement climatique, la promotion de l'efficacité énergétique et la montée en puissance des énergies renouvelables. Les priorités à cinq ans fixées par le Conseil européen répondent à nos attentes, en mentionnant l'objectif de « disposer d'une énergie financièrement abordable, sûre et verte ». Il faut construire l'Union énergétique, c'est-à-dire mettre en oeuvre la solidarité européenne, construire les infrastructures européennes, bâtir une base industrielle en matière de politique énergétique tout en luttant contre le changement climatique. Il convient à partir de là de donner aux divers acteurs une visibilité à long terme pour que cette politique s'inscrive dans la durée.

La quatrième priorité concerne l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Elle est à la fois liée à la protection des droits et libertés fondamentales au sein de l'Union, en particulier la liberté de circulation, mais aussi à la nécessité d'une protection des frontières extérieures communes, d'une politique des migrations qui soit plus efficace. Il faut montrer plus de solidarité avec les pays du sud de l'Europe, en particulier avec l'Italie qui fait face en Méditerranée à de très grandes difficultés et à de terribles drames humains. Le Conseil a réaffirmé clairement sa volonté de renforcer les outils existants mais aujourd'hui encore trop embryonnaires, comme Frontex. Ces outils doivent être en mesure à l'avenir de prendre le relai des opérations nationales du type Mare nostrum.

Pour parvenir à une solution durable, il faudra intensifier la politique en direction des pays de provenance pour mettre une oeuvre plus de stabilité, mais aussi par des accords de réadmission, de lutte contre le trafic de main d'oeuvre et les filières clandestines en les aidant à renforcer leurs capacités en matière de migration et de gestion des frontières.

La politique d'asile doit être mieux coordonnée pour protéger le droit d'asile, mais également garantir une meilleure effectivité dans la reconnaissance réciproque des décisions des Etats membres.

Il y a, à cet égard, une référence dans le programme stratégique qui constitue une avancée notable, sur un sujet qui a, trop longtemps, été tabou.

En parallèle, il faut aménager, dans la concertation avec les pays tiers, des voies de migration Dans ce cadre, et même si cela n'est pas nécessairement lié au thème de l'immigration, il existe un chapitre très important qui porte sur la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Nous devrons ainsi aboutir rapidement sur les données des passagers aériens (accord PNR) afin d'identifier les voyageurs dangereux et leurs déplacements.

La cinquième priorité est relative à la politique de voisinage, les relations avec les grands partenaires stratégiques, et la Politique européenne de sécurité et de défense commune.

Le texte issu du Conseil européen est fidèle à nos priorités, s'agissant notamment de la Politique de sécurité et de défense commune, dans un objectif d'autonomie stratégique d'Europe de la défense, par le renforcement des capacités militaires européennes et de la base industrielle et technologique.

Evidemment, dans le cadre de la discussion de la politique de sécurité et de défense, une partie des débats du Conseil européen a été consacrée à la situation en Ukraine, sur laquelle vous m'avez interrogé.

Tout d'abord, avant même que le Président ukrainien Porochenko ne vienne devant le Conseil européen, une rencontre a été organisée entre le Président de la République François Hollande, la chancelière Angela Merkel et le Président Petro Porochenko sur la situation à la fin de la semaine dernière. A l'issue de cette réunion, il a été convenu que le Président Porochenko accepte de proroger le cessez-le-feu jusqu'au 30 juin au soir. Le Conseil européen a demandé que ce délai soit utilisé dans un dialogue avec la Russie pour la mise en place d'un mécanisme de surveillance aux frontières, la récupération des postes de contrôle tombés aux mains des séparatistes et pour s'assurer de la libération d'un certain nombre d'otages, y compris les observateurs de l'Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe. Il s'agissait également de reprendre la discussion sur le plan de paix du Président Porochenko, qui avait été accepté par le Président Poutine, et pour engager un certain nombre de discussions internes à l'Ukraine visant à avancer sur la réforme institutionnelle ou la prise en compte de toutes les composantes de la société ukrainienne, y compris des minorités russophones. Le Président français, la Chancelière allemande et les Présidents russe et ukrainien avaient convenu de reprendre contact avant l'expiration de ce délai, et l'ont fait dans les soirées de dimanche et lundi. Ils ont constaté une évolution positive, même si la situation dans l'Est reste très tendue. L'intervention prévue par la délégation de l'Assemblée nationale sera utile pour apporter un témoignage mais aussi pour inciter l'ensemble des acteurs à une désescalade et à la recherche d'une solution politique.

Malheureusement, le Président ukrainien a considéré lundi soir que les avancées n'étaient pas suffisantes et a décidé de suspendre le cessez-le-feu. Les quatre ministres des Affaires étrangères français, allemand, ukrainien et russe se rencontraient ce jour à Berlin pour remettre le train sur les rails de la diplomatie. Ils se réunissent pour la recherche d'une solution d'apaisement, afin de sortir de cette crise extrêmement grave qui continue de faire des victimes compte tenu des activités d'un certain nombre de groupes séparatistes très violents et de la suspension du cessez-le-feu lundi dans la soirée.

Le travail sur place de la délégation de l'Assemblée nationale offrira donc une contribution très utile, et les informations sur la rencontre à Berlin des Ministres des Affaires étrangères vous seront transmises en fin de journée.

Le Conseil européen, après ses décisions sur les priorités des cinq prochaines années et le choix de nominer Jean-Claude Junker, a convenu de se revoir conformément aux dispositions du Traité après l'investiture du Président de la Commission. Il sera alors discuté de la nomination aux autres postes de la Commission européenne, tels que celui de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, qui est également premier vice-président de la Commission européenne. Cette nomination ne peut être évoquée avec le Président de la Commission européenne qu'une fois celui-ci investi par le Parlement européen. Il faudra également prendre un décision au sein du Conseil européen quant à la succession de M. Van Rompuy au poste de Président du Conseil européen. L'objectif est d'aboutir à un consensus sur la répartition des responsabilités, qui permettra à partir du 16 juillet à ce que l'ensemble du dispositif de gouvernance de l'Union européenne puisse être opérationnel.

Je voudrais simplement préciser à Elisabeth Guigou que même si certaines formulations du Conseil, qui doivent tenir compte de la nécessité d'un certain consensus, apparaissent comme insuffisamment explicites, les priorités françaises ont très largement été prises en compte. Nous pourrons désormais travailler à la mise en oeuvre des propositions françaises contenues dans l'Agenda.

Concernant les questions plus précises sur la finalisation de l'Union bancaire et l'accord intergouvernemental sur le Fonds de résolution, la Commission doit remettre ses propositions au mois de septembre afin que soit déterminée la contribution de chacun des établissements financiers de l'Union européenne à ce fonds de résolution, préalable indispensable à sa mise en oeuvre.

Concernant la question de la présidente Danielle Auroi sur la procédure future mentionnée dans les conclusions pour le choix du Président de la Commission européenne, il s'agit là d'une formule destinée à faire cas d'une préoccupation britannique. Mais le Président de la République a insisté pour qu'il soit également fait mention du respect des traités, afin de prévenir tout retour en arrière, et la procédure suivie cette année va sans nul doute créer un précédent démocratique pour toute future nomination de Président de la Commission européenne.

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