Monsieur Rodet, sur la question de la Wallonie, j'ai rencontré le cas de Français qui ont effectivement recréé une activité en Belgique, et s'y sont installés avec leur famille. Je n'ai pas rencontré directement de Français installés à Zurich. Je peux certes citer le cas du fils de Charles Aznavour, qui a suivi son père hors de France et s'est donc installé à l'École polytechnique fédérale de Lausanne pour ses recherches dans le domaine de la computation. Ce n'est pas parce que la Wallonie rencontre des difficultés que des Français ne s'y installent pas, car ils y créent leur entreprise, notamment pour des raisons fiscales telles que l'imposition des plus-values après cession de ces entreprises.
Sur l'Essec, la situation est sans doute la même à HEC, et mon témoignage avait simplement valeur d'exemple. Tous les jeunes qui sortent de l'Essec ne partent pas non plus à l'étranger.
Quant à l'évolution des rémunérations des dirigeants, il y a en effet une pression fiscale beaucoup plus importante sur les dirigeants d'entreprises. Ceux-là ne partent pas forcément ; en revanche, ce sont les cadres qui préfèrent souvent aller travailler dans une filiale à l'étranger – comme celui que j'évoquais, parti à Singapour pour éviter une surtaxe sur l'impôt sur le revenu et des contributions sociales à 15,5 % qui ont fortement augmenté depuis la création de la CSG.
À propos du chiffrage du phénomène de l'exil fiscal, je vous confirme que personne n'y arrive. Nous devons nous contenter de nous référer à nos multiples expériences personnelles et aux centaines de dossiers que nous traitons. Les données de chaque gestionnaire, de chaque banquier ne sont pas centralisées. Même en posant des questions, je n'ai pu obtenir de chiffres plus précis.
Quant à la régularisation fiscale auprès du service de traitement des déclarations rectificatives – STDR –, il s'agit d'un phénomène différent : là, il est question de personnes qui n'ont pas déclaré leurs revenus ou leurs comptes à l'étranger, activement ou par passivité. L'exil fiscal, c'est une autre chose, parfaitement légale : ce sont des personnes qui ont choisi de partir ailleurs avec leurs familles. Parler de fuite des jeunes est sans doute trop fort, mais il s'agit bien, à mon sens, de départs de forces vives.
Serait-il utile de revenir sur les 120 conventions fiscales bilatérales existantes ? Je pense qu'il faudrait les dénoncer ; de nouveaux critères seront proposés par l'OCDE. Mais je parle plutôt de la nécessité de refondre le code général des impôts, de le nettoyer des dispositifs qui se superposent ou des mesures désuètes qui s'y trouvent.
Le regard des expatriés a-t-il évolué ? En effet, je constate au fil du temps que les « exilés » ne regrettent pas d'être partis et on les entend même dire que selon eux, la situation a empiré en France.
Craignent-ils un contrôle fiscal à leur retour ? Ils sont convaincus qu'ils se retrouveraient dans la ligne de mire de Bercy – même s'ils ne le sont pas nécessairement, ou pas systématiquement. Mais ils ont ce sentiment qu'ils seront désormais pourchassés par le fisc toute leur vie. Ils éprouvent véritablement un sentiment d'insécurité.
De fait, le contrôle fiscal et la pression fiscale, parce qu'ils sont vécus comme une espèce d'harcèlement, réel ou pas, peuvent déclencher l'exil.