Intervention de Jérôme Lecat

Réunion du 23 juillet 2014 à 17h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Jérôme Lecat :

Qu'est-ce que cela signifie pour l'entreprise du secteur qui n'est pas localisée dans ce pôle ? En dehors du cas de la région parisienne, je n'ai pas encore rencontré en France d'écosystème dont la densité puisse avoir une influence comparable à celle dont je parle. Je ne veux évidemment pas dire que des partenariats entre start-up et grandes entreprises, ou entre start-up et universités, n'ont pas lieu en dehors de la région parisienne. Mais, à mon sens, il n'est tout simplement pas possible de décréter que l'on va parvenir au niveau de dynamisme, d'intensité et de densité de créativité que l'on trouve dans la Silicon Valley, si l'on se place au niveau mondial, ou en région parisienne, si l'on raisonne au niveau français. Rendez-vous compte que 50 % des investissements en capital-risque américains sont concentrés sur un territoire de 100 kilomètres de long ! Tout y tourne nécessairement autour d'un même objectif qui imprègne toutes les rencontres, toutes les activités, toutes les conversations.

Je ne crois pas être une exception. De très nombreux entrepreneurs partagent cette approche. Je pense à M. Bertrand Diard, le cofondateur de Talend, ou à M. Jean-Baptiste Rudelle, celui de Criteo, qui a fait le choix de revenir en France pour que ses enfants baignent dans notre culture. Nous sommes sans doute plusieurs centaines à être partis pour les États-Unis afin de développer nos entreprises, mais à rester culturellement très attachés à la France.

Les tracasseries administratives et la pression fiscale forcent-elles les entreprises à quitter la France ? L'argument de la fiscalité est souvent monté en épingle par ceux qui sont déçus par la France pour d'autres raisons. Sur ce plan, il faut noter que les différences sont mineures entre la Californie et la France – sauf pour les détenteurs de patrimoines supérieurs à 50 millions d'euros pour lesquels l'impôt français de solidarité sur la fortune (ISF) pose un vrai problème. La fiscalité est complexe des deux côtés de l'Atlantique. Quant aux systèmes administratifs, ils sont différents et, pour en maîtriser les rouages, il faut bien les connaître. Je n'ai pas de problème particulier avec l'administration française et, depuis vingt ans que je suis chef d'entreprise en France, j'ai plutôt constaté une amélioration dans les rapports que nous entretenons. Ils sont à coup sûr plus aisés entre les entreprises et l'administration britannique, qui joue moins un rôle de contrôle que de conseil. On répète souvent qu'il est plus facile de licencier un salarié aux États-Unis qu'en France ; ce n'est pas vrai. Il existe en effet outre-Atlantique une multitude de salariés protégés au titre des minorités ce qui rend d'autant plus complexe le licenciement d'une femme de 45 ans qui appartient – quelle ne fut pas ma surprise de le découvrir – à l'une de ces minorités protégées.

Aucune réglementation particulière ne favorise l'innovation aux États-Unis. Les start-up ne bénéficient ni d'aides véritables ni de règles adaptées ; elles profitent en revanche d'un écosystème favorable, d'un montant élevé d'investissements en capital-risque, d'une attitude positive à leur égard, d'une culture de la prise de risques… Le département de la défense américain achète aussi volontairement massivement aux start-up, ce qui correspond à une subvention déguisée, et je constate que le chiffre d'affaires de Scality avec l'État américain est dix fois plus élevé qu'avec l'État français.

En France, la législation est souvent globalement contraignante, tout en prévoyant un certain nombre d'exceptions. Les charges sociales élevées sont par exemple compensées pour les start-up par l'accès au statut de jeune entreprise innovante (JEI) ou par le crédit d'impôt recherche. Aux États-Unis, la législation est moins contraignante, mais les régimes d'exception n'existent pas.

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