Sur le caractère volontaire ou subi du départ, lorsqu'on observe, comme je le fais, ces parcours professionnels de manière dynamique, la réponse est délicate. Aucune personne, sur les soixante que j'ai rencontrées, n'a choisi de partir par impossibilité de s'en sortir en France. La plupart ont conçu leur départ de manière beaucoup plus positive, soit pour le bénéfice tiré d'une carrière internationale, soit, pour les jeunes surtout, pour vivre une expérience à l'étranger, notamment lorsque ces personnes n'ont pas pu profiter d'un séjour Erasmus pendant leurs études.
En revanche, une fois sur place, ces personnes peuvent se rendre compte qu'en effet, il est souvent plus facile de trouver un emploi attractif sur place, ce qui encourage à rester.
D'une manière générale, le départ est donc plutôt d'abord volontaire. Après, pour certains profils sociologiques bien définis, notamment des diplômés de l'université ou de petites écoles de commerce ou d'ingénieur, le choix de l'international peut être dicté par la possibilité d'y être mieux valorisé professionnellement, du fait de la concurrence sur le marché du travail en France. C'est le cas d'un diplômé de l'université de Lyon qui, après plusieurs années de vie professionnelle à l'étranger, souhaitait rentrer en France pour se rapprocher de sa famille, a échoué à trouver un emploi qui lui convenait parce que son diplôme ne faisait pas le poids face aux polytechniciens, aux normaliens ou aux diplômés d'écoles d'ingénieur. À l'étranger, un master est un master, peu importe son origine. Ici, le caractère subi de l'exil peut être avéré, mais on peut aussi le considérer comme une opportunité saisie et exploitée. Donc, ce que j'ai vu, ce sont plutôt des personnes qui sont parties à l'étranger dans le cadre d'une démarche positive. D'ailleurs, elles insistent souvent pour que je rappelle qu'elles ne sont pas parties fâchées avec la France. Certains sont même assez blessés par une sorte de stigmate qu'ils subissent au moment du retour, par exemple le soupçon d'être partie pour payer moins d'impôts.
Sur l'ambivalence du côté subi ou volontaire du départ, j'ai un autre exemple : dans l'industrie minière et extractive, la progression d'une carrière de manager doit impérativement passer par la direction d'une unité opérationnelle, or il n'en existe pas en France : c'est à la fois une contrainte qui pousse à partir à l'étranger, et un choix assumé de carrière plutôt que de rester au même niveau hiérarchique.
Sur le sujet des relations avec la France, les personnes que j'ai rencontrées conservent tous un lien avec la France, ne serait-ce qu'avec son actualité. Ce lien peut être plus ou moins fort : le lien familial est le plus important, et certains retours sont dictés par le vieillissement des parents et par la volonté de passer plus de temps en famille, par exemple quand les grands-parents ne connaissent pas leurs petits-enfants nés à l'étranger.
Le lien avec la France se manifeste aussi dans l'idée, que j'ai évoquée dans le cas de Catherine lors de son expatriation au Vietnam, que l'expatriation n'est vraiment utile que dans la perspective de sa valorisation en France, au moment du retour. Ainsi, au Vietnam, ses relations professionnelles étaient essentiellement des Français ou des entreprises françaises. C'est le cas de beaucoup d'autres situations que j'ai rencontrées. Même à l'étranger, même travaillant pour une entreprise étrangère, les liens avec la France perdurent et c'est leur principal avantage de carrière que de savoir faire le lien entre la France et l'étranger. C'est ce dont les entreprises françaises ont besoin. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles elles envoient des personnes à l'étranger : pouvoir disposer de personnes de confiance pour les aider à développer leur activité à l'étranger. Couper complètement les ponts avec la France et le marché du travail français, notamment professionnellement, serait alors dramatique pour ces expatriés, qui perdraient entièrement le bénéfice de leur expatriation.
La question des bénéfices lors du retour s'inscrit dans ces développements : les expatriés partent effectuer une carrière internationale dans la perspective de la valoriser sur le marché du travail français. Or, beaucoup sont déçus lors de leur retour, éprouvant le sentiment que leur expérience internationale n'intéressait pas tellement les entreprises et organisations françaises.
Certaines grandes entreprises françaises évoquent cette même question sous l'angle, cette fois, des ressources humaines. Les responsables de la mobilité internationale que j'ai rencontrés m'expliquent qu'ils ne parviennent pas toujours à valoriser l'expérience internationale des salariés partis à l'étranger et revenus en France. Ces difficultés sont d'ordre organisationnel. Il est parfois difficile de trouver immédiatement le poste le plus adéquat, s'il n'est pas libre ou si cette affectation suscite des jalousies dans les services, où bien souvent la personne qui revient ne connaît plus personne. C'est une vraie difficulté. Malgré tout, les personnes concernées parviennent à valoriser leur carrière à l'étranger.
Au niveau statistique, à partir des enquêtes de l'INSEE, il apparaît que les personnes qui ont connu une mobilité à l'international disposent d'avantages, en matière de positions hiérarchiques ou de salaires perçus. Cela reste positif, même s'il y a parfois des moments difficiles ou certaines frustrations. Les entreprises que j'ai rencontrées me disent qu'un retour d'expatriation était trop souvent suivi par un changement d'entreprise, ce qui est d'ailleurs dramatique pour l'entreprise quittée : envoyer un salarié en expatriation coûte excessivement cher, jusqu'à deux ou trois fois le coût « local » du salarié. C'est alors un investissement perdu. Cette situation est un réel problème, même s'il n'est pas facile à régler.