Intervention de Denis Colombi

Réunion du 24 juin 2014 à 16h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Denis Colombi :

Je dois répondre négativement à cette dernière question. Pour des raisons scientifiques, j'ai décidé de ne pas explorer le secteur de l'hôtellerie comme celui de la grande distribution, même si j'ai interviewé une ou deux personnes y évoluant. Ces marchés présentent évidemment certaines spécificités, comme le fait que venir d'une école d'hôtellerie française et être Français y constituent un véritable avantage, une carte de visite dont il faut tenir compte. Mais je n'ai pas poussé dans cette voie d'étude faute de temps dans ma thèse.

En termes de méthodologie, avec mes soixante entretiens je ne peux prétendre à une représentativité statistique. Je ne peux en tirer des conclusions sur la situation moyenne des Français à l'étranger. Mon échantillon est trop faible. Mais surtout je l'ai constitué en cherchant la plus grande diversité de situations. C'est une méthode venue de la micro-histoire, l'idée étant de reconstituer des mécanismes par un raisonnement un peu différent. En revanche, je confirme que l'on rencontre un certain nombre de difficultés pour connaître ces populations. Les sources dont nous disposons se résument aux travaux des consulats et ambassades – mais ils offrent peu d'informations, car on ne peut demander de raconter leur vie aux visiteurs de ces antennes ; en outre, tous ne s'inscrivent pas sur ces listes ; c'est très variable selon les pays et les situations… L'INSEE et le ministère des Affaires étrangères font là-dessus un très beau travail pour essayer de rendre les choses les plus claires possible. J'ai par ailleurs utilisé les enquêtes de l'INSEE « Trajectoires, origines et histoires de vie », qui sont fondées sur des entretiens biographiques annuels où les personnes racontent ce qu'elles ont fait. Cela me permet d'identifier celles qui sont parties à l'étranger à un moment donné. Mais cela ne concerne que des personnes qui sont revenues en France – raison pour laquelle je n'en ai pas parlé ; et parce que je n'ai pas fini d'exploiter ces sources. Elles n'intègrent donc pas les personnes restant à l'étranger. Enfin, on dispose des enquêtes réalisées par la Maison des Français à l'étranger pour le ministère des Affaires étrangères, par questionnaire généralement proposé sur son site ; mais ces enquêtes posent des problèmes d'auto-sélection des répondants : ce sont ceux qui fréquentent le plus internet – il y a donc une surreprésentation des jeunes –, et aussi ceux qui ont quelque chose à dire. L'avant-dernière enquête du ministère laissait un champ d'expression libre ; il en est ressorti une forte tendance critique vis-à-vis de la France. Mais on peut faire l'hypothèse que ceux qui choisissent de répondre et de s'exprimer avaient un message à faire passer. Cela ne retire pas l'intérêt de leurs réponses, mais cela crée un biais qu'il faut garder à l'esprit.

On manque véritablement d'un outil. Cependant, il est très difficile à mettre en place car la statistique aime les choses immobiles alors que la mobilité ne l'est pas par définition. Il faudrait des enquêtes plus larges et un outil statistique dédié. Je serais heureux d'y participer. Mais cela n'existe pas aujourd'hui et c'est problématique.

Concernant la validation et la valorisation des acquis de l'expérience, j'ai relevé deux choses me semblant intéressantes : d'abord, les personnes qui sont revenues ne sont pas toujours satisfaites, sur le moment, de la façon dont leur expérience internationale est considérée. C'est en partie lié au fait qu'elles appartenaient auparavant à une communauté internationale avec une culture particulière où ce type de parcours intéresse tout le monde, et quand elles rentrent et se retrouvent seules dans leur entreprise ou leur service à avoir voyagé, elles rencontrent moins de questions et de curiosité et en sont un peu déçues. Les entreprises ne savent pas toujours elles-mêmes comment les valoriser ou ont du mal à le faire. Il y aurait une réflexion à mener sur cette question.

L'autre constat intéressant que j'ai fait dans cette enquête est qu'on accorde à certains diplômes français plus de valeur à l'étranger qu'en France. Ce sont ceux de l'université. En tant qu'universitaire et enseignant, cela me déçoit un peu de voir combien ces titres intéressent les entreprises et les personnes rencontrées à l'étranger, qu'ils permettent de belles carrières à l'extérieur, mais pas en France, moins en tous cas que des diplômes de Polytechnique ou d'autres écoles d'ingénieurs. J'ai rencontré des exemples de diplômés français qui préfèrent rester à l'étranger pour cette raison. Il y a un décalage problématique entre la valorisation des diplômes français à l'étranger et leur valorisation en France.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion